LE « COUPLE » FRANCO-ALLEMAND (Éric de Verdelhan)

« L’Union de la France et de l’Allemagne, ce serait la paix du monde…
La France et l’Allemagne sont essentiellement l’Europe. L’Allemagne est le cœur ; la France est la tête… »

(Victor Hugo, en 1842).

 

 

Aujourd’hui, je n’ai pas envie de vous parler de choses sérieuses, de la guerre en Ukraine, des arrivées massives de migrants à Lempedusa  ou des atrocités commises par les bourreaux du Hamas contre des civils israéliens. Je vais traiter un sujet plus léger, un mythe dont on nous bassine depuis des décennies pour nous inciter à croire qu’il existe vraiment : un bobard répété à l’envi finit toujours par devenir crédible, puis cru, puis il devient parole d’évangile. Il en va  ainsi des soucoupes volantes, du monstre du Loch Ness, de la « victoire » de Montcornet, de « la France libérée par elle-même » ou des « crimes contre l’humanité » commis lors de nos conquêtes coloniales.

Plus on martèle le clou, plus on l’enfonce dans les crânes ramollis des peuples crédules !    

En 2019, j’ai écrit un livre intitulé « Mythes et Légendes du Maquis » (1) pour dénoncer les mensonges concernant la Résistance des FTP (2) communistes, le « parti des 75 000 fusillés », et les atrocités perpétrées lors de la Libération, durant une période appelée à juste titre « Épuration ».

Pourquoi ai-je choisi ce titre  « Mythes et Légendes du Maquis » ? Pour le sens littéral (et/ou littéraire) des mots : un mythe est « un récit qui se veut explicatif et surtout fondateur d’une pratique sociale… Le mot est souvent employé pour désigner une croyance manifestement erronée mais qui peut se rapporter à des éléments concrets exprimés de façon symbolique et partagée par un nombre significatif de personnes… ». La légende (du  Latin legenda, « qui doit être lue ») était, à l’origine, un récit mis par écrit pour être lu publiquement : le plus souvent il s’agissait d’une hagiographie lue dans les monastères, pendant les repas ; dans les églises, pour l’édification des fidèles lors de la fête d’un saint. Au XVI° siècle s’opère un glissement de signification, la légende devient un récit à caractère merveilleux où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire.

Certains auteurs font un distinguo entre le mythe et la légende. Selon eux, une légende tient de faits réels. On peut la définir comme « un récit qui mêle le vrai et le faux ».

De nos jours, les notions de mythe, légende, conte ou fable sont généralement confondues : ce sont tous des récits fictifs ou fortement enjolivés, qu’on tente de faire passer pour vrais.

Mais venons-en au mythe dont je veux vous parler : le fameux « couple franco-allemand ». Ce couple contre nature, cette association de la carpe et du lapin, Victor Hugo en parlait déjà en 1842.

J’aime bien le père Hugo comme poète. « Après la bataille » est un poème que j’ai appris en 7ème (l’actuel CM2 mais avec un autre niveau en français, en maths et en histoire) et que je connais encore par chœur. En revanche, politiquement, Victor Hugo était le précurseur des bobos de la « gauche-caviar » ; lui et Emile Zola n’ont pas leurs pareils pour décrire une classe ouvrière qu’ils se gardaient bien de fréquenter. Écrire que « L’Allemagne est le cœur ; la France est la tête », il fallait oser car ça n’a strictement aucun sens. En 1870, les Prussiens nous collaient une raclée mémorable. En 1914 comme en 1916, l’Allemagne a failli nous infliger une sévère défaite. Si l’Armée allemande n’avait pas été trahie de l’intérieur, elle aurait gagné la Grande Guerre. En juin 1940, les Boches nous infligeaient la plus belle déculottée de notre histoire pourtant riches en débâcles cuisantes.

Non, l’Allemagne n’est pas « le cœur » ni la France « la tête » ; l’Allemagne n’a pas un cœur de rosière ou de midinette et elle considère la France comme une tête… à claques.  

La Grande Guerre, qui a créé un profond traumatisme chez tous les belligérants, a inspiré quelques grands romans qui marquèrent la littérature du XX° siècle. On pense aux « Croix de Bois » de Roland Dorgelès, à « Ceux de 14 » de Maurice Genevoix, à « La Main Coupée » de Blaise Cendrars, et, naturellement, à l’extraordinaire « Voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline. Et, du côté allemand, la moisson est aussi fertile avec, notamment : « Orages d’acier », d’Ernst Jünger et « A l’Ouest rien de nouveau » d’Erich Maria Remarque. Mais, pour moi, un autre grand roman mérite d’y être associé, « Les Réprouvés » d’Ernst von Salomon. Un roman que j’ai découvert en 1970, deux ans à peine avant la mort de son auteur.

Contrairement aux écrivains précités, Ernst von Salomon, né en 1902, était trop jeune pour avoir connu la boue et l’enfer des tranchées. Pour autant, son patriotisme n’admettait ni la défaite de l’Allemagne, ni le chaos de la jeune République de Weimar. Il était révolté par le mépris total dans lequel la « populace rouge » et la bourgeoisie, préoccupée par son confort, tenaient  les combattants revenus du front. Il ira jusqu’à participer au complot d’un groupe nationaliste qui aboutira, le 24 juin 1922, à l’assassinat de Walter Rathenau, ministre des Affaires Étrangères.

Par facilité intellectuelle, on pourrait attribuer cet engagement radical d’un garçon de 16 ans à un goût d’adolescent pour l’aventure romantique. Ce serait une erreur, car d’autres clés de lecture s’imposent, deux notions fondamentales de la culture allemande qui lui étaient contemporaines.

D’abord la théorie géopolitique du « Lebensraum » qui fut définie par Friedrich Ratzel (3) et qui dessinait les frontières du Reich incluant l’Alsace-Lorraine à l’Ouest et de nombreux territoires à l’Est (Autriche, Pologne, Tchéquie, etc.). Cette vision pangermaniste nourrissait, depuis la fin du XIX° siècle, l’imaginaire de beaucoup d’Allemands. Elle survivra à la défaite de 1918 et servira, plus tard, de prétexte à la volonté expansionniste d’Adolf Hitler.

Ensuite, il faut prendre en compte la « masculinité » de la culture allemande (4).  

Une masculinité qui aurait pu s’accommoder d’une « défaite honorable», mais qui ne pouvait accepter l’humiliation imposée par les Alliés (dommages de guerre colossaux, occupation partielle du territoire, désarmement, etc…). Ce sentiment demeure, pour nous Français, difficile à comprendre ; il s’exprime jusque dans les mots de nos langues respectives : notre représentation symbolique de la France est une figure féminine, « Marianne » ou la « Mère-Patrie. » D’ailleurs, dans ses « Mémoires de Guerre », de Gaulle ne l’imagine pas dans une statue de Vercingétorix ou de Charlemagne, mais dans « la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs ». A l’opposé, le patriotisme allemand fera référence au « Vaterland », symbole résolument masculin qui tient à la fois de la « Terre du Père » et de la notion de « Père-Patrie ». Ces deux paramètres, négligés par le Traité de Versailles, feront le lit du Nazisme. Et, bien qu’affadis, ils subsistent encore aujourd’hui.  

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale on nous raconte que c’est l’Europe qui garantit la paix alors qu’en réalité c’est l’inverse : c’est la paix qui a fait l’Europe. Et on nous explique que l’ONU (5) nous préserve d’éventuels risques de guerre. On disait en gros la même chose de l’ancêtre de l’ONU, la « Société des Nations », au lendemain de la Grande Guerre ; on connaît la suite…

Et on dit au vulgum pecus, qui est prié de le croire, que le char de cette Europe passoire, technocratique, bureaucratique, dont nous subissons les méfaits, les taxes, les restrictions de liberté et les oukases, est tiré par un attelage de bœufs : le couple franco-allemand. De qui se moque-t-on ?

Il a existé un semblant de « couple franco-allemand » durant la Seconde Guerre Mondiale, la LVF puis la « Division Charlemagne », quand, avec la bénédiction de Monseigneur Mayol de Lupé, aumônier militaire, des volontaires français allaient se battre avec les Allemands contre un ennemi commun sur le front russe. Il y a quelques années, je me suis fait insulter pour avoir osé écrire qu’il y avait sans doute autant de héros dans la LVF que dans la Résistance. Tant pis, je réitère mon propos !

Cette triste période de notre histoire – qualifiée « d’heures les plus sombres » – a connu  d’autres « couples franco-allemands ». Parlons d’un autre volet honteux de « l’épuration » : celui des femmes tondues. Pour les « épurateurs », coucher avec l’occupant était sanctionné, a minima, par la tonte des cheveux. Ces femmes étaient accusées de « collaboration horizontale », un acte qui n’est pas incriminé dans le code pénal et qui n’a donc rien d’illégal. Certaines femmes ont été violées, torturées ou massacrées. Le compte de ces victimes est difficile à établir. On parle de 20 ou 30 000, peut-être plus ? Au nom de l’épuration, on a martyrisé et tondu des femmes amoureuses, puis celles qui, après tout, n’ont fait que leur métier (entraîneuses, prostituées…). Après-guerre, des femmes tondues, battues, violées ont tenté des actions en justice mais leur action a été disqualifiée, elles n’étaient pas considérées comme des victimes.  En 1951, une  loi d’amnistie a rendu impossible les sanctions contre les criminels de « l’épuration ». Elle couvrait « tout faits accomplis postérieurement au 10 juin 1940 et antérieurement au 1er janvier 1946 dans l’intention de servir la cause de la libération du territoire ou de contribuer à la libération de la France » (article 30).

Avant le vote de cette loi, les familles de victimes  se sont vues refuser une enquête digne de ce nom ce qui a abouti à une amnistie de fait entérinée ensuite par une amnistie de droit.

Après guerre, ce fameux « couple franco-allemand » aurait pu exister avec la Communauté Européenne de Défense (CED) qui était un projet de création d’une Armée européenne, avec des institutions supranationales, placées sous la supervision du commandant en chef de l’OTAN. Dans le contexte de la guerre froide, le projet, esquissé en septembre-octobre 1950, devient un traité, le 27 mai 1952. Ratifié par l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, le traité instituant la CED sera rejeté par notre Assemblée Nationale, le 30 août 1954, par 319 voix contre 264.

En janvier 2023, c’était le 60ème anniversaire du « Traité de Élysée » (signé le 22 janvier 1963) qui, nous dit-on « marquait 60 années d’amitié franco-allemande ». Même si j’étais bien jeune à l’époque, je me souviens de Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, main dans la main pour sceller la réconciliation entre les deux frères ennemis. En privé, de Gaulle déclarait à Alain Peyrefitte : « Dans le couple franco-allemand, la France sera le jockey et l’Allemagne le cheval ». La formule est certes amusante mais de Gaulle n’avait pas compris que le cheval ferait tout pour faire tomber son jockey.

Ensuite nous avons vu la petit François Mitterrand main dans la main avec l’énorme Helmut Kohl. Le rapport de force était dans l’image. Puis, en 2007, la photo du nain Sarkozy tenant la pogne ferme de la grosse Angela Merkel, tout un symbole ! Et en 2012, dès son investiture (comme Sarkozy) c’était au tour de François Hollande d’aller faire allégeance à la grosse Teutonne, toujours au nom du « couple franco-allemand ». Emmanuel Macron n’a pas, lui non plus, manqué l’occasion de se faire photographier donnant la main à Merkel, puis, il y a quelques jours, le 9 octobre, on le voyait avec Olaf Scholz dans le cockpit d’un Airbus et sur un bateau de croisière au port de Hambourg.

 Ces deux (très mauvais) comédiens ont multiplié les gestes de complicité pour « montrer un couple franco-allemand à la manœuvre, malgré ses différends » nous dit la presse.

Ils ont, parait-il, abordé « tous les sujets bilatéraux qui fâchent, de l’énergie aux règles budgétaires ». Dehors, une poignée d’écologistes criait en français « Nucléaire, non merci ! » pour rappeler que cette énergie très développée en France mais désormais bannie en Allemagne, est au cœur du contentieux sur la réforme du marché de l’électricité entre Paris et Berlin.

La vingtaine de ministres – excusez du peu ! –  qui accompagnait Macron avait pris place avec ses homologues allemands sur des bateaux de croisière, pour multiplier les exercices de brainstorming « à l’allemande ». Macron et Scholz sont ensuite montés dans un Airbus A321, s’installant tour à tour dans le cockpit, comme des gosses. L’un sérieux comme un pape, Scholz, l’autre sautillant comme un cabri quand Scholz, s’asseyant à la place du copilote, lui a laissé la place du pilote. Il ne lui manquait que sa combinaison d’aviateur, celle qu’il portait à la base d’Istres il y a quelques années et qui lui donnait un faux air de Tom Cruise dans le film « Top Gun ». Par bonheur, il y a bien longtemps que le ridicule me tue plus, mais il donne une bien triste image de notre pays. En redescendant de l’avion, toujours content de lui, le gamin narcissique qui nous tient lieu de président déclarait :

« Nous devons, plus encore que naguère, être ensemble force de proposition et moteur de décision pour nos deux pays et notre Europe ». C’est du grand n’importe quoi !

Je suppose que l’austère Olaf Scholz a dû se taper sur les cuisses en rentrant chez lui ?

Eric de Verdelhan

13 octobre 2023

  

1)- « Mythes et Légendes du Maquis » ; éditions Muller (Guillaume de Thieulloy) ; 2019.

2)- FTP : Franc-Tireur-Partisan, maquisard  d’obédience communiste.

3)- Et non par Adolf Hitler comme des imbéciles se plaisent à l’écrire aujourd’hui.

4)- Telle que définie par le sociologue Gert Hofstede.

5)- Et l’OTAN. Le conflit russo-ukrainien nous démontre le contraire.

6)- LVF : Légion des Volontaires Français (contre le Bolchévisme).

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3 Commentaires

  1. Le “couple Franco-Allemand”, peuh, c’est une expression française seulement, celle d’un pays soumis. Une illusion. Les Allemands s’en foutent complètement. Et je le dis, nous n’en avons pas fini avec les Boches…

  2. Toujours un régal de vous lire. C’est ce que je pense depuis toujours. Les allemands nous bouffent sans devoir passer par les armes. Nos dirigeants les suivent aveuglément. La honte…

  3. L’actualité politico-économique ne manque pas de nous rappeler que l’Allemagne reste pour nous au mieux un adversaire, plus souvent un ennemi. Que ce pays se réarme n’est pas très rassurant…
    Il me revient en mémoire une anecdote personnelle. En Nouvelle-Calédonie j’avais fait la connaissance d’un citoyen allemand, architecte de son état. Un homme intelligent et cultivé. Quand nos relations sont devenues plus fréquentes, il m’a confié un jour, avec tout le sérieux possible : ” Vous savez, il ne faut pas croire ce qu’on raconte sur nous, ces histoires de Shoah et de crimes de guerre, c’est faux, çà n’a jamais existé ! “.