L’IRAN, UN PAYS ARABE ? CERTAINEMENT PAS ! (Anne Marie Picot)

À plusieurs reprises, j’ai entendu ou j’ai lu des gens parler de l’Iran, comme un pays peuplé d’arabes. Si on veut parler de ce pays d’une façon qui soit à peu près exacte, il faut commencer par intégrer cette donnée fondamentale que les Iraniens ne sont pas arabes. J’ai donc pensé intéressant de consacrer un développement à ce sujet, reprenant par ailleurs les points communs avec la civilisation européenne. Beaucoup plus qu’avec la culture arabe. 

L’Iran n’est pas un pays arabe : une civilisation plus proche de l’Europe que du monde arabe.

Dans le débat public, l’Iran est souvent présenté comme un pays du « monde musulman », indistinctement associé à ses voisins arabes. Or, cette assimilation repose sur une série de confusions. Sur plusieurs plans — linguistique, historique, religieux et social — l’Iran présente des caractéristiques propres, qui le distinguent nettement des pays arabes et le rapprochent, à certains égards, de l’Europe.

1. Langue et racines linguistiques

La langue persane, ou farsi, parlée en Iran, appartient au groupe des langues indo-européennes, au même titre que le français, l’allemand ou le grec. Elle partage donc avec les langues européennes un héritage lexical et grammatical ancien, hérité d’un tronc commun indo-iranien.
Par exemple, le mot « mère » se dit madar en persan, contre umm en arabe ; « père » : pedar en persan, ab en arabe ; « nom » : nâm en persan, ism en arabe. Ces différences sont structurantes : l’arabe est une langue sémitique, très éloignée sur le plan morphologique et syntaxique du persan comme des langues européennes.

2. Histoire et continuité civilisationnelle

L’Iran est l’héritier d’une civilisation ancienne, dont les origines remontent à plus de 7 000 ans, avec des formes étatiques structurées dès l’Empire élamite, puis sous les empires achéménide, parthe et sassanide.
Cette continuité historique contraste avec l’histoire plus fragmentée et souvent plus récente des sociétés de la péninsule arabique, où les structures tribales ont longtemps dominé et où la centralisation politique n’est apparue qu’à partir du XXᵉ siècle. À titre d’exemple, l’Arabie saoudite moderne n’est unifiée que depuis 1932. En comparaison, l’Iran a connu un État unifié, avec administration, fiscalité et droit codifié, dès l’Antiquité.

3. Religion : chiisme et sunnisme

L’islam est la religion dominante en Iran comme dans la majorité des pays arabes, mais la pratique et la doctrine diffèrent sensiblement.
L’Iran est majoritairement chiite duodécimain, une branche de l’islam minoritaire dans le monde musulman, et absente dans la plupart des pays arabes à l’exception de l’Irak, du Liban (Hezbollah) et de quelques communautés au Yémen ou à Bahreïn.
Le chiisme se distingue du sunnisme par son rapport à l’autorité religieuse, à l’histoire sacrée et à la figure de l’imam, ce qui entraîne une organisation du pouvoir religieux spécifique à l’Iran, sans équivalent dans le monde arabe.

4. Rapport à l’État et à la modernisation

Dès la fin du XIXᵉ siècle, l’Iran a initié des réformes modernisatrices (révolution constitutionnelle de 1906, dynastie Pahlavi), avec la mise en place d’un parlement, d’un appareil administratif laïc, et d’un système éducatif inspiré des modèles européens.
Dans de nombreux pays arabes, la centralisation étatique et la sécularisation ont été plus tardives, parfois limitées par des systèmes monarchiques ou militaires. L’État iranien, même islamique depuis 1979, reste doté d’une structure politique complexe, incluant un président élu, un parlement, et plusieurs corps administratifs.

5. Niveau d’instruction, en particulier des femmes

Malgré le régime théocratique en place depuis 1979, le taux d’alphabétisation en Iran est élevé, et le pays se distingue par une forte scolarisation des femmes, notamment dans l’enseignement supérieur.
Selon l’UNESCO, les femmes représentent aujourd’hui environ 60 % des étudiants dans les universités iraniennes. Dans de nombreux pays arabes, les écarts entre les sexes en matière d’éducation restent plus marqués, malgré des progrès récents (notamment au Maroc, en Tunisie ou en Jordanie).

6. Relations culturelles avec l’Europe

Historiquement, l’Iran a entretenu des liens culturels et diplomatiques constants avec les puissances européennes, depuis l’époque des Safavides jusqu’aux réformes des Pahlavi. Des milliers d’étudiants iraniens ont été formés dans les universités européennes dès le début du XXᵉ siècle.
La langue française, en particulier, a longtemps été enseignée dans les élites iraniennes. Ces relations diffèrent nettement des relations entre l’Europe et les pays du Golfe, qui ont été plus marquées par la colonisation ou par des logiques de coopération économique récente.

Conclusion

Sur la base de critères objectifs — langue, histoire, religion, éducation, institutions —, l’Iran se distingue nettement de ses voisins arabes. Il s’inscrit dans une trajectoire civilisationnelle autonome, souvent plus ancienne et plus structurée, avec des points de convergence nombreux avec les sociétés européennes.

Depuis la révolution de 1979, l’Iran a exprimé à plusieurs reprises une volonté de dialogue structuré avec l’Europe, visant à sortir de l’isolement diplomatique et à construire des relations durables, fondées sur le respect mutuel et les échanges économiques. Ce mouvement a connu plusieurs phases marquantes : l’appel au « dialogue des civilisations » du président Khatami à la fin des années 1990, les efforts diplomatiques intenses ayant conduit à la signature du traité sur le nucléaire iranien (JCPOA) en 2015, et les négociations menées sous Hassan Rohani pour maintenir des liens avec l’Union européenne malgré les tensions régionales.

Cependant, ces efforts ont été largement entravés non seulement par les rigidités internes du régime iranien, mais aussi par les limites de la diplomatie européenne elle-même. Après le retrait des États-Unis du JCPOA en 2018, l’Union européenne n’a pas su préserver l’accord ni offrir de garanties concrètes aux entreprises européennes, paralysées par les sanctions américaines.

Anne Marie Picot

24/06/2025


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