MADAME SANS-GENE.
lettre aux émules de la Maréchale Lefebvre
(Cédric de Valfrancisque)

« La plus sanglante des offenses est le sans-gêne. »
(Henri de Montherlant ; « Un incompris »)

« Une société sans aristocratie où tout se ferait par le vœu de la majorité retournerait à la grossièreté »
(Robert Poulet : « Contre la plèbe »)


Dans mon billet d’aujourd’hui, pour une fois, je ne fustigerai pas cette classe politique, aussi arrogante qu’incompétente, qui prétend nous gouverner (alors qu’en fait, elle se contente de nous tondre). Encore que ces gens-là soient, pour la plupart, des parvenus – des « bobos » – de la pire espèce : sans manières et sans éducation, ils sont, eux aussi, en droite ligne, les descendants de celle qu’on surnommait « Madame Sans-Gêne » (1), sobriquet attribué par Victorien Sardou à l’épouse du Maréchal Lefebvre, Duc de Dantzig.

A l’Etat-Civil, elle s’appelait  Catherine Hubscher, née en 1753 à Altenbach (Haut-Rhin).

Cantinière puis blanchisseuse, elle épouse, à trente ans, un simple soldat, François-Joseph Lefebvre, qui deviendra, quelques années plus tard, sergent aux Gardes Françaises.

Lefebvre était un homme aussi courageux qu’ambitieux. A une époque où les généraux risquent encore leur peau et glanent leurs étoiles sur les champs de bataille (2), après de magnifiques exploits de sabreur, il deviendra Maréchal d’Empire – le 19 mai 1804 – Grand Aigle (Grand Croix) de la Légion d’Honneur, puis  Duc de Dantzig, Sénateur et Pair de France.

Sa femme, en devenant riche, restera une poissarde, vulgaire et forte en gueule.

Le cinéma a fait incarner « Madame Sans-Gêne » par la belle Sophia Loren. Plus récemment le théâtre l’a présentée avec le décolleté abyssal de Clémentine Célarié.

En réalité, Catherine Hubscher était un petit pot-à-tabac rondouillard, gouailleur et volubile, au physique assez proche de celui de Jackie Sardou.   

Elle eut quatorze enfants, dont treize n’atteignirent pas l’âge adulte.

Pourtant, quand je m’adonne à des mondanités (ce qui m’arrive de moins en moins !) j’en viens à me demander si la race des nouveaux riches, des parvenus mal élevés, des rustres ramenards, des gougnafiers prétentieux ou des cons glorieux, n’est pas en train d’enterrer – définitivement – la galanterie de la « France courtoise » d’antan.

« Madame Sans-Gêne » a fait des émules !

En effet, on dirait que notre époque dépravée et décadente a totalement perdu de vue les origines naturelles du savoir-vivre (3) et des bonnes manières. Ces dernières se sont imposées au fil des siècles, quand la France  catholique et royale  se civilisait peu à peu.

Le savoir-vivre découle d’un désir, d’une volonté, de ne pas importuner son prochain.

On le croirait dicté par l’adage: « Ma liberté s’arrête ou commence celle de mon voisin (et réciproquement) ».

On pense aussi, immanquablement, à Georges Brassens :

« Gloire à qui n’ayant pas d’idéal sacro-saint / Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins.»

La France médiévale était rustaude : on mangeait avec les doigts, on « s’espongeait dans la vinasse », on se goinfrait  et on s’essuyait sur son pourpoint.

Mais on respectait Dieu, son Roi et la parole donnée. Et on défendait « la veuve et l’orphelin ».

La fourchette est apparue à la Cour en 1574. Elle nous arrivait d’Italie (4) avec la Renaissance.  

Introduite par Catherine de Médicis, elle ne sera utilisée que lentement. Il s’agit plus d’une marque d’excentricité, car elle sert à piquer dans le plat le morceau porté ensuite à sa bouche avec ses doigts. Le port de la fraise (5), à cette époque, va mettre en évidence l’avantage de la fourchette pour ne pas tacher cet encombrant faux-col.  

À la table de Louis XIV, au XVIIe siècle, chaque convive avait une fourchette à la gauche de son assiette, mais… ne l’utilisait pas, car le Roi préférait manger avec les doigts. De plus, le clergé y voyait l’« instrument du diable », car elle incitait au péché de gourmandise.

Rappelons-nous aussi que François Rabelais, père de « Gargantua », moine et médecin, donc fort instruit en son temps, conseillait de ne point retenir ses pets et ses rots à table.

A ce propos, je ne sais plus qui a écrit : « Mieux vaut un pet sonore, qui tonne avec éclats,/ Qu’une vesse traîtresse qui se trahit tout bas… »                                                                                                                                                       

De nos jours, fort heureusement, il n’y a guère que dans les pays arabes qu’on rote à table (6). C’est, chez eux, une marque de politesse : ça signifie qu’on a apprécié le repas. Il convient, après son rot, de  dire « Alhamdoulilah », ce qui signifie, parait-il, « Louange à Allah ».

Mais laissons aux Arabes leurs us et coutumes (à condition qu’ils ne cherchent pas à nous les imposer par la force !) car, depuis longtemps déjà, nous sommes devenus propres, policés, aseptisés, civilisés…trop peut-être ?

Au XIX° siècle, les dynasties bourgeoises ont supplanté la Monarchie. Ces nouveaux riches s’empressèrent de singer les salons puritains de l’industrieuse Angleterre victorienne. Ils ont tiré un trait sur notre savoir-vivre bien français, simple et bon enfant, au profit de manières codifiées, snobs, sophistiquées et, disons-le, passablement « coincées ».

Les épouses des maîtres de forges – lesquels employaient des enfants de 10 ans dans leurs usines, fabriques ou ateliers, enfants qu’ils faisaient marner 12 heures par jour – ne toléraient pas que, dans les salons mondains, on puisse rire franchement, raconter une blague un peu osée, afficher une once de décolleté ou une jupe un peu trop courte.
Chez ces rombières pudibondes – souvent des remèdes contre l’amour – on parlait du peuple autour d’une tasse de thé, le petit doigt levé, pendant que les hommes fumaient le cigare en pensant à leur maîtresse ou à leur prochaine virée au bordel du coin. L’hypocrisie bourgeoise a des origines anglo-saxonnes…

Mais, fort heureusement, l’esprit gaulois a repris le dessus autour de  la « Belle Epoque ».  

Hélas, depuis, en gros, la fin des « sixties », la libération des mœurs en 1968 puis  les années-fric nées avec l’élection de Mitterrand en 1981 (7), le savoir-vivre à la française a foutu le camp.

De nos jours, quand un homme fait un baisemain à une dame – souvent sans en connaître les usages –  on a l’impression qu’il ne fait que renifler la fraîcheur de la viande, ou que, tel Arsène Lupin, il vérifie l’authenticité des bijoux.

Mais, pourquoi, me direz-vous, ce long préambule sur la perte du savoir-vivre ?

Pour calmer une grogne qui date de la fin du mois d’août : un ami, qui réside dans l’Hérault, m’a invité avec mon épouse, à venir fêter chez lui son anniversaire.

Cet ami, qui est le sens de l’accueil et de la fête, avait lancé 200 invitations. Or un tiers des invités n’a pas daigné répondre ! A l’époque d’Internet et des réseaux sociaux, ça laisse pantois !

Au final, il misait sur une quarantaine de convives (qui avaient assuré qu’ils viendraient) et il s’est organisé en conséquence avec son traiteur.

Au dernier moment, huit invités (soit 20% de l’effectif prévu) se sont décommandés avec des prétextes « bidon » : voiture en panne, cousin qui débarque à l’improviste ou…chiottes bouchés.

Sommes-nous devenus à ce point un peuple de goujats ????

Si au moins ces malotrus avaient inventé des motifs davantage dans l’air (pollué !) du temps, plus « tendance » à défaut d’être plus crédibles, du genre :

a)- « Je partais quand ma fille nous a annoncé qu’elle allait vivre en Afrique, avec un black prénommé Mamadou. Ma femme qui n’est « absolument pas raciste…mais » a eu une attaque et je la conduis à l’hôpital… »

b)- « Depuis mon « coming out », je suis très …sollicité et je souffre d’hémorroïdes. Je ne voudrais pas casser l’ambiance en restant debout quand les autres seront assis… »

c)-  « – Ô stupeur – mon fils est parti faire le  Jihad… avec ma voiture… »

d)- « J’ai réalisé, juste avant de prendre la route, que l’invitation était pour « Monsieur et Madame » or mon ex vit maintenant avec une lesbienne. De mon côté, j‘ai refait ma vie mais, des quatre femmes que m’autorise le Coran – Latifa, Leïla, Rachida, Raïssa –   je ne sais laquelle emmener, d’autant plus que j’ai aussi quatre concubines… »

Et ne parlons pas (ou plutôt si, parlons-en !) de ce paltoquet, relancé trois fois et finalement invité par raccroc, qui a débarqué en retard, sans dire bonsoir et est reparti à la fin du dîner sans dire au revoir et sans remercier le maître de maison.

L’Ancien Régime n’était pas parfait, tant s’en faut ! Mais il nous avait transmis des valeurs, des coutumes, des manières qui ont fait de la France un pays admiré et respecté dans le monde entier.

Quelques aristocrates enjuivés – le Duc de Levis-Mirepoix (8) ou l’imbuvable Baronne Nadine de Rotschild (9) – ont écrit des guides du savoir-vivre à la Française. Il serait bon, parfois, de les lire (ou de les relire ?) car, depuis des décennies,  l’arrivée massive d’une immigration incontrôlée, venue principalement d’Afrique, et le laxisme (ou la complicité ?) de nos hommes politiques font que nous (re)devenons des primitifs. Et ce retour à l’état sauvage déteint sur toutes les couches de la société.

Certes, la vulgarité crapoteuse a toujours existé mais elle ne touchait pas tout un peuple. Il y avait encore des gens polis, raffinés, élégants et distingués.

Jadis, l’ancienne France dansait le Menuet et la Gavotte, une danse populaire devenue danse de salon. Plus tard vint la Valse. Tout ceci avait de la classe et une certaine allure !  

Dans mes jeunes années – hélas, je m’exprime comme un vieux ! –  on dansait le rock’n’roll et le slow. Le slow, langoureux, c’était un bon moyen : de reprendre son souffle après un rock endiablé; de faire plus ample connaissance avec sa cavalière ; de flirter (et plus si affinités).

Maintenant, on se trémousse tout seul, sur des chansons débiles de Patrick Sébastien (10) ou pire, sur du rap, cette musique pour primates. La danse n’est plus un moyen de trouver l’âme-sœur.

Les mariages durent, en moyenne, moins de cinq ans. D’ailleurs, de nos jours, plus personne ne veut se marier, sauf quelques  pédérastes ou des curaillons progressistes (parfois les mêmes !).

On va chercher sa compagne – d’une vie ou d’une nuit – sur les réseaux sociaux, « Meetic », « Disons demain », « Facebook »… (Et, tant qu’à chercher LA bonne occase, on peut même essayer « Le Bon Coin »).
Avant, on rigolait des annonces du « Chasseur Français » :

« Agriculteur encore jeune cherche jeune fille avec tracteur. Envoyez photo du tracteur ».

Aujourd’hui, une rencontre s’appelle un « plan cul » : on ne saurait être plus clair !

Je ne sais pas ce que les historiens du futur retiendront de notre époque décadente ?

Certainement pas  son romantisme et sa poésie.

Cédric de Valfrancisque
11 septembre 2019

1)- A ne pas confondre avec « Madame Sans-Gaine », surnom donné à l’épouse de René  Coty, dernier président de la IV° république.

2)- De nos jours la « piste aux étoiles », la promotion-éclair,  se fait plus généralement dans les ministères et/ou les loges maçonniques.

3)- A  ne pas confondre avec le « vivre ensemble », qui consiste à tout accepter du nouvel arrivant, surtout s’il est originaire d’Afrique, Noire ou du Nord.

4)-  Une fourchette à deux dents (dans les inventaires royaux).

5)- De là vient l’expression « Ramener sa fraise ».

6)- On rote aussi à  table en Inde, dans certaines castes.

7)- Soyons honnête : « Fiscard » d’Estaing avait bien ouvert la voie !

8)-  « La Politesse » par le Duc de Levis-Mirepoix (Hachette 1948)

9)- « Le bonheur de séduire, l’art de réussir: Savoir vivre aujourd’hui » de  Nadine de Rotschild (French Edition 2001)

10)- Qui est à la chanson française ce que le pet est à la musique classique.

 

6 Commentaires

  1. Un grand merci pour ce délicieux moment passé à vous lire , à sourire et même à rire !
    Denrée humoristique … et délicate !!! qui se fait rare de nos jours .

  2. Beau texte , Eric, j’ai bien souri et même parfois rigolé ! Finalement , l’aristocratie ( la vraie ) avait du bon , et du grand.
    Et c’est d’ailleurs tout à ton honneur de retrouver notre petit groupe de mauvais-pensants bientôt dans … un routier !
    Je trouve dommage qu’il y ait si peu de commentaires.
    Décidément, tout le monde s’en fout.
    Pierre I

    • Non, tout le monde ne s’en fout pas comme vous dites si élégamment!
      Chaque jour au fil des contacts j’ai l’impression de recevoir des claques en permanence tant la désinvolture et la goujaterie règnent. Je vous remercie de souligner cet état de faits déplorable et si dommageable que vous avez fort bien traité. Hélas …

  3. Bonsoir,
    Vous avez mis un indice de renvoi (10) à propos des chansons de P. Sébastien.
    Je vous propose d’en faire autant en fin de phrase à propos du rap qui pourrait être ceci :
    11)- Qui est à la culture ce que le contenu des fosses sceptiques est à la cuisine.

    Bien à vous.

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