REPENTANCE – 2ème partie – (Eric de Verdelhan)

« Je ne parle pas aux cons, ça les instruit ! »
(Michel Audiard).

« Quand un homme a faim, il vaut mieux lui apprendre à pêcher que lui donner un poisson »
Proverbe chinois (1).

 

 

Depuis  toujours, je défends la liberté d’expression et la pluralité d’opinions. Je cite souvent le propos qu’on attribue – à tort semble-t-il – à cette canaille maçonnique de Voltaire : « Je ne partage pas vos idées mais je me battrais pour que vous puissiez les exprimer ».

Hélas, l’homme libre que je prétends être n’a pas encore compris qu’en dehors de la doxa officielle, point de salut ! Je me fais régulièrement insulter sur les réseaux dits « sociaux » par des crétins (de surcroît anonymes) qui, ne partageant pas mon point-de-vue sur la dégénérescence de notre pays ou mes inquiétudes sur son devenir, se croient autorisés à me gratifier de tous les noms d’oiseaux, quand ils ne me traitent pas carrément de fasciste ou de nazi.

Le combat est inégal (donc injuste) : j’exprime MES idées, ils me répondent anonymement, dans un sabir très approximatif mais parfois… amusant : les fautes de syntaxe et d’orthographe compensent la pauvreté du vocabulaire et l’absence totale d’idées personnelles. Cette idéologie prémâchée, servie par quelques mots de la novlangue et du « politiquement correct » ne m’irrite pas, au contraire, elle m’amuse ; il m’arrive même d’y répondre quand j’ai du temps à perdre. 

Hier, je me suis fait agonir par un lecteur – anonyme bien sûr ! –  à la suite d’un article récent intitulé  « de la repentance ». Ce monsieur me reproche d’idéaliser la colonisation – « le temps béni des colonies » que chantait Sardou – et d’occulter le fait que nous serions responsables du retard pris par nos anciennes colonies que nous avons « maintenues en esclavage » (sic). Et il conclut son engueulade par un argument-massue : si Macron restitue des biens à l’Afrique c’est que nous les avons volés, comme  Hermann Göring avec les œuvres d’art des Juifs en 1940 ». Ben voyons !

Que répondre à ça ? Rien, sinon que je n’ai jamais idéalisé la colonisation.

LE VRAI CRIME, CE FUT LA DÉCOLONISATION À LA HUSSARDE !

Je n’entends pas philosopher sur la nécessité – qui reste à prouver – de la décolonisation et du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Économiquement autant qu’au plan humain et moral, ce bradage a été un désastre. Nous avons perdu, entre autres, le pétrole et le gaz sahariens, le titane malgache, le riche sous-sol des grands lacs tchadiens… et j’en passe. Nous avons livré des peuplades amies à des tyrans, à des roitelets cupides, à des guerres tribales sans fin.

Depuis, l’Afrique crève à petits feux, de la sécheresse, de la désertification, du  SIDA, de conflits ethniques ou religieux permanents… Et, à force de démagogie, d’auto-flagellation et de repentance de notre part, les anciens colonisés qui vivent en France se sont mis à nous détester (2). 

Il faut lire « L’Épopée coloniale de la France », d’Arthur Conte (3) : notre Empire colonial fut, à la fin du XIX° et au XX° siècle, le deuxième plus vaste du monde, derrière l’Empire britannique.

Présent sur tous les continents, il s’étendait à son apogée, de 1919 à 1939, sur 12 347 000 km2. En incluant la France métropolitaine, les terres sous souveraineté française atteignaient la superficie de 13 500 000 km2, soit 1/10ème de la surface de la Terre, abritant une population de 150 millions d’habitants  à la veille de la Seconde Guerre mondiale.  

Qu’il est facile, aujourd’hui, de critiquer et de condamner notre épopée coloniale ! Il ne s’agit pas de regretter; les regrets ne servent à rien quand on a tout perdu. Il importe surtout de savoir, d’arrêter les jérémiades et la repentance, et de se sentir fier de notre passé.

Ce n’est pas la colonisation qui est criminelle, c’est notre décolonisation à la hussarde : des peuples amis, en voie de développement, nous faisaient confiance. Nous les avons abandonnés au milieu du gué, et nous avons fait, du même coup, NOTRE malheur et LE  LEUR.

Quant au retard que nous aurions fait prendre à nos ex-colonisés, parlons-en ! Je ne saurais mieux l’illustrer que par une anecdote que j’ai racontée dans un de mes livres (4).

L’histoire se passe lors d’un dîner mondain. Un de ces dîners où je m’ennuie comme un rat mort car le bavard impénitent, le passionné que je suis, n’a absolument RIEN à dire :

On m’a appris, jadis, qu’en société, il ne faut parler, ni de politique, ni de religion, ni de son travail. L’humour gaulois est également mal venu et le rire, carrément déplacé. Que reste-t-il alors ? Rien, nada, que dalle ! Des généralités sur le temps qu’il fait, des platitudes, des fadaises, des lieux communs, bien consensuels, pour ne froisser personne. On y caquette allègrement, comme dans une volière, et on n’est même pas assuré que la chère y soit de qualité et le vin gouleyant.

Avec le temps, je constate que, finalement, rien ne change : lorsque j’avais 30 ans, les gens qui m’emmerdaient avec les couches-culottes ou les premières dents de leurs rejetons sont les mêmes (en plus décatis) qui me bassinent aujourd’hui avec celles de leurs petits-enfants. 

Mais heureusement, dans ces dîners d’un ennui mortel, il y a souvent le con de service : il parle fort, avec assurance et emphase. Il est pontifiant, sentencieux et moralisateur. On sent celui qui sait tout et qui a vécu. Les autres convives l’écoutent avec respect et un brin d’admiration car il est officier supérieur ou haut fonctionnaire. Habitué à commander, il n’aime pas être contredit.

Il est donc de bon ton de l’écouter religieusement, sans jamais l’interrompre.

Ce soir là, c’est un « général-quart-de-place » issu du Service du Matériel (5). Je le connais de réputation : il considère les paras comme des têtes brûlées et la Légion comme un repaire de brutes apatrides. Durant sa longue carrière d’embusqué, il n’a jamais risqué sa précieuse peau dans une « Opex »( 6) mais il arbore fièrement deux rosettes qu’il doit sans doute à la souplesse de son échine : « la Rouge » et « la Bleue » (7), glanées dans les bureaux, sans avoir un coup de feu à se reprocher sinon à l’exercice (ou sur des perdreaux s’il est chasseur) (8). Il ressemble aux bidets Jacob Delafon : un robinet bleu pour l’eau froide et un rouge pour l’eau chaude ; ou aux fines porcelaines de Chine qui « supportent bien les décorations mais craignent le feu ».

Je l’écoute sans piper mot, mais je réagis quand il déclare, péremptoire : « Reconnaissons que notre colonialisme n’a servi à rien sinon à retarder l’évolution de nos colonisés ».

J’avance timidement : « L’état actuel de l’Afrique Noire et de l’Afrique du Nord, après plus d’un demi-siècle d’indépendance, ne me pousse pas à la culpabilisation et à la repentance… »

« Pour les Nègres et les Bicots (9), je vous l’accorde, me rétorque-t-il, mais vous ne connaissez pas le Vietnam. Les Vietnamiens sont  créatifs avec rien: regardez le Cyclo-pousse ».

Je lui demande naïvement : « Vous avez vécu là-bas mon général ? ». Et il me répond :

« Non mais j’y suis allé, en voyage organisé, avec ma femme, il y a 5 ou 6 ans. Ces jaunes sont des bosseurs. D’ailleurs, on le voit bien, chez nous, dans les restaurants asiatiques… ».

Diantre, j’ai affaire à un ancien d’Indo : respect ! Je n’ai plus qu’à la fermer. Et pourtant…

J’aurais pu dire à ce con glorieux que je connais, mieux que lui sans doute, la belle histoire de « notre » Indochine française. Et qu’en 2009, avant d’écrire mon premier livre (10), j’ai fait un long voyage en Indochine (je me refuse à dire Vietnam) : du delta du Mékong au Tonkin, de Saïgon (que je me refuse à appeler Hô-Chi-Minh-ville) à Hanoï, via Hué et Haïphong. J’ai terminé mon périple dans la magnifique Baie d’Along. J’ai succombé au charme de ce pays et de ses habitants. Et je comprends que nos colons, nos missionnaires, nos soldats aient pu attraper là-bas le « mal jaune ».

J’aurai pu expliquer à ce con pontifiant que je n’ai rien contre les bureaucrates, les gratte-papiers, les fourriers et autres compteurs de chaussettes – il en faut – mais je leur demande simplement de ne pas cracher sur le pays qui les paie (avec NOS impôts !). J’ai eu la chance, dans ma vie, de connaître ou de côtoyer plusieurs grands soldats : les généraux Jouhaud, Langlais, Caillaud, le colonel Château-Jobert, le capitaine Sergent, et tant d’autres encore…

Certains m’ont même honoré de leur amitié. J’ai un profond respect pour les gens capables de mettre leur peau au service d’un idéal, et ceux pour qui le patriotisme n’est pas un vain mot.

LA BELLE HISTOIRE DU CYCLO-POUSSE

J’aurai, enfin, pu dire à ce con ramenard et inculte qu’en l’écoutant j’ai pensé au vieux slogan soixante-huitard : « La culture c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale. » car le Cyclo-pousse qu’il a cité en exemple est, précisément, un  bienfait du colonialisme.

Il est arrivé en Indochine juste avant la seconde guerre mondiale, et il est l’œuvre d’un génial inventeur…charentais, Maurice Coupeaud, une « face de craie », un « souchien ».

Coupeaud n’a pu exporter son Cyclo-pousse, avec l’agrément de Georges Mendel, le ministre des colonies, qu’après l’avoir fait tester dans les allées du Bois-de-Boulogne par deux champions cyclistes, vedettes du Tour de France de 1937, Georges Speicher et Maurice Le Grévès.

Une expérimentation a ensuite été tentée, à l’automne 1938, à Phnom Penh où la circulation automobile était plus fluide qu’à Saïgon. Coupeaud a ensuite obtenu l’autorisation de s’implanter en Cochinchine. Quelques semaines plus tard, Maurice Coupeaud faisait fièrement son entrée dans Saïgon, à l’issue d’une course-marathon mémorable de 27 heures.

Dans l’esprit de son inventeur, comme dans celui du ministre Georges Mendel, le Cyclo-pousse constituait « un progrès dans le respect de la dignité de l’homme » qui n’était plus, tel l’antique coolie, « attelé comme une bête de somme à ses brancards », mais assis, trônant à l’arrière de l’engin. Voilà la véritable histoire du Cyclo-pousse, inventé en métropole, par un Français !

J’aurai pu raconter ça, mais… de n’ai rien dit. Oh, pas par courtoisie vis-à-vis de nos hôtes ! Pas par lâcheté non, plus ! Disons, par lassitude, car j’en ai ma claque de tous ces « idiots utiles », ces collabos même pas honteux, qui contribuent, par veulerie compassionnelle, à la dégénérescence de leur patrie ; patrie qui, accessoirement, est aussi la mienne, hélas !

Eric de Verdelhan
9 février 2022

 

 

 

 

                                                                                    

1)- Certains l’attribuent à Confucius, d’autres à Mao Zédong.

2)- Ceci est à relativiser : en général cette détestation émane surtout  des Africains (Afrique noire et Maghreb). Les Asiatiques sont plutôt bien intégrés.

3)- « L’Épopée coloniale de la France », d’Arthur Conte ; Plon ; 1992.

4)- Sauf erreur, dans « Devoir de Colère » ; Dualpha ; 2020.

5)- Ce service est indispensable au bon fonctionnement de notre armée mais admettons que les héros y sont relativement rares.

6)- « Opex » = Opération Extérieure.

7)-  « la Rouge » est la Légion d’Honneur et « la Bleue », l’Ordre National du Mérite.

8)- Ou à son appartenance à la Franc-maçonnerie ?

9)- Je ne fais que transcrire ses propos car chez ces gens-là, on n’est « pas raciste mais… »

10)- « Au capitaine de Diên-Biên-Phu » publié en 2011 chez SRE-éditions.

  

1 Commentaire

  1. « Supporte la décoration mais craint le feu », c’est exactement ce que le Maréchal Juin disait de son camarade DeGaulle .

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