ODESSA – 2 mai 2014 (Eric de Verdelhan)

« L’Occident se comporte comme un empire qui veut faire marcher au pas ses vassaux ».

 (Vladimir Poutine).

 

Je sais déjà, par avance, que je vais me faire agonir par les tenants du « camp du bien », ceux qui me traitent de « poutinolâtre » parce que j’ai osé dire (et répéter) que nous n’aurions jamais dû nous lancer dans un soutien inconditionnel de l’Ukraine, à seule fin de complaire aux Américains  et à Ursula von der Leyen, car l’Ukraine – état mafieux par excellence – n’est membre ni de l’OTAN ni de l’UE.

Tant pis, je persiste et signe : il nous fallait adopter une prudente neutralité car nous aurons besoin, tôt ou tard, de renouer des liens avec la Russie. Ceux qui m’accusent d’avoir choisi mon camp – celui de la Russie – n’ont rien compris. Je suis partisan de la realpolitik et mon camp, c’est celui de la France qui est, depuis le début de l’offensive russe, parmi les grandes perdantes de ce conflit.

Emmanuel Macron est un inconscient, un irresponsable ou un fou, et ses rodomontades de matamore envers la Russie risquent fort de transformer une co-belligérance – déjà critiquable en soi – en guerre ouverte. Il veut « européaniser » la dissuasion nucléaire française, c’est une forfaiture, et il vient de revenir à la charge en n’excluant pas d’envoyer des troupes au sol en Ukraine. Aussitôt, les réseaux sociaux ont fait circuler une fake-news annonçant que la Légion Étrangère était prête à partir pour Odessa. Et le nom de cette ville me donne l’occasion de rappeler que, s’il est indéniable qu’en février 2022, c’est la Russie qui a agressé l’Ukraine, ce n’est jamais que la suite d’un conflit larvé qui a commencé en 2014, avant même la violation des Accords de Minsk II.

Un peu d’histoire : ce que symbolise Odessa pour les Ukrainiens et les Russes.  

Odessa était une ville russe, fondée par un oukase du 27 mai 1794 de Catherine II. La ville prend son essor grâce à Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu, gouverneur d’Odessa entre 1803 et 1814. Sous la période soviétique, la ville sert de base navale et, depuis le 1er janvier 2000, le port d’Odessa est déclaré port franc (et zone franche) pour vingt-cinq ans, donc jusqu’en 2025. C’est, actuellement, un pôle économique important d’Ukraine, doté d’industries agroalimentaire, textile et manufacturière. Avec un peu plus d’un million d’habitants, Odessa est la troisième ville d’Ukraine et l’une des plus riches du pays. Son architecture est plus méditerranéenne que russe, très influencée par les styles français et italien. Elle est souvent nommée la « Marseille d’Ukraine ».

Durant la guerre de Crimée – de 1853 à 1856 – Odessa fut bombardée par les marines britannique, ottomane et française.
En 1905, Odessa est le théâtre d’un soulèvement d’ouvriers soutenus par l’équipage du cuirassé « Potemkine » pendant la révolution russe de 1905. Cette mutinerie inspire en 1925 le film de Sergueï Eisenstein, « Le Cuirassé Potemkine ». Elle inspire aussi le communiste Jean Tenenbaum, dit Jean Ferrat, qui en fera une chanson, « Potemkine ».

Dans la foulée de la révolution de février 1917, se constitue le 15 mars 1917 une Rada (un conseil) autonome, présidée par l’historien Mykhaïlo Hrouchevsky. La Rada manifeste son opposition au coup d’État bolchévik en proclamant, le 19 novembre, la République populaire ukrainienne, non séparée de la République russe. Les bolcheviks refusent de reconnaître la Rada centrale et fondent toute une série de Républiques. À la suite de l’insurrection bolchevique, la République soviétique d’Odessa y déchaîne « la terreur rouge » : 400 officiers sont exécutés à bord du croiseur Almaz, transformés en bloc de glace sur le pont à coup de jets d’eau, ou jetés vivants dans la chaudière ; en ville, 400 familles accusées d’être « bourgeoises » sont massacrées par une foule en colère. Mais, ne parvenant pas à maintenir son contrôle au-delà des environs immédiats de la ville, la République soviétique d’Odessa est contrainte de composer avec la Rada, alors même que celle-ci poursuit parallèlement avec la Russie bolchévique des négociations préliminaires au traité de Brest-Litovsk.

Ce traité, signé entre les Empires centraux et la Russie bolchévique livre à l’Empire allemand les Pays Baltes, la Biélorussie et la République populaire ukrainienne (que Lénine ne parvenait pas à contrôler). Puis, les Républiques bolcheviques d’Ukraine, dont la République soviétique d’Odessa, s’unirent le 19 mars 1918 pour former la République soviétique ukrainienne avec, initialement, Kharkov pour capitale.

En 1919, la ville est occupée par les forces navales françaises de l’amiral Amet venues y soutenir les Armées blanches, mais les marins communistes se mutinent ; l’intervention est un échec. La guerre civile y reprend de plus belle entre les Ukrainiens nationalistes, les Russes « blancs », les Ukrainiens anarchistes, et l’« Armée Rouge » bolchévique qui, en 1920, prend le contrôle d’Odessa, intégrée à la République socialiste soviétique d’Ukraine, membre en 1922 de l’URSS.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, de 1941 à 1944, Odessa fut occupée par les forces armées roumaines alors alliées de l’Allemagne. Le Gouvernorat de Transnistrie y fut établi en août 1941 (avec Odessa comme capitale). Le 22 octobre 1941, six jours après l’entrée des troupes roumaines, un attentat tua le général Ioan Glogojeanu, commandant d’Odessa, ainsi qu’une grande partie de son état-major, faisant une quarantaine de morts. Le soir même, le gouvernement roumain accusa l’ensemble des Juifs odessites et ordonna des « représailles implacables ». Vingt minutes plus tard, le nouveau commandant d’Odessa, le général Trestioreanu, annonça qu’il allait pendre les Juifs et les communistes sur les places publiques. Pendant la nuit, cinq mille personnes furent exécutées. Le 23 octobre, dix-neuf mille Juifs furent abattus. Ces tueries allaient durer jusqu’au 17 mars 1942.

Les militaires roumains, aidés par les autorités locales, auraient abattu, entre le 18 octobre 1941 et le 17 mars 1942, vingt-cinq mille Juifs en en déportant plus de trente-cinq mille.

Odessa sera finalement libérée par l’Armée Rouge en avril 1944 lors de l’offensive Dniepr-Carpates. Elle fut l’une des quatre premières villes à recevoir le titre de « Ville héros » en 1945.

Après la guerre, la ville en partie ruinée et dépeuplée, souffre à nouveau d’une famine, celle de 1946-1947, et la terreur rouge stalinienne n’y cesse qu’à partir de 1956, après la déstalinisation.

Odessa aujourd’hui…

Odessa est une ville qui a un passé russe ; une ville martyre ; une ville qui souffert, mais de nos jours, c’est aussi une ville mafieuse comme beaucoup de cités trop  cosmopolites dans lesquelles s’affrontent différentes communautés. Les Ukrainiens constituent la majorité des habitants de la ville qui compte cependant une forte minorité russe (30 %). Mais elle abrite aussi beaucoup d’autres nationalités : Albanais, Arméniens, Azéris, Tatars de Crimée, Bulgares, Géorgiens, Grecs, Moldaves, Turcs, Tsiganes, etc… Le port d’Odessa est connu pour sa délinquance et sa criminalité. D’après « le Monde », la ville est « gangrenée par la violence et la corruption ». Une corruption omniprésente au plus haut niveau de l’administration locale.

Un détail amusant cependant : depuis les années 1970, Odessa est reconnue comme capitale de l’humour soviétique ; des festivals d’humour ont régulièrement lieu dans la ville. Mais si je vous parle d’Odessa aujourd’hui, ce n’est pas pour son festival de l’humour mais d’un évènement honteux qui remonte à dix ans, presque jour pour jour. Un évènement dont plus personne ne parle.

À la suite de l’« Euromaïdan » – fomenté par la CIA – qui conduit à la chute du président Viktor Ianoukovytch le 22 février 2014, des troubles éclataient dans les régions russophones de l’Est et du Sud du pays, fief électoral de l’ancien pouvoir. Odessa reste au départ plutôt calme, avec des manifestations sporadiques de pro-Maïdan, d’anti-Maïdan et de groupes pro-russes. Des militants pro-russes établissent un campement de tentes sur une place centrale de la ville.

Le 2 mai 2014, la situation se dégrade dans l’oblast de Donetsk. Les manifestants pro-Maïdan décident d’organiser un rassemblement pour une Ukraine unie à Odessa. Il a lieu à 14 h sur la place Soborna et rassemble 1 500 personnes, dont des supporters de clubs de football, des militants nationalistes et des partisans de l’unité ukrainienne. Ces marches de « footeux » violents sont une tradition avant les matchs de foot. Les manifestants chantent l’hymne national ukrainien et des chants hostiles à Vladimir Poutine. Une centaine de militants cagoulés, en tenue de camouflage, et armés de bâtons et de boucliers se joignent à la manifestation (1).

Dans la rue Hretska, le défilé se heurte à un groupe pro-russe. Les deux parties échangent des pierres et des cocktails Molotov. Des barricades sont construites dans la ville. Quelques coups de feu sont tirés sur la foule depuis le toit du centre commercial. Qui a tiré ? Personne ne le sait !

Des manifestants pro-ukrainiens lancent un appel sur les réseaux sociaux pour aller détruire le camp des anti-Maïdan. Leur campement de toile, à l’extérieur de la « Maison des Syndicats » est incendié. Les pro-russes se réfugient dans le bâtiment.

La bâtisse comporte cinq étages et elle est le siège de la Fédération régionale des Syndicats d’Odessa. Les militants pro-Ukraine l’attaquent à coup de cocktails Molotov. Un témoin oculaire déclarera à  « BBC-news » que le feu a commencé au troisième étage. Une chose est certaine : des cocktails Molotov ont été jetées dans l’entrée et à travers les fenêtres des étages par des militants de l’unité ukrainienne. L’enquête officielle menée par le Ministère de l’Intérieur ukrainien vaut son pesant de moutarde puisqu’elle affirme que ceux qui occupaient le toit de l’immeuble tiraient sur la foule et qu’ils ont « accidentellement mis le feu au bâtiment tout en jetant des cocktails Molotov » ; or on n’a pas retrouvé la moindre arme à feu dans les décombres de l’immeuble.  

Les pompiers ne sont arrivés qu’une heure après le début de l’incendie. Treize unités d’engins d’incendie et de secours ont été envoyées sur place, mais la foule bloquait les abords du bâtiment.

Ceux qui ont tenté d’échapper à l’incendie ont été tabassés par des manifestants pro-ukrainiens lors de leurs tentatives de fuite. Des militants ukrainiens ont chanté et laissé éclater leur joie devant le bâtiment en flammes.

Selon un premier bilan, trente-deux personnes seraient mortes dans l’incendie, dont huit après avoir sauté par les fenêtres pour échapper aux flammes. D’après Benoît Vitkine, journaliste pour « le Monde », quarante-deux manifestants pro-russes sont morts dans l’incendie ; six autres ont été tués plus tôt lors des affrontements en ville. Quarante-trois personnes sont mortes en une journée à la suite de ces affrontements. Plus tard, le personnel hospitalier devait indiquer que 174 personnes avaient été blessées, dont vingt-cinq se trouvaient dans un état critique.

Quinze des morts dans l’incendie étaient des citoyens russes, et cinq étaient originaires de Transnistrie (2) mais le Ministère de l’Intérieur ukrainien devait déclarer que l’identité de la plupart des victimes du 2 mai n’avait pas pu être déterminée, ce qui est absolument faux !

Benoît Vitkine, qui a effectué un reportage à Odessa un an après le drame, écrira « l’enquête judiciaire est opaque, la police ne communique pas ». Il a cependant recueilli l’avis d’un chef de milice pro-ukrainienne, Mark Gordienko qui dit ceci « Le 2 mai, c’est notre victoire… Une victoire sanglante, mais vitale. Sans elle, nous serions en guerre ici aussi, avec des milliers de morts… » (3).

Paul Moreira qualifie pour sa part l’incendie de la « Maison des Syndicats » de « massacre à bas bruit » : « Quand j’ai commencé cette enquête sur l’Ukraine, j’ai découvert avec sidération à quel point le massacre d’Odessa en mai 2014 avait disparu de la mémoire du grand public français ».

Le 20 février 2022, Vladimir Poutine répondait vertement à une mention par Emmanuel Macron des « autorités démocratiquement élues » en déclarant « Ce n’est pas un gouvernement démocratiquement élu. Ils ont accédé au pouvoir par un coup d’État sanguinaire. Il y a eu des gens brûlés vifs. C’était un bain de sang. Et Zelensky est l’un des responsables »(4). Le lendemain, Poutine décidait la reconnaissance des deux Républiques de Donetsk et de Lougansk (proclamées huit ans plus tôt). Trois jours plus tard, sur son ordre, l’Armée russe commençait l’invasion de l’Ukraine.

Finalement, les guerres d’adultes sont comme les bagarres de gosses, c’est toujours l’autre qui a commencé. Il y a un méchant et un gentil et c’est toujours le gentil qui dit qui est le méchant.

Éric de Verdelhan

8 mai 2024

1)- Le candidat pro-russe à la mairie d’Odessa, Hennadiy Troukhanov accuse Oleksandr Dubovoy (qui dirigeait la campagne électorale de Ioulia Tymochenko dans la ville) d’avoir engagé des gros bras pour bastonner les manifestants pro-russes.

2)- Le conseiller municipal d’Odessa, Dmitry Spivak, a lui aussi déclaré que certains des émeutiers étaient originaires de Transnistrie.

3)- Benoît Vitkine, « Odessa, un an après le drame du 2 mai », « Le Monde.fr » ; 2 mai 2015. 

4)- « Guerre en Ukraine: Guy Lagache dévoile un échange Macron-Poutine juste avant le début du conflit », « Le HuffPost »,‎ 24 juin 2022 .

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