8 MAI 1945. LE MASSACRE DE SETIF
(Éric de Verdelhan)

« Le temps de la dénégation des massacres perpétrés par la colonisation en Algérie est terminé … Pour que nos relations soient pleinement apaisées, il faut que la mémoire soit partagée et que l’histoire soit écrite à deux, par les historiens français et algériens… ».
(Bernard Bajolet, ambassadeur de France à Alger : propos tenus en avril 2008, devant des étudiants de Guelma). 

 


La lecture récente du fameux « Rapport Stora » m’a fait bondir mais je ne souhaitais pas réagir à chaud. D’autres l’ont fait, avant moi et sans doute mieux que moi.  Mais, un de mes lecteurs m’a déclaré : « Certains de nos actes en Algérie, comme les massacres de Sétif, seraient passibles du Tribunal Pénal International de La Haye… ».
Cette allégation m’a fait sortir de mes gonds.  

Voilà comment s’écrit l’histoire ! Si nous laissons tout dire, tout faire, dans quelques années les anciens d’Algérie – militaires ou résistants – seront considérés comme des « criminels de guerre » (Emmanuel Macron a même osé parler de « crime contre l’humanité »). 

Que n’a-t-on écrit sur les fameux massacres de Sétif ? L’armée française aurait réprimée dans le sang une manifestation spontanée de Musulmans pacifiques.

Pour traiter honnêtement un tel sujet, il faut remonter quelques années en arrière.  

L’anticolonialisme en Algérie ne devint perceptible qu’avec la création du « Parti Communiste Algérien ». Le PCA émerge en 1920 comme une extension du Parti Communiste Français (PCF).

Le PCA devint une entité séparée du PCF en 1936 et ouvrit ses rangs aux autochtones. Avec le soutien du PCF, le PCA participa à la lutte anticolonialiste, tout en se rapprochant des mouvements favorables à l’indépendance algérienne. Dès 1926, « L’Etoile Nord-Africaine » (ENA), qui vient de naître, entre en contact avec divers mouvements proches de la IIIème  Internationale. L’émir Khaled en est le présidant d’honneur, Hadj Ali Abdelkader, du PCF, le fondateur.

Par la suite, Messali Hadj s’impose comme le leader des mouvements indépendantistes.

L’organisation nouvelle œuvre à répandre les idées anticolonialistes chez les immigrés nord-africains, dans le but d’obtenir l’indépendance totale de tous les pays d’Afrique du Nord.  

Messali Hadj participe au congrès anti-impérialiste de Bruxelles de 1927 où il rencontre de nombreuses associations européennes ainsi que des personnalités du  « tiers-monde ».

Il organise de nombreux meetings avec, pour objectif, l’indépendance de l’Algérie dans les plus brefs délais. Dissoute en 1929 pour « avoir prêché la révolte des indigènes contre la domination française », l’ENA renaît sous le nom de « Glorieuse Étoile Nord-Africaine ». Elle est définitivement dissoute en 1937 pour « atteinte à l’intégrité territoriale de la France ». La création de l’ENA est un fait capital dans l’histoire politique contemporaine de l’Algérie car le principe de  l’indépendance est posé par une organisation de militants algériens.

Après plusieurs arrestations et interdictions, Messali Hadj crée le Parti du Peuple Algérien (PPA) en 1937. Il rentre en Algérie pour assurer la direction de la nouvelle organisation. Cependant, il est à nouveau arrêté, l’administration française étant très inquiète de la popularité du mouvement dans le monde rural algérien. Messali Hadj est condamné à deux ans de prison pour « reconstitution de ligue dissoute, provocation des indigènes à des désordres et manifestations contre la souveraineté française », ce qui entraîne plusieurs mouvements d’agitations et de grèves.

Le mouvement gagne en popularité, surtout chez les jeunes. Le PPA reste fidèle aux principes établis en 1926 par l’ « Étoile Nord-Africaine » : abolition totale du code de l’indigénat, libertés démocratiques, indépendance, rejet de l’attachement de l’Algérie à la France.

En 1943, le Parti du Peuple Algérien approuve le « Manifeste du peuple algérien » (texte de Ferhat Abbas avançant le principe d’une Algérie indépendante), rejoignant ainsi les autres courants du mouvement national : Oulémas, autonomistes, et « Amis du Manifeste et de la Liberté » (AML). Toutefois, Messali Hadj et certains membres du PPA estiment qu’il est temps de passer à l’action et de profiter de la faiblesse de la France.

Le 23 avril 1945, le leader nationaliste est placé en résidence surveillée à Brazzaville, ce qui provoque, le 1er mai suivant, des manifestations réprimées à Alger et à Oran ; le bilan fait état de trois morts.

À l’occasion de la célébration de la victoire du 8 mai 1945, des Musulmans algériens manifestent et déploient, outre les drapeaux alliés, des pancartes affichant des slogans tels que « Libérez Messali » et « Algérie indépendante ».

Ceci méritait d’être rappelé car trop d’historiens voient dans les massacres de Sétif du 8 mai 1945 un mouvement spontané, sans préparation. Le ver était déjà dans le fruit !

Et pourtant, les massacres de Sétif surprennent  tout le monde ou presque.

Les raisons « officielles » de cette rébellion sont connues (mais on occulte volontiers le rôle de la CIA ou des Soviétiques dans la « spontanéité » de ce soulèvement (1)). L’affaiblissement de la France, de la défaite de juin 1940 au débarquement américain en 1942, en est l’un des motifs.

Disons un mot de cette rébellion : Le 8 mai 1945, pour fêter la victoire des Alliés, un défilé est organisé. Les partis nationalistes algériens en profitent pour appeler à des manifestations. Selon Benjamin Stora (2), les Français pensaient déjà depuis 1939 que les Nationalistes d’Afrique du Nord étaient pilotés par les Fascistes italiens ou les Nazis, et que le Parti du peuple Algérien était proche du Parti Populaire Français. Ceci semble assez peu crédible !

À Sétif, une manifestation nationaliste est autorisée à condition qu’elle n’ait pas de caractère politique. Le défilé commence dès 8 h, estimé à plus de 10 000 personnes, chantant l’hymne nationaliste « Min Djibalina ». On voit surgir des pancartes  « Libérez Messali », « À bas le colonialisme », « Vive l’Algérie libre et indépendante ». En tête de la manifestation Aïssa Cheraga, chef d’une patrouille de scouts musulmans, arbore un drapeau vert et rouge. Devant le « Café de France », le commissaire Olivieri tente de s’emparer du drapeau, mais est jeté à terre. Des Européens se précipitent dans la foule. Les porteurs de banderoles refusent de céder aux injonctions des policiers. Des tirs sont échangés entre policiers et manifestants. Un jeune homme de 26 ans, Bouzid Saâl, est abattu par un policier. Les manifestants s’en prennent aux Français et font 28 morts chez les Européens (dont le maire qui a cherché à s’interposer) et 48 blessés.

Peut-on, honnêtement, parler d’une manifestation pacifique ? 

L’armée fait défiler les Tirailleurs Algériens, qui n’ont pas tiré, mais, alors que l’émeute se calme à Sétif, d’autres éclatent aux cris du « Djihad » dans la région montagneuse de petite Kabylie, dans les villages entre Bougie et Djidjelli. Des fermes européennes isolées et des maisons forestières sont attaquées, leurs occupants assassinés, souvent dans des conditions particulièrement atroces. Le mouvement s’étend et, l’après-midi même à Guelma, une manifestation s’ébranle.

Les manifestants sont 1 500 à 2 000 jeunes de Guelma, et 400 à 500 paysans des douars des environs. Ils arborent des pancartes « Vive la démocratie », « Vive l’Algérie », « Libérez Messali », ou encore « À bas le colonialisme ». Ils chantent l’hymne nationaliste « Min djibalina », en criant à intervalles réguliers « Vive la liberté algérienne ». À 18 h 30, le cortège arrive au centre-ville.

Le sous-préfet André Achiary, en compagnie de quelques civils, de huit policiers, et dix gendarmes, demande aux jeunes de se disperser, mais le cortège continue d’avancer. Achiary est jeté à terre et frappé par un manifestant. Il sort son revolver et tire un coup en l’air, ce qui déclenche un vent de panique. Achiary ordonne l’arrestation des meneurs.

Pendant toute la nuit, des patrouilles de gendarmes et de soldats circulent dans Guelma. Des mitrailleuses sont placées à tous les carrefours. Le sous-préfet disposait de trois compagnies de Tirailleurs en formation, tous musulmans. Il consigne la troupe et fait mettre les armes sous clés. Un bataillon d’infanterie de Sidi-Bel-Abbès, convoyé par des avions prêtés par les Américains, arrive le 9 dans la journée pour évacuer des petits villages d’Européens encerclés par les émeutiers. Achiary  s’adjoint une milice civile de 280 hommes. Certains miliciens disposent d’armes de guerre et la plupart d’entre eux sont armés de fusils de chasse.

Le lendemain vers midi, l’armée française tire sur Kherrata et des villages avoisinants. Le croiseur « Duguay-Trouin » tire sur les crêtes des monts de Babor. Vers 22 heures la Légion Etrangère arrive à Kherrata et elle n’est pas venue pour donner dans la dentelle. 

Des atrocités contre les Européens se produisent dans le Constantinois, surtout dans les fermes isolées. Des femmes sont violées, des actes ignobles de barbarie sont commis.

Parmi les victimes, on trouve des « modérés » (3), tels le maire socialiste de Sétif, Édouard Deluca, ou Albert Denier, le secrétaire du Parti Communiste, qui aura les deux mains tranchées.

La répression sera efficace et féroce : Le croiseur « Duguay-Trouin » et le contre-torpilleur « Le Triomphant » tirent plus de 800 coups de canon depuis la rade de Bougie sur la région de Sétif. L’aviation bombarde plusieurs agglomérations. Une cinquantaine de « mechtas » sont incendiées. Les automitrailleuses débarquent dans les villages et tirent à distance sur les populations.

Par un télégramme daté du 11 mai 1945, de Gaulle ordonne l’intervention de l’armée sous les ordres du général Duval. Ce dernier rassemble toutes les troupes disponibles, soit deux mille hommes. Ces troupes viennent de la Légion Etrangère, des Tabors Marocains, des Spahis de Tunis, et des Tirailleurs Algériens en garnison à Sétif, Kherrata et à Guelma.

Concluons avec le bilan des émeutes : Le nombre de victimes « européennes » est à peu près admis. Il s’élève officiellement à 102 morts (dont 90 dans la région de Sétif) et 110 blessés. Chiffre auquel il faut ajouter plus de 900 musulmans pro-français tués par les émeutiers. Il est donc indéniable que ces mouvements de foule « pacifiques »  ont tué ou blessé plus de 1 000 personnes. 

En revanche, le chiffre du nombre de victimes « indigènes » est toujours sujet à discussions. Juste après les émeutes, le gouverneur général de l’Algérie fixa le nombre des Musulmans tués à 1 165. Le général Duval déclare, pour la commission Tubert de 1945, que « les troupes ont pu tuer 500 à 600 indigènes ». Yves Courrière (5) parle de 15 000 tués dans les populations musulmanes en citant le général Tubert dont le rapport après les massacres ne donne en réalité… aucun bilan global.

Le gouvernement algérien qui commémore ces massacres chaque année, évoque :es « 45 000 morts des massacres de Sétif ». Récemment, Bélaïd Abdessalam, ancien premier ministre algérien, avouait dans « El-Khabar Hebdo » que le chiffre de 45 000 avait été choisi à des fins de propagande.

Alors oui, personne ne saurait contester que les troupes françaises n’aient pas été tendres pour réprimer les émeutes. Le général Duval, chargé du rétablissement de l’ordre, dit à cette occasion au gouvernement : « Je vous donne la paix pour dix ans, à vous de vous en servir pour réconcilier les deux communautés. Une politique constructive est nécessaire pour rétablir la paix et la confiance ».
Ces propos se vérifient puisque, neuf ans plus tard, l’insurrection de la Toussaint rouge, en 1954 marque le début de la guerre d’Algérie.

Par la suite, la France évitera d’évoquer les « massacres de Sétif ». Il faudra attendre le 27 février 2005 pour que, lors d’une visite à Sétif, Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France à Alger, qualifie les « massacres du 8 mai 1945 » de « tragédie inexcusable »

Cet aveu indigne constitue la première reconnaissance de sa responsabilité par la République française. Son successeur, Bernard Bajolet, a déclaré à Guelma en avril 2008 devant des étudiants :

« Le temps de la dénégation des massacres perpétrés par la colonisation en Algérie est terminé ». Ensuite, on descend toujours plus bas dans la condamnation de la France.

Le 19 avril 2015, Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État aux anciens combattants, participe aux commémorations des « massacres de Sétif », puis il dépose une gerbe devant le mausolée de Bouzid Saâl, le jeune scout tué le 8 mai 1945. 

Les émeutes de mai 1945 se sont déroulées alors que de Gaulle était en charge des affaires de la France. Dans ses mémoires il y fait une très brève allusion. Sans doute pour ne pas endosser la responsabilité de la répression. Il s’en déchargera sur les autorités locales. Et c’est le même qui, quelques années plus tard, bradera l’Algérie française malgré les promesses faites aux « Pieds noirs ».

Eric de Verdelhan
30 janvier 2021

1)- « Les Américains en Algérie 1942-1945 » d’Alfred Salinas ; L’Harmattan ; 2013.

2)- « Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954) », de Benjamin Stora ; La Découverte ; 1991.

3)- « La Gangrène et l’oubli – La mémoire de la guerre d’Algérie » La Découverte ; 1998.

4)- « La Guerre d’Algérie » d’Yves Courrière ;  Fayard ; 1969.

3 Commentaires

  1. j’ai eu un témoignage familial sur le lynchage d’ une vieille femme qui revenait du marché. Ayant rencontré le commandant de gendarmerie qui a participé à la répression je l’ai donc félicité.

  2. Tant que toutes les vérités, je dis bien toutes, celles de la France mais aussi et surtout celles du FLN ne seront pas sur la table on aboutira à rien. Il est bien trop facile de systématiquement dénoncer la France mais et les autres ?. Pour les massacres de Setif voir également la thèse ou plutôt l’enquête du préfet BEN M’BAREK, très bien documentée !.

  3. Il est regrettable que vos lignes ne soit pas diffusées plus largement. Elles permettraient de rétablir un peu d’ordre dans ce marigot putride entretenu par les “merdias” nauséabonds dont ce Apathie qui est à vomir lorsqu’il interview quelqu’un qui ne pense pas comme lui.

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