SUR LA ROUTE DE COMPOSTELLE… L’ESPRIT SOUFFLE-T-IL ENCORE ? (Éric de Verdelhan)

« Il est des lieux où souffle l’Esprit… »
(Maurice Barrès : « La colline inspirée »)

Mes détracteurs – Dieu sait s’ils sont nombreux ! – me reprochent, entre autres, de vivre dans le passé. Et bien, ils ont parfaitement raison. Pour moi, en effet : « L’homme n’est ce qu’il est, qu’en fonction du processus spirituel auquel il concourt, dans le groupe familial et social, dans la nation et dans l’histoire à laquelle toutes les nations collaborent. D’où la haute valeur de la tradition dans les mémoires, dans les mœurs, dans les lois de la vie sociale. En dehors de l’histoire, l’homme n’est rien ».
            

 

Cette belle citation sent le souffre : elle est de Benito Mussolini. Mais, en l’occurrence, c’est tout simplement le fond de ma pensée: sans histoire, sans passé, sans racines, l’homme n’est rien !

J’aurais pu citer Hélie de Saint-Marc qui a dit: « Que serait un peuple sans mémoire ? Il marcherait dans la nuit ».

Maurice Barrès a écrit des choses semblables, ainsi que Charles Maurras, le père de « l’empirisme organisateur ». Rappelons brièvement  pour ceux qui n’ont pas lu Maurras que « l’empirisme organisateur » est une méthode d’analyse politique inspirée du positivisme. Cette méthode consiste à analyser le présent à la lumière du passé, pour prévoir l’évolution de la société et en tirer des principes d’action.

L’application de cette doctrine positiviste, en politique, observe les lois de l’histoire et débouche sur le « Nationalisme intégral », à savoir, la Monarchie. « L’empirisme organisateur » est résumé par Charles Maurras ; c’est « la mise à profit des bonheurs du passé en vue de l’avenir que tout esprit bien né souhaite à son pays ». Il le résume également  par la formule : « Notre maîtresse en politique, c’est l’expérience ».

Macron et la plupart des leaders politiques du 21° siècle – à part Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdoğan – ont oublié que leur pays a un passé et une histoire qui ne se limitent pas à la seule repentance.

Mais mon attachement au passé est également sentimental. Pour autant, je ne fais pas partie des nostalgiques qui serinent à longueur de journée « c’était mieux avant » – primo – parce que les regrets ne servent à rien, et – secundo – parce que tout n’était pas mieux avant : je reste un homme de progrès, quand il améliore la vie, mais pas du changement pour le changement.
Disons que je déplore le délitement de notre nation, sa décadence, son déclassement et sa dégénérescence, que j’attribue, en grande partie, à l’effondrement  des valeurs  morales  inculquées  par le décalogue chrétien. 

Fin septembre, après avoir fêté Saint Michel chez mes frères d’armes du 1er RPIMa, à Bayonne,  je suis allé à Pampelune, l’une des rares grandes villes espagnoles que je ne connaissais pas (ou si peu !). Je faisais un retour aux sources, un bond en arrière de plus de 10 ans  et il y avait une raison à cela.

En 2010, l’année de ma retraite, je commençais à écrire mon premier livre « Au capitaine de  Diên-Biên-Phu ». En 2009, j’avais visité « notre » Indochine, du sud au nord, de Saïgon au Tonkin, pour (tenter de) comprendre ce que les anciens d’Indo  ont appelé « le mal jaune ».  

Au retour, j’ai proposé à quelques amis, anciens paras pour la plupart, que nous fassions une longue marche, un pèlerinage, en hommage à « ceux de Diên-Biên-Phu ». Le parcours devait faire 700 ou 750 km puisque, après 56 jours de combat, les prisonniers de Diên-Biên-Phu ont parcouru cette distance jusqu’aux camps-mouroirs viets. Deux sur trois n’en sont pas revenus. Mon père pesait… 39 kg à sa libération.

Le « Camino francès » qui commence à Puente-la-Reina et va à Saint Jacques de Compostelle, fait environ 700 kms ; je proposais donc que l’on parte de l’étape précédente, à savoir, Pampelune.

Mon idée a été accueillie avec enthousiasme : tous mes camarades étaient partants, mais plus le jour du départ approchait, plus les volontés tiédissaient : untel avait des problèmes de santé, tel autre recevait des amis, tel autre gardait ses petits enfants… J’ai constaté une fois de plus que, dans la vie, il y a deux catégories de gens : ceux qui font les choses  et ceux qui vont les faire

J’allais oublier de dire que, préalablement, avec mon épouse nous avions adhéré à une association jacquaire. Pour moi, le chemin de Compostelle  est, depuis le moyen-âge, un pèlerinage chrétien. Mais, lorsque j’ai adhéré, on s’est chargé de me détromper : « Nous sommes une association laïque, un club de randonnée ; d’ailleurs la présidente est athée ».
Diantre, j’avais donc tout faux !!!! 

Et c’est ainsi que, le 28 août 2010, avec mon épouse, chargés comme des mulets, nous avons embarqué dans un de ces autobus crasseux qui sillonnent l’Europe jusqu’à l’extrême sud de l’Espagne pour ramener vers leur douar d’origine une faune allogène  qui rentre au bled pour les vacances.

Du groupe prévu initialement, nous étions… deux ! A 3h du matin, nous descendions à Pampelune.

En pleine nuit, durant une heure, nous avons cherché le chemin de Compostelle …

La première étape fut courte mais pénible : l’ascension du Alto del Perdón, un col situé à 770 mètres d’altitude. Une sculpture monumentale en métal représentant des pèlerins y a été édifiée.

Et c’est ainsi que, comme tant d’autres, j’ai pris le Chemin. Oh, pas tout le Chemin ! Uniquement la partie espagnole, le fameux « Camino françès » : 750 kilomètres, en 31 jours, à un train de sénateur.  

Mon épouse a eu le mérite de marcher à mon rythme, de m’entendre râler le jour et ronfler la nuit, mais après tout, un « pèlerinage » doit comporter des contraintes, de la sueur et de la souffrance ; ce n’est pas une promenade de santé ! Ce pèlerinage, je l’ai entrepris dans un but précis. Mais finalement, il m’aura fallu des années pour oser écrire que cette expérience m’a laissé un goût amer, même si ma mémoire, heureusement très sélective, n’en a retenu que les bons moments.

Dans notre monde aseptisé, tolérant, compassionnel – ce monde de « bisounours » qui a perdu tout sens critique – émettre un avis négatif sur le Camino est considéré comme une incongruité, presque une grossièreté. Tant pis, je me lâche: ce coup-de-gueule soulage  ma conscience !

Quand nous sommes partis, ma femme souffrait d’une sciatique ; j’avais les rotules en vrac et notre association de « canards boiteux » est arrivée jusqu’à Compostelle.

A cette évocation, ô combien douloureuse, j’ai envie de plagier Corneille dans Le Cid :  

« Nous partîmes tous deux et après moult efforts,
Nous nous vîmes surpris d’arriver à bon port… »

Les  « accros » du Chemin sont mieux placés que moi pour susciter des vocations et donner envie  de partir. Ce n’est pas mon but. Je me contenterai donc de faire état de ma grogne, de mes sujets d’irritation et, aussi, de mes inquiétudes  sur la déchristianisation  et le mercantilisme du  Camino.

Marcher jusqu’à Compostelle est devenu « tendance » comme disent les cuistres. Il y a quelques années, un célèbre toubib-diplomate-académicien, archétype  du « bobo-branché », a écrit un livre sur son périple vers Saint Jacques. Son bouquin est sorti agrémenté d’un bandeau qui se voulait accrocheur voire racoleur : « Ruffin à Compostelle », ça vous a des relents de « Tintin au Tibet » ou « Astérix chez les Goths », ça fleure bon l’aventure, la vraie !

Déjà, des Tour-operators promènent des consommateurs-randonneurs sur « les plus belles étapes » du Chemin : les pistes « pourries » en plein cagnard, la crasse de certains gîtes, les décharges en plein air que sont certaines aires de pique-nique, on laisse ça aux gueux (de mon espèce) qui font tout à pied, comme au moyen-âge, en économisant leurs pas, leur souffle et …leur porte-monnaie.

Une frénésie mercantile s’est emparée du Chemin. On y construit des hôtels, des restaurants, des « transportes de mochillas » (sacs à dos) ou des « transportes » tout court, pour ceux qui en ont marre de crapahuter. Au fil des ans, le randonneur  a supplanté le pèlerinle jacquet – et c’est bien dommage !  

De tous temps, le Chemin a attiré des gens en quête d’absolu. Peu importe, après tout, qu’ils soient catholiques, athées, agnostiques, adorateurs de Vishnou ou de Bouddha. En revanche, c’est quand on ne vénère plus que le « pognon », le fric-roi, la balade touristique et/ou la performance sportive que les choses commencent  à m’inquiéter !

Le Musulman, qui, en burnous blanc, se rend à La Mecque et piétine durant des heures pour poser sa main sur la Kaaba n’y va pas « en touriste ». Il sait qu’il en reviendra avec le titre envié de « Hadj »  qui lui vaudra le respect de ses coreligionnaires.  Idem pour le Juif qui se rend au Mur des Lamentations. On peut en dire autant pour toutes les religions. La nôtre est plus tolérante puisqu’elle accepte tout le monde, au nom d’un œcuménisme  qui  finira sans doute  par la tuer.

Doit-on, pour autant, oublier  que le Chemin  est, initialement, un pèlerinage chrétien ?

Que les églises, les refuges, les hôpitaux qui le jalonnent ont été bâtis avec la foi des bâtisseurs de cathédrales ? Que le secours aux pèlerins – au travers des monastères, abbayes, dispensaires etc… – émane d’un ordre social chrétien, lointain ancêtre de notre sécurité sociale (déficit abyssal en moins !) ?

Que Saint Jacques, enfin, était un saint catholique ? Va-t-on un jour, par souci de marketing, ne plus l’appeler que Jacques ? Reviendra-t-on à cette folie révolutionnaire qui voulait que les noms des saints disparaissent des villes : Saint Malo était devenu Port Malo, Saint Denis s’appelait Franciade…

Je veux dire, ici, ma colère devant ces groupes de Français (ou ces troupeaux ?), braillards, grandes gueules, jamais contents et qui vous saoulent avec leurs problèmes de malbouffe, d’inconfort des hôtels et de troubles gastriques. En les entendant se plaindre, je pensais qu’on devrait rebaptiser « Miam-miam-dodo », ce petit guide au nom bêtifiant, par « Pipi-caca ».

Et que dire de ces adeptes de randonnée pédestre qui, pour bien montrer que leur périple n’a RIEN de religieux, se croient obligés de faire preuve, dans leurs discussions, d’un anticléricalisme d’une virulence quasi fanatique ? Une Christianophobie qui blesse et offense la conscience des croyants (dont je suis) ; mais ces gens-là s’en foutent éperdument, au nom de la « liberté d’expression », je présume ?

On me dit que, depuis la Révolution, notre pays autorise le blasphème. Mais est-ce une raison pour en abuser ? Pour insulter les adeptes d’une religion à laquelle  ils ne croient pas (1)?

Chez certains, ces comportements ne visent qu’à choquer ou à provoquer.  

Chez d’autres, c’est beaucoup plus pernicieux : c’est la volonté de chasser « le Divin et le Sacré » du Chemin. En effet,  il est pour le moins paradoxal d’abandonner le rituel chrétien pour lui supplanter des rites primitifs un peu niais, qui s’apparentent  à du fétichisme vaudou.

Citons, pour illustrer mon propos, la célèbre « cruz de ferro », modeste calvaire en ferraille qu’on transforme allégrement en dépôt d’ordures en y laissant des vieilles godasses, des fringues usagées, des chiffons, des grigris, des peluches, etc…Personnellement, je me fais une autre idée du respect  dû au Christ mort sur la croix pour notre rédemption.

Certains déposent à la « cruz de ferro » un caillou, plus ou moins gros, qui représente le poids des péchés (ou du passé) qu’ils abandonnent en route. Citons aussi la coutume qui consiste à brûler ses habits – souvent en parfait état – en arrivant à Fisterra, pointe extrême de la Galice, pour symboliser « la naissance d’un homme nouveau » (Il serait plus judicieux, plus charitable aussi, me semble-t-il, de les donner à une association caritative) (2). On a ainsi laïcisé (ou paganisé ?) le baptême, la contrition et la pénitence.

Ce n’est pas le fait du hasard : jadis, la Franc-maçonnerie a créé le GADLU (Grand Architecte De L’Univers) pour détrôner le Dieu des Catholiques afin que la France ne soit plus « la fille aînée de l’Eglise ».

Beaucoup plus tard, la « terreur rouge » tenta de déchristianiser l’Espagne. Je dois reconnaître  que la déchristianisation, en France, a  plutôt  bien fonctionné !

On me dit souvent que le pèlerin-randonneur « de base », qu’il soit agnostique, athée ou adepte d’une autre religion, n’a pas d’arrière-pensée  visant à chasser le Catholicisme du Chemin.

Je ne lui fais donc aucun procès d’intention. Je voudrais simplement qu’il ne se comporte pas en « idiot-utile » (3) et qu’il veuille bien reconnaître que notre civilisation, tout ce qui fait que nous ne sommes plus des barbares, est basé sur le décalogue chrétien. Les Dix Commandements de l’Eglise ont inspiré le « Code Napoléon »; ce code qui – bien qu’amendé moult fois – réglemente  encore notre vie quotidienne.

Je n’ai rien d’un bigot ou d’un cul-béni, je suis même un drôle de paroissien souvent en bisbille avec une hiérarchie catholique (qui confond la foi et les droits-de-l’homme), mais, je me fais un devoir, un point d’honneur, de respecter la religion (ou la non-religion) de l’autre, de ne pas insulter ses croyances, de ne jamais le blesser dans sa foi. J’aimerais donc, tout simplement, un minimum de réciprocité !

Que les ayatollahs de l’athéisme forcené méditent ce que disait, peu de temps avant sa mort, Lazare Hoche, ce général républicain qui « pacifia » la Vendée dans le sang : 

« J’estimerai toujours un homme pieux. La morale de l’Evangile est pure et douce, et quiconque la pratique ne peut être méchant…Respect à la religion: elle console des maux de la vie. Je tolère toutes les croyances.  La mienne n’est pas fixée ; depuis longtemps je cherche la vérité… »

On me serine assez régulièrement que « Tout ceci n’a pas d’importance. Chacun son Chemin » car l’engouement  pour le Camino contribue, entre autres, à l’économie de régions pauvres.

Oui, en effet, ça fait marcher le commerce ! Car il s’agit bien de business.

J’ai ressenti un choc quand j’ai découvert qu’Aquarius, « la boisson du pèlerin » était estampillée par la Coca-Cola Compagny. Au train où vont les choses, je ne désespère pas de voir, un jour, « Mac-Do » ou « Quick » proposer un « Hamburger del Pérégrino ». Verra-t-on, demain des « courses à Compostelle », sponsorisées par Adidas ? Il reste à inventer le parfum « Sueur de pèlerin », mais je fais confiance aux  hommes  de marketing, ça viendra !

Je plaisante, bien sûr, mais le fond est sérieux : où s’arrêtera la marchandisation du Chemin ? 

J’ai bien peur qu’en chassant le Divin et le Sacré du Camino, ils soient dorénavant supplantés par un autre dieu – celui que tout le monde adule et vénère dans notre époque sans repères – : le fric-roi !!!!!

Il a déjà sa religion – le matérialisme athée – et ses dogmes – l’individualisme  et  l’hédonisme narcissique.

Madame Alix de Saint-André a écrit dans  un (mauvais) livre  intitulé « En avant route ! »  :

« Un pèlerin, ça fume, ça boit et ça pue des pieds… ».

Mais il arrive aussi que ça prie et c’est éminemment respectable !

P.S. : J’ai rencontré des tas de gens biens sur ce fichu chemin mais ce n’était pas des Français.

Il faut croire que le refus de revendiquer nos racines chrétiennes, le rejet de notre passé « catholique et royal », la sacro-sainte laïcité imposée comme un dogme, ont fait des ravages.

Alors oui,  dans certains cas, « c’était mieux avant » !    

Eric de Verdelhan

12 octobre 2021

                                                                                                                                           

                                                                                                                        

1)- Les tueries de « Charlie Hebdo » sont venues nous rappeler que toutes les religions n’ont pas la même tolérance envers le blasphème.  

2)- Et que dire des touristes-badauds qui, à Santiago, se ruent dans la basilique pour applaudir le « butafumeiro », cet encensoir géant qu’on balance en fonction du bilan financier de la quête ? Qu’ils confondent, allègrement, un sanctuaire  et un cirque ?

3)-  Vocable employé, jadis, par les Communistes pour désigner leurs complices involontaires.

                

4 Commentaires

  1. Ce Chemin de St Jacques De Compostelle passe devant mon restaurant et les Hollandais Allemands, Belges… qui descendent ou remontent à pieds ou en vélos s’arrêtent ici, une pause fraicheur et une petite collation avant de reprendre le pèlerinage… Ils sont nombreux et ils sont tous très croyants… que dieu les bénissent!

  2. Habitant en Tenareze , haut lieu de la production du divin Armagnac, entre le «  Haut et le bas «  , j’ai souvent l’occasion d’observer ces «  pèlerins «  qui grenouillent aux environs d’Eauze et je me rappellerai toujours cet épisode d’une famille de randonneurs , équipés comme le sont les campeurs hollandais , attablés à la terrasse d’un restaurant eluzate en prenant 2 fois de plus de places qu’il ne leur en fallait ( diantre , il faut installer les sac a dos à coquille ) s’empiffrant de bon appétit , la marche ça creuse ! . Mais qu’elle ne fut pas ma surprise de voir qu’une fois l’addition réglée , tout ce beau monde enfourner sacs à dos , bâtons et chapeaux de brousse dans la grosse et rutilante Opel garée un peu plus loin …moi qui me posais des questions métaphysiques ( plus physiques que méta ..) sur mes capacités à commencer le Chemin , j’eu la réponse ce midi là

  3. Le lieu ou souffle l’esprit c’est a EUNATE prés de Pamplume on sait quant on y rentre mais l’attrait ne permet pas de dire quant on en sort

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