CRÉATION D’UNE PLATEFORME POUR SIGNALER L’ISLAMOPHOBIE : VERS UNE INFLATION DES CHIFFRES ? (Arnaud FT)

Article paru sur le site Frontières Média le 03 mai 2025

Le gouvernement lancera fin mai une plateforme de signalement des actes antimusulmans, sur fond de polémique autour du traitement médiatique et politique de l’islamophobie.

 

Une initiative conjointe entre l’État et l’association ADDAM

Une plateforme de signalement en ligne des actes antimusulmans devrait voir le jour « avant fin mai », selon l’association ADDAM (Association de défense contre les discriminations et les actes antimusulmans) en lien avec l’État. L’objectif affiché : combler la supposée sous-déclaration des faits, et « apporter des données tangibles aux législateurs » afin d’élaborer « des solutions à un phénomène grandissant », a expliqué son président Bassirou Camara.

Le ministère de l’Intérieur a reconnu en février que les chiffres actuels — 173 faits enregistrés en 2024 — sont « sans doute en deçà de la réalité ». La plateforme, pensée comme un outil complémentaire au dépôt de plainte, vise à libérer la parole des victimes. Selon Mathias Ott, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, « une forme d’auto-censure, de crainte, et un sentiment d’inutilité » expliqueraient la faible remontée de signalements.

Des chiffres contestés et une mise en perspective

Si l’émotion est vive après le meurtre d’Aboubakar Cissé dans une mosquée du Gard, présenté comme un symptôme du « climat islamophobe ambiant » par plusieurs associations, les chiffres du ministère de l’Intérieur sur les actes antireligieux enregistrés entre 2020 et 2022 permettent un recul utile.

Durant cette période, 2 592 actes antichrétiens ont été recensés, contre 1 364 actes antisémites et 635 actes antimusulmans. Les violences physiques se répartissent ainsi : environ 150 contre des juifs, 50 contre des chrétiens, 25 contre des musulmans.

Ces données officielles viennent relativiser certains discours politiques ou médiatiques. Comme le note le député RN Matthias Renault dans un courrier adressé au ministre de l’Intérieur, « le signalement en ligne risque d’aboutir à une inflation artificielle des cas recensés sur des critères subjectifs, au détriment de la méthode judiciaire fondée sur la plainte ».

Il ajoute que « l’ADDAM est une association militante, qui a appelé à voter contre le RN aux législatives », et demande à ce que soit communiquée « une copie de la convention » entre l’État et l’association, afin de vérifier l’usage de fonds publics.

Le contexte émotionnel et les critiques contre Retailleau

L’annonce de cette plateforme intervient dans un climat tendu, une semaine après le meurtre d’un jeune musulman dans une mosquée. Le suspect a nié avoir agi contre l’islam malgré des insultes filmées visant la religion de la victime. La justice n’a pas retenu de qualification terroriste à ce stade, ce que plusieurs militants dénoncent comme un « deux poids, deux mesures ».

De nombreux participants aux rassemblements à Paris ou à La Grand-Combe ont critiqué un « déplacement trop tardif » du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, venu 48 heures après le drame. D’autres ont regretté ses propos jugés « stigmatisants », accusant le gouvernement d’alimenter le climat de défiance.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a dénoncé « des discours publics qui font du port du voile une menace » et appelé à « des actes concrets de protection des musulmans ».

Une mesure utile ou un outil politique ?

Si le principe d’un meilleur suivi des actes antimusulmans ne fait pas débat, la méthode choisie soulève des questions. La création d’un canal parallèle au dépôt de plainte, animé par une association militante, interroge sur la fiabilité des chiffres à venir et leur possible instrumentalisation. Comme le rappelle le ministère de l’Intérieur lui-même, l’islam est la deuxième religion de France avec 5 à 6 millions de fidèles, mais les actes recensés à leur encontre restent, dans les faits, inférieurs à ceux visant les chrétiens ou les juifs.

Le lancement de la plateforme, dans ce contexte de crispation post-drame, pourrait apparaître comme une réponse politique à des revendications communautaires, sans réflexion d’ensemble sur les actes antireligieux en France.

Arnaud FT

03 mai 2025

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