LE PROCHAIN DOMINO EST L’AFRIQUE (Jean Goychman)

Le fait que la conférence annuelle des BRICS se tienne en Afrique du Sud était déjà un symbole fort en lui-même. Emmanuel Macron, bien que non-invité, a tenté sans succès de « forcer le passage » et peut-être vivait-il encore dans un monde où la France avait encore l’oreille des pays « non-alignés » ?

Pour cela, il aurait fallu rompre depuis longtemps avec une influence américaine d’autant plus active  que le monde « non-occidental » manifestait une réelle volonté d’indépendance à son encontre.

La guerre en Ukraine a été un accélérateur prodigieux de partage d’un monde déjà « prédécoupé » entre le grand bénéficiaire des « années-dollar », c’est-à-dire les Etats-Unis et, dans une moindre mesure, le reste de l’Occident. Cette guerre possède une apparence: le combat pour la démocratie et le droit international face au mal absolu qu’est la Russie, à laquelle il faut redonner l’apparence de l’URSS. Mais sa réalité est bien différente: il s’agit de l’affrontement armé par personnes interposées  de ces deux mondes qui ne se supportent plus.

UN RAPPORT DE FORCES QUI ÉVOLUE RAPIDEMENT

Qui aurait cru il y a quinze ans que le règne du dollar pouvait s’achever ? Lorsque le sénateur Conally, ancien gouverneur du Texas et secrétaire d’État au Trésor américain avait déclaré, non sans cynisme que « le dollar est notre monnaie et c’est votre problème » en s’adressant au reste du monde, personne n’avait osé émettre la moindre protestation contre ce qui était manifestement « un abus de position dominante ». Cet abus a ensuite conduit à « l’extra-territorialisation du droit américain » par le simple fait qu’utiliser le dollar donnait aux Etats-Unis un droit universel de regard qui pouvait ainsi étendre leur juridiction au monde entier.

Étant évident qu’aucun pays ne disposait à lui-seul des moyens qui auraient pu inciter les Etats-Unis à une réflexion sur le bien-fondé de leur politique dans laquelle on pouvait distinguer, comme aurait le regretté Michel Audiart, « un vague cousinage » avec l’impérialisme, il fallait trouver le moyen d’établir, voire d’inverser ce rapport de forces.

Le monde ayant toujours plus ou moins aspiré au modèle de « la paix de Westphalie », encore fallait-il trouver les termes d’une entente résultant d’intérêts convergents permettant de se réunir.

Cela a pris du temps et des formes différentes, mais ces démarches ont eu pour résultat la création d’instances regroupant chacune différents pays, dont certains peuvent appartenir à différents groupes. C’est ainsi que les BRICS, l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï) et l’UEE (Union Economique Eurasiatique) ont vu le jour.

Certains disent que l’élément moteur de ces regroupements est la haine contre l’Occident au travers des valeurs de la liberté et de la démocratie. C’est beau comme l’Antique, mais est-ce vrai ?

UN GOUVERNEMENT MONDIAL POUR UNE POLITIQUE MONDIALE.

Voulant imposer à tous les pays les mêmes lois, beaucoup d’entre-eux y voient surtout une mainmise hégémonique d’un Occident qui veut garder ses privilèges.

En réalité, beaucoup de pays ne voient aucun inconvénient à ce que l’Occident ait fait de la démocratie son système politique, mais ils sont plus réservés quant à l’étendre systématiquement à la planète entière. Ils ont, pour beaucoup, d’autres préoccupations plus urgentes et plus en rapport avec leur propre survie. Beaucoup de pays africains voient arriver avec inquiétude les mesures dites « de transition énergétique ».  Christian Gérondeau dans son livre « Climat: j’accuse ! », dans la postface duquel on peut lire:


résume bien leur situation. Aujourd’hui encore, ce sont plus de 3 milliards d’êtres humains qui n’ont pas accès à l’électricité. Comme le rappelait le Premier Ministre indien Modi il y a quelques années :

« 300 millions sur 1,25 milliard d’Indiens restent, selon lui, privés d’électricité et l’Inde ne compte pas renoncer à ses abondantes ressources en charbon pour leur fournir de l’énergie »

Trois milliards, c’est 40% de l’Humanité. Ne doutons pas que ces gens-là iront vers ceux qui les aideront à se doter de moyens de production d’électricité, même si ce ne sont pas des « démocraties de la plus belle eau »

DOTER L’AFRIQUE DE GRANDES INFRASTRUCTURES

Il y a également un autre aspect, qui concerne plus particulièrement l’Afrique. Certains pays des BRICS et notamment la Chine, ont pris des initiatives en matière de développement deshttps://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/de/Cecil_Rhodes_ww.jpg/220px-Cecil_Rhodes_ww.jpg infrastructures. L’Afrique fait partie du « bloc continental » que McKinder appellait « l’ile du monde » et jusqu’à présent le développement des infrastructures s’est surtout fait dans les régions côtières. Cecil Rhodes avait bien le projet de relier par voie ferrée le Cap au Caire, mais c’était surtout pour raccourcir la « route des Indes » au bénéfice de l’Angleterre.

Les initiatives en la matière, et notamment les chinoises, mais également les russes, sont d’une toute autre ampleur. Cela ne va pas sans inquiéter certains pays occidentaux. Mais ceci se limite à des avertissements ou des mises en garde sans proposer le moindre projet concurrent.

Ne voulant pas voir la réalité de ce monde en mouvement, ils préfèrent la « politique de l’autruche »

et du dénigrement systématique. Cela risque de rester sans effet, tant le contentieux avec les pays occidentaux a pris de l’ampleur. La France aurait pu être un interlocuteur, mais nos gouvernants ont préféré la voie du suivisme américain à celle de l’indépendance et la souveraineté sur laquelle de Gaulle avait réussi à la placer. Ce n’était pas l’avis de ses successeurs qui pensaient qu’elle était trop petite pour exister par elle-même et la remirent au rang de « figurant » dans l’Europe et le reste de l’Occident, la privant définitivement de sa capacité à jouer un rôle fédérateur auprès des pays non alignés.

Ce sont ces derniers qui vont faire la différence, car ils sont de plus en plus nombreux à frapper à la porte des BRICS, et les adhésions récentes de six autres pays vont avoir un effet d’entraînement.

Les pays africains ne seront pas les derniers et, avec eux, la notion de « grand continent » prendra un véritable sens politique.

Il suffisait de rester dans les pas de de Gaulle et le destin de la France aurait pris une toute autre ampleur.

D’autant plus que, déjà, se profile l’adhésion de l’Amérique latine, et celle-ci achèvera la régionalisation autour des continents de ce monde multipolaire auquel de plus en plus de gens aspirent.

Jean Goychman 

07 septembre 2023

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