Le gouvernement a procédé en Syrie à une mission de guerre en l’absence de tout droit et de toute preuve, transgressant les règles du droit international. En dehors du ridicule d’un bombardement de bâtiments désaffectés vides de tout personnel russe ou syrien (ceux-ci ayant été prévenus fin d’éviter que des morts ne soient une cause de représailles russes) s’applique ici le proverbe océanien “Quand on monte au cocotier, il faut avoir le derrière propre”. Le président aurait du y penser avant de suivre aveuglément les faucons américains qui ont décidé de l’opération.
Le général Delawarde ayant expliqué sur Minurne pourquoi la responsabilité de Bachar el-Assad est peu vraisemblable, le général américain James Mattis, secrétaire d’État à la Défense, et le général anglais Jonathan Show pensant la même chose (voir l’article du général Delawarde), il est inutile que je revienne sur le mensonge qui a provoqué la destruction de quelques bicoques syriennes. D’autant que les “preuves” invoquées provenant toutes de sources djihadistes (OSDH, Casques Blancs, etc.) ou de fonctionnaires de l’État, sont toutes sujettes à caution.
Par contre, puisqu’il s’agit paraît-il d’une punition pour avoir franchi “la ligne rouge” de l’interdiction de fabriquer des gaz mortels, il faut savoir que la France en a un stock conséquent, avoisinant les 260 tonnes identifiées, et probablement une centaine de tonnes de plus, mais le tonnage exact des fabrications de ces dernières années est un secret défense bien gardé. (Et c’est logique !)
L’homme utilise des armes chimiques depuis la préhistoire, flèches empoisonnées, têtes de javelots et poignards trempés dans du venin de serpent, de scorpions ou de grenouilles dendrobates. Mortels, mais écolos ! Avec le développement de la chimie, sont arrivés des poisons bien plus efficaces, faits pour les tueries de masse : chlore, phosgène, ypérite, trichloréthylamine, léwisite, adamsite, etc.
Ce sont généralement des composés organophosphorés (OP) dont la version “civile” est les pesticides comme le malathion ou le roundup (herbicide produit par la compagnie américaine Monsanto commercialisé depuis 1975. Il est utilisé en épandage et peut l’être en pulvérisateur manuel. C’est un herbicide non-sélectif, d’où le qualificatif d’« herbicide total », dont la substance active (herbicide) est le fameux glyphosate. C’est un produit toxique, irritant et écotoxique et cancérogène probable. En France, une interdiction de la vente libre aux particuliers de ce produit est − toujours − à l’étude…). Ils agissent sur le système nerveux. Le bien connu sarin est un gaz de guerre OP qui agit à très faible dose et disparaît en quatre heures, permettant aux soldats de venir sur site sans risque.
Depuis la guerre de 14-18 où ils ont été utilisés en abondance, tous les pays susceptibles d’avoir à gérer une guerre en ont fabriqué, nomment les Allemands qui en ont abandonné des stocks importants (généralement sous forme d’obus) en se repliant. Ils ont été recueillis par l’armée française, stockés dans des bases militaires où ils attendent toujours qu’on les traite ! Ce sont officiellement les 260 tonnes déclarées.
Pourquoi ne pas les avoir détruits ? – Officiellement parce que le coût de leur destruction est élevé, environ dix fois plus que celui de leur fabrication. Et aussi sous le prétexte qu’ils servent à expérimenter des contre-poisons pour protéger nos militaires en cas d’attaque au gaz. En réalité, parce que tout le monde les garde “au cas où…”
Seulement, qui dit “expérimentation”, avoue qu’il y a donc des laboratoires où l’on manipule ces gaz. L’armée a toujours été discrète sur ce sujet. D’ailleurs, la France a continué de produire des armes chimiques jusqu’en 1987, date à laquelle elle a officiellement arrêté toute fabrication.
Seulement, en 1995, l’un des sites les plus sensibles, géré par la Société Nationale des Poudres et Explosifs (SNPE), à l’extrémité sud-est de l’usine AZF de Toulouse, a explosé le 21 septembre 2001, quatorze ans après sa fermeture officielle ! Cause ou conséquence de l’explosion du transformateur EDF à qui les autorités imputèrent la catastrophe ? Le mystère n’est toujours pas éclairci. Secret défense.
De même, à la même époque, la « Société du Chlore Liquide » à Pont-de-Claix dans la vallée du Drac, avait une usine qui produisait industriellement du chlore et ses dérivés, notamment celui plus connu sous le nom “d’agent orange”, un défoliant militaire.
Et puis, le plus intéressant : le centre d’études du Bouchet, établissement militaire secret situé dans l’Essonne. Officiellement, il travaillait à la protection des soldats. En réalité, il mettait au point des agents toxiques militarisés. Le but jamais avoué : pouvoir doter la France, en quelques mois, d’un vaste arsenal chimique. Le Bouchet, se trouve à Vert-le-Petit, à une quarantaine de kilomètres au sud de Paris, dans une ancienne poudrerie qui date de Louis XIV. Le centre, protégé par de hauts murs et des barrières, s’étend sur une quinzaine d’hectares, en pleine nature. Il y a une vingtaine de bâtiments bas, isolés les uns des autres. Lorsqu’on fabrique des produits toxiques ou qu’on les manipule, il ne faut pas travailler dans des immeubles hauts, sinon on maîtrise mal les flux d’air. Environ deux cents personnes y travaillaient, et y travaillent semble-t-il toujours, dont une cinquantaine pour la chimie, le reste sur les armes biologiques et la protection. Le tout dépend de la DGA (Direction Générale de l’Armement).
L’expérimentation se faisait sur des animaux. “Nous avions une animalerie, avec des rats surtout. Quand nous obtenions des produits intéressants, nous les testions aussi sur des chiens ou des cochons. On se servait aussi de chimpanzés, mais très rarement. On a travaillé uniquement sur des animaux jusqu’au milieu des années 1980. En 2006, on n’en faisait [des expérimentations] presque plus”, a raconté un ancien chef de service à L’Obs en 2013.
Résumons : en 1987 la France ne fabrique officiellement plus de gaz de combats, mais en 2001 un atelier explose à Toulouse et en 2006 on expérimente encore dans l’Essonne des “produits intéressants” que l’on vient de mettre au point.
En 14-18, on avait le chlore, le phosgène ou l’ypérite, qui tuaient seulement après plusieurs jours. En 2006, les “produits intéressants”, des organophosphorés (OP) et des “binaires”, sont cent fois plus efficaces. L’avantage tactique du sarin est qu’il est très volatil : en trois ou quatre heures, il a disparu de l’atmosphère, et l’attaquant peut donc venir occuper le terrain. Maintenant, il y a le VX, cet “OP” est une huile qui pénètre dans la peau en deux, trois minutes. Persistant, il rend un terrain inutilisable pendant plusieurs semaines, parfois davantage s’il n’y a pas de pluie. [1]
Le meilleur est le “soman”. Il suffit de 6 milligrammes pour tuer un homme, et il n’y a pas d’antidote. Il coûte cher à la fabrication. De plus, il est très difficile à obtenir puisque son produit de base, l’alcool pinacolique [2], n’a pas d’usage civil. Il faut donc construire une installation spéciale pour sa fabrication. Il semble que seuls les Russes l’aient militarisé.
Dans un livre publié en 2006 (“War of Nerves”) l’un des meilleurs spécialistes américains des armes chimiques, Jonathan Tucker, assure que, dans les années 1960, la France a produit plusieurs dizaines de tonnes de sarin et 400 kilos de VX dans l’usine de Braqueville près de Toulouse. Mais vérification faite, c’est inexact, pour le sarin, il ne s’agissait que d’une centaine de kilos. C’est le “tabun” dont la France a fabriqué une dizaine de tonnes. Le tabun est un peu moins toxique que le soman, il ne peut être fabriqué par des amateurs, c’est un N-diméthylaminocyanophosphite d’éthyle [3]. Les tests ont eu lieu avec une collaboration américaine à Mourmelon où il est probablement stocké, Le Bouchet n’étant pas adapté à du stockage de gros volumes. Mais si vous posez la question, on vous répondra probablement que tout a été consommé dans les tests !
Le top-du-top, ce sont les armes chimiques binaires. Vous prenez deux agents peu nocifs séparément qui, mélangés, produisent un dangereux toxique. Vous les mettez dans deux boîtes séparées, à l’intérieur d’un obus. Lors de la mise à feu, les boîtes sont écrasées par l’accélération, s’ouvrent, et les deux agents se mélangent sous l’effet de la rotation. La synthèse se fait alors en quelques secondes. Ces armes sont donc peu dangereuses au “repos”. D’où leur succès dans les années 1980, quand tout le monde s’est intéressé à ce concept. Seuls les Américains ont déclaré posséder un arsenal de ce type. Mais qu’en est-il vraiment pour les autres, Russie, Chine, France ?
Le plus drôle, quand on connaît les leçons de morale que donne la gauche sur les questions militaires et l’usage des gaz mortels, c’est que le programme de fabrication de centaines de tonnes de gaz militaires (nom de code “acacia”) a été ordonné en 1986 par Mitterrand ! On vous jurera qu’il a été abandonné deux ans après. Mais alors que fabriquait “au rythme de quelques kilos par jour” le Centre du Binet encore vingt ans plus tard, et que font les 50 chimistes qui s’y trouvent toujours ? – Ils jouent à la belote ?
Mais soyez rassurés, au milieu des années 1990, le centre du Bouchet s’est doté d’un comité d’éthique pour tout ce qui concerne l’expérimentation animale ! C’est lui qui décidait, et décide encore, de l’opportunité d’effectuer certains essais.
L’Imprécateur
19/04/2018
[1] Le VX pénètre sans difficulté tous les « vêtements de protection ».
[2] Dérivant du pinacol, molécule de base se présentant sous la forme d’un solide jaune clair servant à la fabrication du « soman » (voir note 3).
[3] Le terme scientifique IUPAC (N-diméthylaminocyanophosphite d’éthyle) est plus connu sous le nom « tabun ». C’est un gaz neurotoxique très dangereux par inhalation ou contact épidermique, comme le soman, le sarin ou le VX, à peine moins nocif que le soman. Il se présente sous la forme d’un liquide incolore ou brun selon son degré de pureté. Symptômes : vomissements, salivations, diarrhées, vertiges, coma. Il s’attaque aux systèmes nerveux et respiratoire dont la paralysie par rétrécissement des bronches provoque la mort en 20 minutes. Seule antidote (si immédiatement injectée) : l’atropine, dont sont équipés les militaires potentiellement au contact. Il n’est pas sot d’en avoir en réserve chez soi…