NE M’APPELEZ PLUS JAMAIS « DÉFENSE »
(Jean Goychman)

Dans le temps, on parlait du Ministère de la Guerre. C’était assez explicite. Ce n’est qu’en 1974 qu’on le rebaptisa Ministère de la Défense. On peut aisément deviner pourquoi ; la guerre, cela fait « belliciste » alors que la Défense, c’est plus « chevaleresque ». On n’en veut à personne, et on n’attaque pas. On se contente de riposter en cas d’attaque. Nuance…

 

Changement de dénomination

C’est l’an passé seulement que le Ministère de la Défense devint les Ministère des Armées. Le pourquoi de ce changement, je l’ignore, ou du moins je l’ignorais jusqu’à ce jour. J’ai vécu, comme tout le monde, je l’espère, avec l’idée que notre pays était une terre de liberté et que notre armée, pour laquelle – en tant que fils de militaire – j’ai le plus profond respect, n’avait pour mission que de défendre le territoire national et le peuple français. C’était par ailleurs conforme à la Charte des Nations Unies, qui garantit la souveraineté des États. Bien-sûr, il y avait eu quelques précédents d’opérations militaires dans des pays étrangers. Kolwezi en 1978, avec le parachutage de la Légion, qui avait été envoyée pour protéger nos compatriotes menacés par des troupes rebelles. L’opération Turquoise de 1994, au Rwanda, autorisée par l’ONU mais qui faisait encore polémique récemment sur le rôle exact de la France.

 

L’interventionnisme se généralise…

En janvier 1991, éclate la « Guerre du Golfe » dans laquelle notre armée était intervenue. C’était pour libérer le Koweït envahi par l’armée du dictateur irakien Saddam Hussein. Une résolution de l’ONU pouvait justifier cette action qui, sur le plan intérieur, ne faisait pas l’unanimité. On s’est rendu compte après coup que les choses avaient été quelque peu exagérées. Je passe rapidement sur les combats de l’ex-Yougoslavie, théâtre sur lequel nous nous étions engagés dans un peu inconsidérément, et qui a coûté la vie à 85 de nos soldats.

 

Un infléchissement sans lendemain

Nous avions eu la sagesse de ne pas suivre le président américain GW Bush dans l’invasion de l’Irak en 2003 qui est en grande partie à la base de l’État Islamique, et le discours prononcé à l’ONU par D. de Villepin est devenu un morceau d’anthologie… Puis vint en 2011 l’intervention en Lybie, formellement autorisée par l’ONU, mais dont le résultat fut la destruction de l’État libyen et l’exécution de Kadhafi sous le prétexte controversé d’aider la population de Bengazi. Enfin, les opérations Serval et Barkane en 2013 et 2014, sous couvert d’une lutte contre le terrorisme islamique dont l’extension dans cette région provenait du chaos dans lequel la Libye se trouvait plongée viennent compléter cette liste.

 

À chaque président sa guerre ?

Depuis Georges Pompidou, tous les présidents français ont, à un moment ou un autre de leur mandat, endossé l’uniforme du chef de guerre. Cela fait plus de sept guerres menées en moins de 40 dans des États réputés souverains sans qu’un État de guerre existe avec eux. Où est le droit des peuples « à disposer d’eux-mêmes » que le général de Gaulle à toujours mis en avant ? Qu’est devenu le discours de Phnom-Penh au travers duquel la France confirmait un soutien ferme à une politique d’indépendance et de non-alignement en critiquant fermement l’intervention américaine au Viêt-Nam ? Voilà qui commence à faire beaucoup pour un pays qui prône les valeurs de la paix et de l’amitié des peuples.

 

Emmanuel Macron a rejoint le club

C’est chose faite depuis cette nuit du 14 avril. Emmanuel Macron a donné l’ordre à l’armée française d’intervenir en Syrie. Même si cette intervention est limitée, elle contrevient cependant à ce qu’il est encore convenu d’appeler « le droit international ». En outre, et dans la majorité des cas, la représentation nationale avait été, plus ou moins formellement, tenue informée. Depuis quand sommes-nous devenus le bras armé d’une sorte de justice immanente et autoproclamée ? On nous dit qu’il existe des preuves irréfutables qui justifient cette action. Cela pose un problème de fond. Depuis 1991, on nous raconte les mêmes choses. Cela a commencé par les exactions des soldats irakiens qui jetaient les bébés hors des couveuses au Koweït, puis les « armes de destruction massive » de 2003 pour justifier l’invasion de l’Irak, autant d’affirmations démenties par les faits après coup. D’autant plus que nous venons d’apprendre que les enquêteurs de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC), viennent seulement d’arriver sur place en Syrie…

 

Les opérations de guerre sont-elles bonnes pour la cote de popularité ?

Voilà une question qui mérite, hélas, d’être posée. On se souvient de la « guerre des Malouines » en 1982, qui contribua fortement à la réélection d’une Margaret Thatcher malmenée par les sondages. On peut penser que certains de nos présidents, poussés par leurs « communicants », n’ont pas délibérément écarté de leur esprit de telles considérations. Un tel comportement, s’il n’était pas encadré par une sorte de contre-pouvoir indispensable à toute démocratie, pourrait se révéler dangereux car il ne ferait que renforcer la conviction de certains chefs d’État qu’ils doivent, pour ne pas être « débarqués » sans ménagement, se doter au plus vite de l’arme nucléaire. C’est malheureusement la conclusion à laquelle sont conduits certains d’entre eux, chaque jour plus nombreux. Qu’il soit ou non justifié, le sort réservé à Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi et peut-être bientôt Bachar el-Assad en incite beaucoup d’autres à réfléchir.

 

Et l’Europe, dans tout ça ?

Dans la situation ainsi créée, comment ne pas se rappeler de la phrase de de Gaulle : « Je veux que l’Europe soit européenne, c’est à dire qu’elle ne soit pas américaine » [1]. Car s’est également de cela dont il s’agit. Toutes ces interventions militaires, depuis la guerre du Golfe de 1991, ont été orchestrées par l’armée américaine, souvent rebaptisée « OTAN ». Ce non-respect des souverainetés au profit d’une sorte de morale « humaniste », même si elle peut se justifier en regard des exactions commises, ne doit pas pour autant conduire à une sorte de contrôle du monde par un nombre de plus en plus réduit d’États dominants, non plus soumis à la souveraineté des peuples, mais à une sorte d’oligarchie qui regrouperait ainsi les pouvoirs nécessaires à l’établissement d’un gouvernement mondial. Il reste donc à trouver une forme d’équilibre entre les interventions qui peuvent s’avérer nécessaire et le respect du droit international, garant de la souveraineté des peuples et de la démocratie. C’est ainsi que le mot « défense » reprendra tout son sens…

 

Jean Goychman
14/04/2018

 

[1] « C’était de Gaulle » d’Alain Peyrefitte – t. 1 – p. 61 (Fayard).