Ce texte est paru dans dans le magazine en ligne Rupture
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Dans les méandres des relations franco-algériennes, une affaire humanitaire et diplomatique continue de faire couler de l’encre, celle de l’écrivain Boualem Sansal. Âgé de 80 ans et souffrant de problèmes de santé, il est détenu en Algérie depuis le 16 novembre 2024, condamné à cinq ans de prison pour des motifs largement perçus comme politiques – une “mascarade judiciaire” selon ses soutiens.
« Monsieur le président de la République, n’oubliez pas notre père »,
Les deux filles algéro-tchèques de Boualem Sansal, Nawal et Sabeha, ont lancé un cri du cœur le 15 avril dernier, dans une lettre ouverte publiée dans Le Figaro, adressée directement à Emmanuel Macron :
« Monsieur le président de la République, n’oubliez pas notre père. »
Elles y implorent une intervention française pour sa libération, soulignant non pas l’invective, mais « un dernier élan d’espoir » face à l’impuissance d’une famille déchirée.
Cinq mois plus tard, le silence de l’Élysée reste total. Aucune réponse publique ou privée n’a été adressée aux filles de Boualem Sansal. Pourtant, les filles persistent : « Il est malade », ont-elles déclaré à BFMTV, exhortant le président français à agir avant qu’il ne soit trop tard. Le comité de soutien à l’écrivain, quant à lui, dénonce un « mutisme » français et appelle à une mobilisation européenne plus ferme, y compris via des sanctions contre l’Algérie pour violations des droits humains.
Interpellé par une chanteuse, le Président répond personnellement et en moins de 24h
Ce silence présidentiel contraste vivement avec la réactivité d’Emmanuel Macron face à une autre missive, celle de la chanteuse Zaho de Sagazan. Le 26 juillet dernier, la jeune artiste de 25 ans, récompensée aux Victoires de la Musique et remarquée aux JO de Paris 2024, poste sur Instagram une lettre ouverte critiquant la position française sur Gaza. Elle accuse le président de « laisser faire un massacre » et exige qu’il cesse d’utiliser sa chanson La Symphonie des éclairs dans sa communication tant qu’il n’agit pas pour un cessez-le-feu et une aide humanitaire. Moins de 24 heures plus tard, Emmanuel Macron répond personnellement en commentaire : il qualifie son message de « cri lucide » qui le « touche et l’oblige », affirmant partager ses exigences et détaillant les efforts français (pas d’armes à Israël, plaidoyer pour un État palestinien).
Priorisation stratégique ou préférence pour les interpellations publiques ?
Cette disparité soulève une interrogation lancinante : pourquoi Emmanuel Macron, prompt à dialoguer avec une figure médiatique et culturelle comme Zaho de Sagazan sur un sujet géopolitique explosif, reste-t-il muet face à l’appel désespéré des filles de Boualem Sansal ?
S’agit-il d’une priorisation stratégique, où les enjeux diplomatiques avec l’Algérie pèsent plus lourd que l’urgence humanitaire ? Ou d’une préférence pour les interpellations publiques et virales, au détriment de lettres formelles et discrètes ? À l’heure où les relations bilatérales patinent, cette non-réponse interroge la cohérence de la diplomatie française : humanitaire ou opportuniste ? L’avenir de Boualem Sansal, et peut-être des liens Paris-Alger, en dépend.
Marie Dolores Prost
11/08/2025
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