LA BATAILLE DE LA MARNE – 5 au 12 septembre 1914 (Eric de Verdelhan)

« Les armées allemandes sont entrées en France, de Cambrai aux Vosges, après une série de combats victorieux. L’ennemi, en pleine retraite, n’est plus capable d’offrir une résistance sérieuse ».
(Communiqué allemand du 27 août 1914)

« On a vu déjà les effets dissolvants de ces marches en retraite répétées, le plus souvent de nuit… Effectifs fondus, traînards tombés aux mains de l’ennemi, bagages perdus, fusils et canons enlevés et, surtout, disparition du moral de la troupe… ».
(Général Gallieni, début septembre 1914)

 

 

En ce mois de septembre, ayons une pensée pour nos soldats, nos poilus, tombés durant la bataille (LES batailles) de la Marne, qui n’est finalement connue que pour ses célèbres taxis.

Dès le début de la Grande Guerre, la situation militaire est en faveur des Armées allemandes, qui remportent, dans la seconde moitié d’août 1914, une série de victoires : Sur le front de l’Ouest en Lorraine (bataille de Morhange, le 20 août 1914), en Belgique (batailles des Ardennes, du 21 au 23 août, de Charleroi, du 21 au 23, et de Mons, le 23), et sur le front de l’Est (bataille de Tannenberg, du 26 au 29 août).

Sur le plateau lorrain et dans les Vosges l’Armée française recule.
Le 23 août elle arrive péniblement à tenir ses positions face aux attaques allemandes (bataille de la Trouée de Charmes, du 24 au 26 août), mais toutes les unités – françaises et britanniques – qui s’étaient avancées en Belgique battent en retraite à partir du soir du 23 août.

Une telle situation s’explique, en partie, par la disproportion des forces entre Allemands et Franco-britanniques : l’état-major allemand a choisi de masser face à la Belgique et au Luxembourg la majorité de ses unités, 59 Divisions (soit 1.214.160 combattants) regroupées au sein de cinq Armées, formant l’aile droite allemande. La défense de l’Alsace-Lorraine était confiée à une aile gauche de 16 Divisions (402 000 combattants) regroupées dans deux Armées.  

Les Français, eux, n’avaient prévu de déployer que 16 Divisions (299 350 hommes) face à la Belgique. Elles seront renforcées au moment de la bataille des Frontières, par l’envoi des 3ème  et 4ème  Armées françaises et d’un Corps expéditionnaire britannique. Vite dominées, les Armées franco-britanniques repassent la frontière franco-belge, puis se replient vers le sud-sud-ouest : cette retraite s’éternise pendant quinze jours, jusqu’au début du mois de septembre, où les troupes, épuisées, arrivent  quasiment aux portes de Paris. Cette débâcle est imputable au commandement.

A cette époque, le fantassin français est totalement inadapté à la guerre moderne : chargé comme un mulet, habillé du fameux « pantalon garance », on lui impose des assauts à la baïonnette contre des mitrailleuses. Ses chefs, pour la plupart, en sont restés aux guerres de l’Empire !  

Le commandement est incarné par le généralissime Joseph Joffre. Nommé, en 1911, Chef d’État-Major des Armées, ce brillant polytechnicien a appris à faire la guerre en… 1870.

Initié à la franc-maçonnerie en 1875 (Loge Alsace-Lorraine), alors qu’il était capitaine, il fait partie des nombreux officiers maçons dont l’avancement sera favorisé par le général André (1), lorsqu’il était ministre de la Guerre (1900-1902), à une époque très anticléricale.

Nos troupes reculent partout. Joffre rejette la responsabilité de la défaite sur ses subalternes auxquels il reproche de ne pas être assez offensifs. Et il limoge ceux qu’il juge incompétents.

Le 25 août, il veut arrêter la retraite derrière la Somme et l’Aisne. Six Divisions sont prélevées sur le front d’Alsace-Lorraine et envoyées, à partir du 27 août, autour de Péronne, d’Amiens et de Montdidier. Mais le débarquement de ces troupes est menacé par l’approche des unités de cavalerie allemandes : le projet de bataille sur la ligne Somme-Aisne est annulé le 31 août.

Le 2 septembre, Joffre annonce à ses généraux son projet de rétablissement le long de la Seine et de l’Aube. Il  compte s’y fortifier et compléter ses troupes avant de passer à l’offensive.

Tous ces renforts arrivent par voies ferrées, ce qui permet le renforcement de l’aile gauche française : de 45 Divisions le 23 août, elle passe à 57 le 6 septembre, puis 70 le 9 septembre.

L’aile droite allemande s’est lancée à la poursuite des Français et des Britanniques, cavalerie en tête. Cette poursuite est menée au pas de charge : les étapes sont de 40 à 45 kilomètres par jour.

Le 27, le Chef de l’État-Major allemand, le général Von Moltke, envoie à ses généraux une directive fixant les axes de marche vers Paris. Les forces allemandes engagées sont de 44 Divisions d’infanterie et de 7 Divisions de cavalerie, soit environ 900 000 hommes (et 2 928 canons).

Le 30 août, la 1ère Armée allemande marche vers le sud-sud-est au lieu du sud-ouest ; Moltke ordonne d’éviter Paris : la 1ère Armée avance désormais sur Meaux, la 2ème  sur Épernay et la 3ème  sur Châlons. Le 3 septembre, des aviateurs français constatent que les colonnes de la 1ère Armée allemande infléchissent leur marche vers le sud-est et ne vont donc pas sur Paris. Les aviateurs en avertissent aussitôt un officier français (2).

Le 4, le Gouverneur de Paris, le général Gallieni, donne ordre à la 6ème Armée française de se redéployer au nord-est de Paris et de marcher vers l’est entre l’Ourcq et la Marne, prenant ainsi l’initiative d’engager la bataille. Joffre, qui voulait attendre quelques jours de plus, est convaincu par Gallieni et ordonne, le 4 au soir, à toutes les Armées françaises de se préparer à faire front :

« Il convient de profiter de la situation aventurée de la 1ère Armée allemande pour concentrer sur elle nos efforts … Toutes dispositions seront prises en vue de partir à l’attaque le 6 septembre ».

Puis Joffre informe le ministre de la Guerre, Millerand, réfugié à Bordeaux devant la menace pesant sur Paris : « La lutte qui va s’engager peut avoir des résultats décisifs, mais peut aussi avoir pour le pays, en cas d’échec, les conséquences les plus graves. Je suis décidé à engager toutes nos troupes … ».
C’est ainsi que commencent LES batailles de la Marne.

La bataille de l’Ourcq désigne les combats du 5 au 9 septembre sur la rive droite de la Marne, entre Nanteuil-le-Haudouin et Meaux, entre la 6ème Armée française (du général Maunoury) et l’aile droite de la 1ère  Armée allemande (du général von Kluck). Notre 6ème Armée va recevoir des renforts, cinq Divisions envoyées par Gallieni. Une Brigade de la 7ème Division d’infanterie est même acheminée de Paris à Nanteuil à bord de taxis réquisitionnés. Ainsi naît l’histoire des « Taxis de la Marne » : leur utilisation est plus anecdotique que décisive dans le sort de la bataille. Dans l’après-midi du 9, les Allemands décrochent et les Français, trop épuisés, ne les poursuivent pas.

La bataille des Deux Morins.  Il s’agit des combats du 6 au 9 septembre en Brie champenoise, d’abord sur le Grand Morin puis sur le Petit Morin, entre le Corps expéditionnaire britannique (du Maréchal French) et la 5ème Armée française (du général Franchet d’Esperey) et, en face, l’aile gauche de la 1ère Armée (du général von Kluck) et l’aile droite de la 2ème  Armée (du général von Bülow).

Les Franco-britanniques avancent, les 6 et 7 sur le Grand Morin, les 7 et 8 sur le Petit Morin, le 8 sur le Dolloir et la Marne. Le 9 septembre au matin, le général Lauenstein décide de faire battre en retraite son Armée, qui est menacée sur sa droite, derrière la Marne. Les Divisions britanniques franchissent la Marne à Charly et Nanteuil, tandis que la cavalerie française atteint Château-Thierry.

La bataille des marais de Saint-Gond concerne les combats du 6 au 9 septembre, entre Sézanne et Mailly-le-Camp, entre la 9ème Armée française (du général Foch) et l’aile gauche de la 2ème  Armée allemande et l’aile droite de la 3ème Armée (du général von Hausen).

Dans la nuit du 4 au 5 septembre, Joffre ordonne à Foch d’entreprendre une action offensive sur les troupes allemandes présentes en face de son Armée. Le 6, nos troupes font mouvement vers le nord mais sont rapidement bloquées par les  Allemands. Foch doit établir des positions défensives et les protéger. Du 6 au 8 septembre, les combats sont de plus en plus intenses. Plusieurs villages sont pris et perdus plusieurs fois. Les troupes présentes au nord des marais de Saint-Gond sont rapidement repoussées mais toutes les tentatives pour franchir les marais sont bloquées.

Dans la nuit du 8 et au 9 septembre, l’aile droite française est enfoncée. Dans la journée du 9 septembre, Foch prend le contrôle du 10ème Corps d’armée français. Il peut ainsi dégager la 42ème Division d’infanterie pour se constituer une réserve. L’aile gauche de la 9ème Armée est fortement attaquée et cède le village et le château de Mondement, un point d’observation qui domine le champ de bataille. Le soir même, le 77ème Régiment d’infanterie, soutenu par l’artillerie de la 42ème  Division d’infanterie et par une Division marocaine, reprend le château.

Le 10 septembre, devant la pression de la 5ème Armée française, la 2ème Armée allemande entame un repli pour éviter l’encerclement. 

Ce mouvement entraîne également le repli des troupes de la 3ème Armée allemande. Foch et son armée restent maîtres du champ de bataille et entament la poursuite des Allemands.

La bataille de Vitry est celle des combats du 6 au 10 septembre en Champagne crayeuse, autour de Vitry-le-François, entre l’aile gauche et le centre de la 4ème  Armée française (du général de Langle de Cary) et l’aile droite de la 4ème Armée allemande (du duc de Wurtemberg) et l’aile gauche de la 3ème Armée allemande (du général von Hausen).

La bataille de Revigny désigne les combats du 6 au 12 septembre au sud de l’Argonne, autour de Revigny-sur-Ornain, entre l’aile droite de la 4ème Armée française, l’aile gauche de la 3ème  Armée française (du général Sarrail) et l’aile gauche de la 4ème Armée allemande et de la 5ème  Armée (du prince-héritier de Prusse). Les troupes allemandes tentent de percer les lignes françaises en lançant des combats frontaux très meurtriers. Les Français sont contraints d’adopter une posture défensive, l’arrivée du 15ème Corps d’armée en provenance de Lorraine permet au général Sarrail de renforcer son aile gauche malmenée par les attaques allemandes et d’empêcher la rupture du front.

Le 10 septembre, la 2ème Armée allemande, menacée d’encerclement, amorce son repli entraînant avec elle la 3ème Armée. Le 12 septembre, les Français obligent la 4ème Armée allemande à rompre le combat et à se replier au-delà de l’Argonne. La 5ème Armée, également menacée, est contrainte de se replier en passant entre l’Argonne et Verdun.

Bien que, sans carte d’état-major, tout ceci soit assez confus, il faut retenir que la « bataille de la Marne » a comporté, en fait cinq batailles et que les légendaires « taxis de la Marne » ont transporté bien peu de soldats. Mais ils font partie du folklore, de l’imagerie populaire, de notre roman national, donc soyons-en fiers ! Ils incarnent le « système  D » à la française.

Le coup d’arrêt de la Marne marque l’échec de la manœuvre allemande à travers la Belgique et le Nord de la France (Le « plan Schlieffen »). Mais, le général Chambe, alors jeune officier de cavalerie, dira « ce fut une bataille gagnée mais une victoire perdue » : en effet, si les Armées franco-britanniques mirent un terme à l’avancée des Armées de Moltke, elles ne purent (ou ne surent ?) exploiter cet avantage en les repoussant hors de nos frontières. Dès le 13 septembre, les Allemands s’installent sur les rives de l’Aisne : nos  attaques n’arrivent pas à les déloger et le front se stabilise en s’enterrant dans des tranchées. Mais les Allemands, ne sont pas parvenus à prendre Paris et c’est ce que l’histoire retiendra.  

Sur le million d’hommes engagés de part et d’autre, les pertes, dans chaque camp, sont de 250 000 tués, blessés et disparus, auxquels s’ajoutent plus de 15 000 prisonniers allemands.

Après la bataille, Joffre renvoie « à Limoges » (3), ou assigne à résidence, cent trente-quatre généraux. Lui, en revanche, ne se remet pas en cause ; il était pourtant leur chef !

La « bataille de la Marne », durant laquelle les fameux taxis ont joué un rôle plus pittoresque que décisif, met un coup d’arrêt provisoire à l’offensive allemande, mais voit s’évanouir l’espoir d’une guerre « fraîche, joyeuse et courte ». Les pertes, extrêmement sévères, sont bien plus importantes que les stratèges ne l’avaient prévu. La Grande Guerre ne fait que commencer.

La France y alignera 8 millions d’hommes,  et elle en fera tuer… 1,4 million.

Les monuments aux morts de chaque commune sont là pour nous rappeler leur sacrifice.

Mais cette bataille de la Marne va contribuer à couvrir de gloire le général Joffre. Aux yeux de tous, il devrait être celui qui a laissé les Boches menacer Paris, mais, en France, on aime aduler les vainqueurs. On estime donc qu’il a permis de sauver la capitale, ce qui n’est pas faux.

Dans tout le pays, mais aussi chez nos Alliés, Joffre va jouir d’une grande popularité. Jusqu’à sa mort, en janvier 1931, il fera l’objet d’un véritable culte. De nombreuses images d’Épinal montrent « le vainqueur de la Marne ». Des poèmes, des assiettes, des livres, des statuettes à son effigie mettent en avant sa gloire. Entre 1915 et 1918, cet engouement idiot va jusqu’à prénommer 398 garçons « Joffre » (et 700 filles – les pauvres ! – se prénommeront « Joffrette ».)

Il faudra attendre le 26 décembre 1916, pour que le président du Conseil, Aristide Briand, se décide enfin à le remplacer.  Et, pour que la pilule ne soit pas trop amère,  on en fera un Maréchal de France.  Après la seconde guerre mondiale, on se chargera d’influencer l’inconscient collectif, pour que « le vainqueur de la Marne » supplante « le vainqueur de Verdun » – Philippe Pétain – dans le cœur des Français.  Ainsi s’écrit l’histoire !

Éric de Verdelhan

18 septembre 2021 

 

 

 

 

                                                                                                                

1)- Cf : le scandale provoqué, en 1904, par « L’affaire des fiches » : le général André, ministre de la guerre, faisait ficher les officiers catholiques pour freiner leur carrière.

2)- Qui se trouve être Alfred Dreyfus, celui de « l’affaire Dreyfus ».

 3)- 134 généraux seront « limogés » (le terme date de cette époque) ; tous n’étaient pas des incapables mais il fallait trouver des responsables.

 

3 Commentaires

  1. Bonjour,
    Vous passez un peu vite sur les causes profondes des défaites de la bataille aux frontières qui précèdent la bataille de la Marne. La doctrine de l’Armée française “l’attaque à outrance à l’arme froide (la Baïonnette)” qui nous a valu des quantités impressionnantes de tués. Doctrine totalement incompatible avec la guerre industrielle, artillerie lourde inexistante ou presque, artillerie de campagne qui ne peut contre-battre les batteries lourdes ennemies. Les généraux commandants d’armées n’ont reçu que des consignes évasives pour diriger leurs actions face à l’ennemi. Quant à l’équipement du “pioupiou” français mis à part les couleurs voyantes il n’a rien à envier au soldat ennemi. Ne pas oublier, que l’épisode de la bataille de MORHANGE va donner lieu à la plus basse opération pour épargner le G.Q.G et son “chef” des défaites successives depuis le début des hostilités. C’est les troupes du Midi qui feront les frais de cette bavure politico-militaire. J’arrête là, mais il y a de quoi argumenter ce funeste début de conflit.

  2. “Joffre va jouir d’une grande popularité.” Et pourtant il reçut son bâton de maréchal dans l’intimité de son bureau et Foch du insister lourdement pour qu’il défile à ses côtés en 1919 !

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