HONTE À DELOGU ! (Eric de Verdelhan)

«…Le 5 juillet 1962, c’est le drame. La foule des quartiers musulmans envahit la ville européenne, vers 11 h du matin. Des coups de feu éclatent. Dans les rues, soudain vides, commence une traque aux européens. Vers 15 h, l’intensité de la fusillade augmente encore. À un croc de boucherie, près du cinéma Rex, on peut voir, pendue, une des victimes de ce massacre. Les Français, affolés, se réfugient où ils peuvent, dans les locaux de « l’écho d’Oran », ou s’enfuient vers la base de Mers-el-Kébir… Le bilan du 5 juillet est lourd. Selon les chiffres donnés par le docteur Mostefa Naït, directeur du centre hospitalier d’Oran, 95 personnes ont été tuées (13 ont été abattues à coups de couteau). On compte 161 blessés. Les européens racontent des scènes de tortures, de pillages et surtout d’enlèvements. Le 8 mai 1963, le secrétaire d’État aux affaires algériennes déclare qu’il y aurait 3 080 personnes enlevées …On ne parlera plus, pendant longtemps, de ces « disparus »… ».

(Benjamin Stora).

Un député quasi illettré de LFI (La France Islamiste ?) s’est rendu tout récemment en Algérie et là, il a déclaré qu’il embrassait le drapeau algérien. En d’autres temps, quand notre pays avait encore des valeurs morales et une dignité, ce type aurait été embastillé et lourdement condamné pour traitrise ou « intelligence avec l’ennemi » mais parler d’intelligence pour ce personnage me semble déplacé. Sa déclaration, juste avant le 5 juillet, est une insulte à la France. Plusieurs élus de son parti l’ont lâché car, à l’approche des élections municipales et compte tenu de nos relations pour le moins tendues avec l’Algérie, les propos du sieur Delogu font un peu désordre…     

Ce 5 juillet est un anniversaire, un double anniversaire puisqu’il  marque le commencement d’une histoire glorieuse: la signature de l’accord de soumission du régent d’Alger Hussein Dey, le 5 juillet 1830 à Alger, début de notre colonisation en Algérie. Mais c’est aussi celui d’un drame atroce : les massacres d’Oran le 5 juillet 1962. Une tuerie qui reste oubliée, niée ou minorée. Elle clôturait  132 ans de présence française en Algérie. La fin d’une belle histoire qui s’achevait dans le sang.

Je n’ai aucune sympathie pour l’ancien trotskiste (et pro-FLN) Benjamin Stora, peu suspect de sympathie pour l’Algérie française, mais son descriptif des massacres d’Oran – bien que très minoré – est relativement exact. Cependant, sur ces évènements tragiques, j’aime autant m’en tenir aux avis de Guillaume Zeller(1), et Geneviève de Ternant(2) et de quelques autres moins suspects de partialité que Stora. J’ai traité ce sujet dans trois de mes livres, je vais essayer d’en faire un résumé :

Les Accords d’Évian ont fixé la date de cessez-le-feu – le 19 mars – entre la France et le FLN. Après le cessez-le-feu, le FLN n’est plus combattu par l’Armée française et peut agir librement. Dès le 19 mars, les massacres de harkis commencent  et la France laisse faire. Dès le 17 avril, une vague d’enlèvements s’abat sur Oran. On découvre plusieurs charniers du FLN. Les habitants du bled, eux-mêmes visés par les enlèvements, se replient massivement sur la ville. L’épouvante s’installe. C’est en avril que commence l’exode des européens d’Oran. II y a donc bien eu un précédent, long et meurtrier, aux massacres du 5 juillet. Le 26 juin 1962, l’OAS a cessé le combat. Ses effectifs ont quitté la ville pour l’Espagne ; les derniers partent le 28 juin. Les européens encore à Oran créent naïvement un « Comité de réconciliation » entre les deux communautés. Il tient une réunion le 28 juin. Au cours de cette réunion, le chef du FLN d’Oran, le capitaine Bakhti, se veut rassurant : « L’ALN est présente à Oran. Il n’est pas question d’égorgements. Au contraire, nous vous garantissons une vie meilleure… ».

Cependant, l’inquiétude est grande car le FLN poursuit ses exactions et les enlèvements continuent. Dans le petit peuple oranais, c’est la peur qui prédomine. Les européens continuent de quitter la ville. Mais bateaux et avions sont insuffisants pour assurer l’exode. À partir du 29 juin, une grève en métropole des personnels de navigation – grève fomentée par la CGT et les Communistes – vient tout aggraver. Le rythme des départs n’est que de 3 000 par jour.

Le « transfert de souveraineté » à l’exécutif provisoire a eu lieu le 3 juillet. L’Algérie est donc indépendante depuis ce jour ; De Gaulle a « reconnu » officiellement l’indépendance de l’Algérie, mais il ne l’a pas encore « proclamée ». Il doit le faire le soir du 5 juillet, à la télévision. Cette proclamation coïncide avec le 132ème anniversaire de la prise d’Alger par les Français. C’est encore une gifle morale pour la France ! Depuis le 1er juillet, des manifestations saluent l’indépendance.

Le chef de la Wilaya 5 (Oranie), le colonel Othmane a dépêché sur Oran sept katibas qui défilent dans Oran le 3 juillet. Le capitaine Bakhti ordonne de cesser toutes  manifestations. Le 4, elles reprennent en soirée. Sur « Radio-Alger », le GPRA appelle à des rassemblements pour le lendemain, 5 juillet, jour officiel de la proclamation de l’indépendance. À Oran, le capitaine Bakhti affirme qu’aucune manifestation n’est prévue. Il appelle à la reprise du travail. Bakhti informait le général Katz (par l’entremise du commandant Humbert, de la gendarmerie) des manifestations. Il ne le prévient pas d’une manifestation devant avoir lieu le jour de la proclamation de l’indépendance. Il ne le fera que le 5 juillet, « aux environs de midi », c’est-à-dire bien après le début des massacres. Les opinions divergent quant à la prise d’initiative de la manifestation. Katz avance que les musulmans, à l’écoute de « Radio-Alger », auraient spontanément décidé de défiler le 5 juillet. L’historien Fouad Soufi déclare que les milieux intellectuels, scouts musulmans et syndicalistes UGTA de la ville étaient hostiles à l’ALN de l’extérieur. Ces modérés auraient initié la manifestation. Les coups de feu faisant dégénérer la manifestation en tuerie auraient été, selon eux, une provocation des partisans de Ben Bella. En déclenchant volontairement des troubles violents, les « ultras » accentuaient l’exode des européens, et déconsidéraient le GPRA, ce qui justifiait l’entrée de l’ALN de l’extérieur dans la ville.

La manifestation se met en place, très tôt. Dès 7h du matin, la circulation automobile est perturbée. En tête, vont les scouts musulmans. Des banderoles anti-Ben Bella proclament : « Non au culte de la personnalité » ou « Un seul héros, le peuple ». Parti de Ville-Nouvelle, la foule, ce 5 juillet, progresse vers les quartiers européens. L’ALN doit hisser le drapeau algérien sur la façade de la mairie. Des soldats de l’ALN, en treillis  léopard, sont en effet présents (il pourrait s’agir d’hommes de la Wilaya 5, ou de l’ALN de l’extérieur). Le maintien de l’ordre est assuré par des ATO(3) en uniforme plus clair, submergés. À 11 h 15, un coup de feu d’origine inconnue est entendu, place d’Armes. On n’y prête guère attention, puisque on est familier des coups de feu (depuis le 1er juillet, l’habitude est prise de tirer en l’air pour manifester sa joie). Mais d’autres coups de feu répondent au premier. Des musulmans armés se mêlent à la foule. Certains sont en uniforme (ATO et ALN). Des manifestants sont armés et les tirs se généralisent. Un mouvement de panique s’empare de la foule.  Beaucoup se couchent à terre. Femmes et enfants s’enfuient. La fusillade est si nourrie qu’on ne peut dire qui tire sur qui. On ignore qui a pris l’initiative du massacre d’européens. En revanche, concernant son déroulement, les témoins sont unanimes à mettre en cause l’ALN, les ATO et plusieurs civils armés de pistolets, de haches et de couteaux. Au début, on voit les ATO s’impliquer dans les lynchages et dans les meurtres. Puis, les soldats de l’ALN s’imposent en nombre dans les exactions. Ils agressent les européens qu’ils rencontrent. C’est une véritable chasse à l’homme qui s’organise. Elle va mettre à feu et à sang les quartiers européens. Les hommes armés se ruent sur les immeubles, enfoncent les portes des appartements, ouvrent le feu dans les restaurants, arrêtent, enlèvent, égorgent, au hasard des rencontres. Des rafales de mitraillette arrosent les terrasses des cafés et les voitures. Sur les atrocités commises, les témoignages se recoupent : exécutions sommaires d’européens et de musulmans pro-français : lynchages, tortures, éviscérations, viols, pendaisons à un croc de boucher, mutilations, énucléations, c’est une véritable boucherie ! Entre 12h et 12h 30, la poste principale est envahie, les fonctionnaires présents sur place sont égorgés et une trentaine de personnes – hommes et femmes – sont enlevées, contraintes de se déplacer à genoux. À 13h 15, des Zouaves signalent de nombreux enlèvements d’européens. Les hommes de l’ALN quadrillent la ville. Ils enlèvent des personnes, et les regroupent. Ils conduisent des européens en cortège au commissariat central, ou vers le Petit Lac où sont pratiqués des assassinats de masse. Plusieurs prisonniers sont abattus en chemin. Les Accords d’Évian (article 5) prévoyaient que l’Armée française pourrait intervenir au cas où la sécurité de ressortissants français serait menacée,  et ce, jusqu’à la remise des pleins pouvoirs à une Assemblée Nationale algérienne élue. Il n’y a donc pas de risque de protestation de la part de l’exécutif provisoire algérien. Lors du conseil des ministres du 24 mai, Joxe a évoqué la peur dans laquelle vivaient les harkis et les européens, et De Gaulle a livré son sentiment avec un certain cynisme: « La France ne doit plus avoir aucune responsabilité dans le maintien de l’ordre après l’autodétermination. Elle aura le devoir d’assister les autorités algériennes mais ce sera de l’assistance technique. Si les gens s’entre-massacrent, ce sera l’affaire des nouvelles autorités. ».

Le 21 juin, lors de la réunion du conseil des Affaires Algériennes, De Gaulle a rejeté l’instruction de Pierre Messmer autorisant une intervention « d’initiative française » (c’est-à-dire non sollicitée par l’exécutif provisoire algérien). Pendant les massacres, quelques rares tirs furent dirigés sur les sentinelles françaises en faction devant la mairie, le Château Neuf (là où se tenait l’état-major du général Katz) et sur l’hôtel Martinez, qui hébergeait des officiers français. Les soldats français ripostèrent, pour la forme, avant de se barricader. L’Armée française se planquait sur consigne du général Katz, surnommé « le boucher d’Oran ».  L’horreur des massacres achève de terroriser la population européenne. En octobre 1962, il ne reste plus en Algérie que 200 000 « Pieds-noirs », sur environ un million et demi l’année précédente.

Si les témoignages confirment tous les insoutenables scènes de massacre, son ampleur est difficile à estimer. Les chiffres « officiels » (basés sur le premier témoignage du docteur Mostefa Naït, directeur de l’hôpital civil, et par ailleurs membre du FLN) faisaient état de 95 morts. Ils ne faisaient pas état des disparitions. La mort ou la disparition de musulmans ne fut pas signalée aux autorités françaises qui les considéraient, depuis l’indépendance le 3 juillet, comme des Algériens. Il y eut, ce jour-là, des dizaines de morts mais il y eut davantage d’enlèvements de personnes disparues depuis.

Sur l’ensemble de l’Algérie, en huit ans de guerre, de novembre 1954 au 19 mars 1962, 375 européens furent enlevés par le FLN. Le phénomène s’amplifia brutalement dès le cessez-le-feu puisque, du 19 mars à octobre 1962, c’est à dire en sept mois, il y eut 3 518 européens enlevés par le FLN. Un demi-siècle plus tard, ces personnes sont toujours considérées comme disparues.

Le lendemain du drame, le docteur Alquié, ancien adjoint au maire, recueille 500 dossiers de demandes de recherche. Jean Herly, consul de France, dit avoir été saisi de 448 plaintes (concernant meurtres et disparitions : une plainte pouvant concerner plusieurs personnes).  Les rapatriés parlent de « 3 000 disparus » à Oran, ce jour-là. Jean-Pierre Chevènement, préfet d’Oran par intérim le 6 juillet, cite le chiffre de 807 victimes que lui fournirent ses services. Jean-Jacques Jordi ne dissocie pas les victimes du 5 juillet de celles des jours qui précèdent et qui suivent. Il évoque tout d’abord des chiffres de 1962 : cette année-là, Jean-Marie Huille, conseiller technique pour les affaires militaires, indique dans une note qu’« il y a eu 671 victimes françaises des événements d’Oran (disparus et décédés) ». En tenant compte « des cas dits incertains », Jordi estime qu’il y a eu en quelques jours, dans le grand Oran, 700 morts et disparus européens. « Le massacre du 5 juillet d’Oran, écrit Georges-Marc Benamou, semble être un événement clandestin, fantasmé, et dont seuls les survivants se repassent le souvenir. Aucune étude historique définitive. Pas de véritable investigation. Très peu de livres. Aucun hommage officiel de la République… ».

Je vais m’arrêter là ! Mais de grâce, monsieur Delogu, taisez-vous et respectez NOS morts !

Eric de Verdelhan.

05/07/2025

1) « Oran, 5 juillet 1962, un massacre oublié » de Guillaume Zeller ; Taillandier ; 1912.

2) « L’agonie d’Oran » de Geneviève de Ternant ; Gandini ; 1996. 

3) Auxiliaires Temporaires Occasionnels : une sorte de milice à la solde du FLN.

 


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