MARION MARÉCHAL :
DE LA POLITIQUE À LA FORMATION DES ÉLITES
(Marc Le Stahler)

Histoire corse

C’est une histoire que les Corses aiment raconter.

Un « continental », en visite sur l’Île de Beauté, est bloqué sur un chemin de montagne par un troupeau de moutons l’empêchant de poursuivre sa route. Gardant son calme (on n’est jamais trop prudent), il s’approche du berger et engage la conversation. Après avoir jeté un coup d’œil appuyé sur le troupeau et croyant impressionner son interlocuteur par sa grande intelligence et ses facultés de synthèse, il lui demande :
“− Si je te dis avec exactitude combien tu as de moutons, serais-tu d’accord pour m’en donner un ?”
Le berger, bon bougre, accepte le marché.
Sans même se donner le temps de réfléchir, le touriste annonce au berger :
“− Il y en a 132 !”
Un peu surpris quand même, le Corse (ces gens-là n’ont qu’une parole) reconnaît que c’est bien le nombre exact et propose donc au « continental » de choisir son animal, ce que celui-ci s’empresse de faire, en l’embarquant prestement dans son coffre.
Avant de partir, le Corse demande au Parisien (car c’était obligatoirement un Parisien, pour se balader en cravate en plein mois de juillet du côté de Corte)
“− Si je te disais de quelle école tu es diplômé, tu me rendrais ma bête ?”
À observer le regard noir du Corse, le Parisien ne cherche pas à négocier, et accepte ce marché.
Sans réfléchir un seul instant, le Corse annonce :
“− Tu as fait l’ENA !”
Surpris, et en même temps un peu flatté, l’énarque (puisque c’est est bien un) restitue son bien au Corse, mais se sent obligé de poser la question qui lui brûle les lèvres :
“− Mais comment as-tu deviné ?”
Reprenant son animal, le Corse répond, avec cet inimitable accent tout en reprenant nonchalamment sa route :
“− Tu as choisi le chien !”

 

L’École Nationale d’Administration (ENA)

On a tout dit sur l’ENA, ou presque. Créée par de Gaulle (aidé du couple improbable Maurice Thorez et Michel Debré), cette grande école avait pour vocation initiale de former les élites de l’administration. Les « grands commis de l’État », comme on disait alors communément.

L’idée, en soi, n’était pas mauvaise. Un dispositif pédagogique de haut niveau spécialisé dans les affaires publiques manquait alors, et il n’était pas insensé de créer une grande école spécialisée dans la formation des cadres de l’administration. Dans l’esprit de ses créateurs, l’ENA devait permettre à l’État de se professionnaliser, de se dynamiser et de se moderniser en s’ouvrant aux techniques modernes de la gestion publique.

Hélas, les conditions de la dérive et de l’échec de ce projet furent progressivement instillées, transformant peu à peu cette école en ce qui était loin d’en être l’objectif : une institution élitiste débouchant − au-delà du simple apprentissage de la macro-économie et des mécanismes publics – sur les techniques et les moyens d’accéder à une carrière politique, ce qui n’était pas du tout l’intention du législateur. Le comble fut atteint il y a un an par l’accession à la présidence d’un homme n’ayant jamais affronté avant le suffrage universel mais ayant su observer et utiliser à son profit toutes les ficelles institutionnelles, financières et médiatiques pour parvenir à ses fins, sans évoquer ne serait-ce qu’en filigrane l’ombre d’un projet de gouvernement !

Au total, et depuis sa création, l’ENA a « produit » 4 présidents, 8 premiers ministres et une kyrielle de ministres et de secrétaires d’État. Avec le succès que l’on sait pour la France…

 

Comment a-t-on pu en arriver là ?

De nombreuses raisons expliquent cette lente et inexorable dérive, essentiellement caractérisée par un cocktail lénifiant de sclérose intellectuelle et d’idéologie, le tout structuré par un phénomène de « caste » qui ne produit plus désormais que des clones stériles, animés par une seule et même idéologie, souvent dépassée (comme par exemple le « keynésianisme »), et incapable de répondre aux surprises et aux défis du monde moderne.

On peut mettre au passif de cette caste de n’avoir prévu

  • ni la chute de l’empire soviétique (Mitterrand, seul responsable occidental, se vautrant dans le ridicule en s’empressant de reconnaître le putsch anti-Gorbatchev d’août 1991),
  • ni l’informatisation de la société française (échec du « Plan Calcul », conduit par Michel Debré – encore lui – dans les années 60),
  • ni l’industrialisation pourtant tant attendue du Tiers-Monde et la « mondialisation » induite qui allait frapper les pays industrialisés,
  • ni la crise économique des « subprimes » qui a plombé le quinquennat Sarkozy,
  • ni plus récemment, la violente vague migratoire qui nous frappe et qui est en passe de détruire l’Europe de l’intérieur.

On peut aussi mettre au passif de l’énarchie l’idéologie tyrannique de l’administration européenne, où des fonctionnaires non-élus fixent des objectifs et dictent sans vergogne leur conduite aux responsables politiques nationaux, parfois contre la volonté des nations.

L’ENA a d’ailleurs même (à grands frais) déménagé à Strasbourg pour être plus proche de ce nouveau temple du pouvoir technocratique, histoire de s’éloigner encore un peu plus de la vraie source du pouvoir : le peuple. Mais cette notion est sans doute dépassée, diabolisée et rendue caduque par le terme de « populisme », qui induit inévitablement, avec l’aide efficace et zélée des médias soumis, des sous-entendus sulfureux et fascisants, surtout chez les plus incultes des bobos de tous poils…

On peut trouver encore de nombreuses raisons à la déliquescence administrative de la France. Mais la racine du mal, la primo-infection, est cet incroyable droit de « mise en disponibilité » permettant aux jeunes hauts-fonctionnaires à peine diplômés de se lancer dans la politique sans prendre aucun risque puisque leur poste (et même partiellement l’évolution indiciaire de leur « carrière ») leur est garanti à vie.

Fabius et Juppé en savent quelque chose. Hollande aussi qui, bien qu’il se fût révélé un piètre chef d’état, a toujours su bénéficier de tous les fromages se présentant à sa portée. Le culot et l’idiotie en prime quand, dans une célèbre vidéo, il se flattait – alors jeune conseiller référendaire à la Cour des Comptes – d’avoir eu « le courage de se lancer dans la politique au lieu de profiter sans trop se fatiguer de son poste de haut-fonctionnaire à vie ». Ceux qui n’ont pas encore visionné cette vidéo mythique peuvent la lire sur la vidéothèque de Minurne (vidéo n° 6). Ils passeront à coup sûr un bon moment.

 

Peu d’hommes politiques ont eu le courage de démissionner de leurs fonctions

Il convient pourtant de rendre hommage à Philippe de Villiers qui, préfet en mai 1981, a préféré démissionner plutôt que de servir un état socialo-communiste. Chapeau l’artiste !

Il faut enfin préciser que ce système franco-français de « mise en disponibilité » est en contradiction absolue avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 dont l’article 1 stipule « les hommes naissent et DEMEURENT libres et ÉGAUX en droits » !

Quel salarié du privé, quel travailleur indépendant, peut quitter son poste, ne serait-ce que pendant 5 ans, pour exercer un mandat parlementaire en étant certain de retrouver son travail, son poste et son statut en fin de mandat ?

Cette iniquité est la raison pour laquelle les propositions suivantes ont été inscrites dans le projet de gouvernement de Minurne.

Après un premier mandat parlementaire, et en cas de réélection, les fonctionnaires titulaires réélus ne pourront plus bénéficier du droit de mise en disponibilité. Tout fonctionnaire réélu député ou sénateur devra donc, pour siéger, démissionner de son poste administratif. (Art. 111 / dernier alinéa)

L’École Nationale d’Administration sera réformée, modernisée et réorientée vers sa vocation originelle (le service de l’État) et non la préparation aux carrières politiques. Elle sera partiellement administrée par des personnalités issues du monde de l’entreprise. (Art. 22)

 

L’Institut des Sciences Sociales Économiques et Politiques (ISSEP)

Tranquillement, sereinement, Marion Maréchal trace sa route avec beaucoup de pertinence et une grande intelligence de situation. En créant à Lyon l’Institut des Sciences Sociales, Économiques et Politiques (ISSEP), elle prend le contrepied de l’ENA déclinante (et de son annexe gauchisante, Sciences-Po), tout en annonçant sa volonté de rapprocher le privé et le public (ce qui ne manquera pas de déplaire aux syndicats corporatistes du « service public »), ardente nécessité pour remettre en marche la France.

En présentant l’ISSEP sur le Web, Marion Maréchal rappelle (malgré sa jeunesse) sa double expérience politique et entrepreneuriale. Ça commence très fort : combien de responsables d’écoles supérieures, même plus âgés, peuvent se targuer de connaître de l’intérieur le secteur privé ? Bien peu, à vrai dire, trop peu.

La présentation se poursuit en insistant à nouveau sur le lien nécessaire entre les « savoirs de l’entreprise » et les « affaires publiques », recommandant, dans ce « monde globalisé aux mutations rapides », une « double mobilité intellectuelle et géographique, indispensable pour favoriser l’initiative individuelle ». Elle embraye enfin sur le « respect de l’héritage et l’esprit de conquête » favorisant une meilleure adéquation aux circonstances, compétence manquant actuellement cruellement comme on a pu le voir plus haut. On trouve également dans cette présentation de l’école, un rappel à l’éthique et à l’exigence de performance.

Bien sûr, on objectera que ce n’est qu’une présentation, et qu’on ne juge un arbre qu’à la qualité de ses fruits. Je reste pourtant convaincu que ce projet pédagogique original connaîtra un grand succès, car il répond avec précision à un besoin crucial de formation. J’imagine que les futurs diplômés de l’ISSEP n’auront pas de difficultés à s’insérer dans le monde professionnel, privé ou public, et qu’ils bénéficieront, si l’école tient ses promesses, des qualités humaines et morales qui leur permettront d’évoluer avec bon sens, imagination et intelligence pragmatique.

Libérés des dogmes qui sont trop souvent – même inconsciemment – enseignés dans les « grandes écoles », ils seront capables de décider et d’innover, en bénéficiant d’une « tête bien faite » plutôt que bien pleine, ainsi que le préconisait un certain Michel Eyquem dit de Montaigne il y a 5 siècles.

Voir le site Internet : https://www.issep.fr/

À lire également, cet édifiante interview d’un universitaire sur la différence entre, d’une part l’intelligence et le caractère, d’autre part l’accumulation de connaissances et la capacité de décider…

https://www.facebook.com/alain.jousset.9/videos/1824802067563457/

 

Marc Le Stahler
25/05/2018