“Je ne crois aux statistiques que quand je les ai moi-même falsifiées”
Winston Churchill
Dans mon précédent article sur l’autodéfense intellectuelle dont l’acquisition est indispensable dans ce monde de faussaires, j’ai évoqué la pauvreté du langage présidentiel dans sa forme : coupures inadaptées, hésitations, ruptures dans la construction de la phrase qui, soit révèlent une pensée chaotique, soit relèvent d’une manipulation volontaire du peuple auquel il s’adresse : “Je suis normal, donc je parle comme je pense que vous parlez, c’est-à-dire mal”, ce qui est au sens propre de la démagogie.
Cependant, une autre interprétation est possible : bien parler étant un signe de droite, Hollande parlerait mal pour montrer qu’il est de gauche. Mais cela supposerait qu’il croit en quelque chose, or ses femmes ont toutes souligné qu’il ne croit en rien d’autre qu’en lui-même, nous avons donc moins à faire à un vendeur de sornettes qu’à un nihiliste.
L’utilisation des chiffres pour tromper les interlocuteurs est un autre vice des hommes politiques. D’abord, ils profitent de ce que la plupart des gens n’ont qu’une idée très approximative des grands nombres.
Par exemple, il y a quelques mois Mélenchon a soutenu que la dette de la France n’est pas un problème car, pensez donc, “nous sommes la cinquième puissance économique du monde”.
La dette française a dépassé, en fin d’année 2014, 2 000 milliards d’euros.
Comment imaginer ce que cela représente ? Un milliard, c’est mille millions.
2 000 milliards (2 suivi de douze zéros) sont donc 2 millions de millions.
Que pourriez-vous acheter avec un million d’euros ? Mettons une villa avec piscine comme celle de François Hollande à Mougins (La Sapinière).
Donc, 2 000 milliards sont la valeur de deux millions de villas de François Hollande.
Mais plus inquiétant pour vous, combien cela fait-il par français ?
2 000 000 000 000 : 65 000 000 de Français = 30 770 € et, si vous êtes une famille de 4 personnes, cela fait que vous devez 123 000 €.
La question est maintenant de savoir à qui vous les devez.
En gros cette dette est celle de l’État pour 1 600 milliards, de la Sécurité Sociale pour 200 milliards et 200 milliards aussi pour les collectivités locales.
Les créanciers sont à 35 % français, banques, assurances, valeurs mobilières et instruments financiers divers, et 65 % étrangers. Si ces derniers réclamaient le remboursement immédiat de 1 350 milliards d’euros à la France, celle-ci serait immédiatement en faillite, à moins que chaque Français puisse donner 20 000 €.
Vous voyez le problème que 2 000 milliards de dette pose à chaque Français ?
Une autre source d’erreurs vient des médias qui, à la suite d’un drame, comptabilisent les victimes en faisant appel à la police, aux hôpitaux, aux pompiers, aux témoins… puis ils les additionnent ce qui gonfle le total. Fréquemment, le nombre final officiel est inférieur aux premières estimations, parfois dans un rapport de 1 à 3 ou 4.
Ce fut le cas pour le tremblement de terre de San Francisco en 1989 avec 255 morts annoncés le premier jour, et au bout d’une semaine de recoupements, il n’y en avait plus que 64.
Même chose avec le tsunami de 2004, “entre 300 et 400 mille morts” annoncés le premier jour, 236 000 au bout d’une semaine, 216 000 au bout de quinze jours.
Ce dernier chiffre n’est cependant pas le bon, car il ne tient pas compte des blessés qui sont morts plusieurs jours voire un mois ou deux après de leurs blessures ou d’infections.
Il arrive souvent que des gens effectuent des calculs très précis dont ils donnent ensuite les résultats comme des évidences mathématiques extrêmement sérieuses alors que les chiffres qu’ils ont pris au départ de leurs calculs étaient des approximations.
Exemple : vous avez quatre enfants et vous les mesurez : 82, 88, 113 et 149 cm pour l’aîné. Si vous allez ensuite leur acheter des vêtements en disant à la vendeuse qu’ils font en moyenne 108 cm, vous aurez des surprises et c’est pourtant mathématiquement parfaitement exact. La précision extrême n’est pas forcément un signe d’exactitude.
Les comptables font parfois ce type d’erreur en additionnant dans les comptes de l’entreprise des sommes qui ne sont pas comparables.
Le plus souvent ce n’est pas par erreur, les comptables savent que le “bon” comptable est celui qui donne le résultat attendu par le patron et les actionnaires.
Exemple : Prenons une société qui a 3 propriétaires associés et 90 salariés.
À la fin de l’année elle a payé aux salariés 1 980 000 € de salaires. Les propriétaires se sont versés chacun 110 000 € de salaire. Reste 450 000 € de bénéfice net hors impôt. Que les propriétaires se partagent, soit 150 000 € chacun.
En résumé, le salaire moyen des salariés est de 1 980 000 : 90 = 22 000 €, le revenu des propriétaires étant de 110 000 + 150 000 = 260 000 €.
Socialement parlant, l’image est mauvaise, les patrons gagnent 12 fois plus que les salariés. Fiscalement ce n’est pas bon pour les patrons qui vont payer beaucoup d’impôt sur le revenu. Par contre, les banques seront enclines à prêter facilement pour leur permettre d’investir à des patrons qui gagnent si bien leur vie.
Le comptable peut aussi prélever 300 000 € sur le bénéfice et le répartir en prime sur les salaires des patrons. Puis il calcule la moyenne des salaires en y incluant les salaires et primes des patrons : 1 980 000 + (3 x 110 000) de salaires + 300 000 de primes = 2 610 000 : 93 = 28 065 € de salaire moyen dont on ressort ceux des patrons 210 000, le rapport n’est plus que de 1 à 7,5, et le bénéfice net de 150 000 € que les patrons vont se partager, 50 000 € pour chacun. Socialement l’image de l’entreprise est meilleure, sans que cela change quoi que ce soit pour les patrons, mais les banques seront moins enclines à prêter.
Dans la réalité c’est un peu plus compliqué que cela, mais vous voyez qu’à partir des mêmes chiffres un comptable peut vous présenter des situations différentes.
En 1982, j’ai été amené à examiner – pour les expliquer aux directeurs – les comptes d’une très grosse entreprise industrielle nationalisée par le gouvernement Mauroy. J’avais demandé à son nouveau directeur général, un énarque inspecteur des finances, si je pouvais tout dire aux directeurs au cas où je trouverais une anomalie, il m’avait ri au nez. Les comptes avaient été certifiés par deux très grands cabinets d’experts comptables privés et un troisième, celui de la CGT, je pouvais donc tout dire “puisqu’il n’y aurait rien à dire”.
Les années précédant la nationalisation, l’entreprise avait été bénéficiaire, c’était la première fois qu’elle était en déficit et avait du demander une subvention d’équilibre à l’État. Les directeurs, grognons, accusaient le pauvre énarque de mauvaise gestion.
La seule chose qui me paraissait suspecte était le montant des agios payés aux banques sur les emprunts pour investissements, de 2 % supérieurs au taux en cours à l’époque. Le directeur financier m’expliqua que c’était tout à fait normal, parce que dû à la nature du risque lié aux investissements. Je lui demandai le nom de toutes les banques, il refusa. Coup de téléphone au DG qui, toujours aussi sûr de lui, donne l’ordre au directeur financier de me les communiquer avec un engagement de secret. Je découvre vite que toutes sont liées par des participations croisées à une grande banque californienne propriété de la Banque Rothschild.
Or c’est le groupe Rothschild (où Macron a travaillé) qui, avant d’être exproprié, était propriétaire de l’entreprise industrielle. Le PDG de la banque de Californie était le frère du PDG de l’entreprise qui estimait, à juste titre d’ailleurs, avoir mal été indemnisé par l’État. Ils s’étaient donc organisés pour récupérer tout de même 6 milliards de francs par le moyen de ces agios légèrement surfacturés. J’annonçai la bonne nouvelle aux directeurs inquiets : pas de souci, votre entreprise est saine, ce qui est sorti d’une poche est rentré dans l’autre. Ils étaient très contents, je leur dit en les quittant : “vous êtes rassurés, mais gardez ça pour vous, si vous le racontez partout, les conséquences pourraient être lourdes“.
Erreur, j’aurais du me douter qu’un secret partagé entre une douzaine de personnes n’est plus un secret !
Méfiez-vous aussi des pourcentages. Posez-vous les questions “par rapport à quoi ?”, “quelle était la question posée aux sondés ?”, “sur quel nombre de sondés ?”.
Sachez que les instituts de sondages travaillent à la demande de clients et que la réponse trouvée est souvent conforme à ce qu’attend le client que le sondeur ne veut pas perdre.
Exemple : “voterez-vous FN à la prochaine élection” obtiendra 12 % de “oui” car nombreux sont ceux qui n’ont pas le courage d’avouer qu’ils votent FN.
Si c’est le FN qui commande le sondage, le sondeur demandera “pourriez-vous voter FN à la prochaine élection” et obtiendra 30 à 35 % de oui, voire plus s’il met dans son échantillon (panel) beaucoup de sympathisants de la droite de l’UMP qui voteront UMP mais pourraient voter FN si ça peut faire perdre le PS.
En attendant, Marine sera contente et reprendra le même sondeur pour le prochain sondage.
Ou encore, pour faire baisser le nombre des chômeurs, un gouvernement peut changer la définition légale du chômage ou considérer que le chômeur en formation n’est plus chômeur, même s’il suit un stage de macramé et n’a aucune chance de trouver un emploi ensuite. C’est pourquoi le nombre des chômeurs varie entre 3,5 millions, chiffre officiel, et 6 millions, chiffre plus vraisemblable mais difficile à prouver.
En fait, le système bureaucratique et idéologique qui a été mis en place est mis au service des politiques qui considèrent le citoyen comme un consommateur abruti qu’il faut tout faire pour convaincre par des statistiques et des sondages orientés que tout va bien, ou va aller mieux “incessamment sous peu”, pour que surtout il ne se révolte pas ou cesse, par exemple de payer ses impôts (comme l’ont fait les Grecs).
Maurice D.