Élections européennes : vers une crise de régime ? (Jean Goychman)

Le 9 juin approche et le résultat du scrutin peut être beaucoup plus important que celui d’une simple élection européenne.

Tout d’abord, les fédéralistes semblent être sortis de leur confortable ambiguïté, même s’ils sont toujours très réticents à appeler un chat un chat.

Ensuite, de plus en plus de gens ont compris qu’un État européen supra-national allait faire disparaître les nations. Jusqu’à un passé récent, le lien entre les deux n’était pas solidement établi.

Les choses leur apparaissent aujourd’hui plus claires. Ce sera « fromage ou dessert » c’est à dire qu’il faut choisir entre l’Union fédérale européenne OU la France.

Analyser le scrutin comme un référendum

Ce choix entre une Union fédérale a déjà été fait par les Français le 29 mai 2005. Et il a été très clair : 55 % des électeurs français ont rejeté le fédéralisme. Il a même fallu quelque peu « tordre le bras » à la Constitution  pour transformer le projet de traité constitutionnel en traité de Lisbonne quatre ans plus tard.

On peut considérer que les électeurs français qui vont voter pour une liste « souverainiste » quelle qu’elle soit, sont opposés à ce fédéralisme européen qui va anéantir cette souveraineté populaire, pourtant pièce maîtresse de notre Constitution.

Imaginons que cette analyse révèle qu’une majorité des électeurs français ne veulent pas voir disparaître leur nation. Ce n’est pas une simple spéculation car la vision gaullienne de l’Europe, qui s’est traduite en 2005, est de plus en plus présente dans les esprits.

Ce courant majoritaire peut-il entraîner une majorité législative ?

Probablement pas directement, mais l’engagement total d’Emmanuel Macron dans le fédéralisme européen qui apparaît aujourd’hui comme l’axe majeur de son action ne peut que le fragiliser davantage dans l’opinion. La prétendue « majorité présidentielle » ne représente que des alliances de circonstance qui, jusqu’alors, ont fait échouer les tentatives de motion de censure. Beaucoup de ces alliés refusaient une éventuelle motion de censure par peur d’une dissolution qui aurait pu s’avérer fatale pour eux.

L’apparition d’un courant majoritaire peut changer les choses.

Bien sûr, tous ceux qui désirent que le peuple français conserve sa souveraineté ne forment pas une population homogène et des clivages subsistent. Sont-ils insurpassables ?

De Gaulle, dans son discours de Bruneval de mars 1947, a dit :

« Le jour va venir où, rejetant les jeux stériles et réformant le cadre mal bâti où s’égare la nation et se disqualifie l’État, la masse immense des Français se rassemblera sur la France »

Il savait que le pays était divisé mais ne doutait pas un seul instant que, devant les dangers à venir, les Français iraient à l’essentiel, c’est-à-dire la souveraineté nationale.

Une éventuelle dissolution et les élections législatives qu’elle induirait pourrait permettre d’obtenir une coalition largement majoritaire. 

Éviter la « cohabitation »

Dans cette hypothèse, ne doutons pas que le Président Macron sache tirer tout le bénéfice pour lui, tout comme François Mitterrand l’avait fait en son temps. Jacques Chirac, ne voulant pas être à l’origine d’une crise de régime qui pouvait conduire à de nouvelles élections présidentielles, avait préféré accepter ce cadeau empoisonné qu’était le poste de Premier ministre. Dans un article du journal « Le Monde » du 16 septembre 1983, Edouard Balladur avait « théorisé » la cohabitation dans la Constitution de 1958 et écrivait :

« Les responsables politiques auront le choix entre deux attitudes : ou bien rechercher l’affrontement, la majorité nouvelle tentant de paralyser le Président, le Président refusant de tenir compte dans la composition du Gouvernement de l’existence d’une majorité nouvelle ; ou bien tenter la cohabitation, ce qui suppose que chacun accepte d’être quelque peu empêché, dans la liberté de ses mouvements et de ses choix, de ne pas appliquer tout de suite tous ses projets ».

En 1986, Chirac et Mitterrand avaient implicitement accepté cette contrainte. Certes, il existait des désaccords sur la politique intérieure, comme les nationalisations ou les dépenses publiques mais en matière de relations européennes ou internationales, un accord était possible. Avec le recul, cette cohabitation fut un échec cuisant pour Jacques Chirac qui fut battu sévèrement à l’élection présidentielle de 1988.

En 2024, une situation très différente

En 1986, personne ne parlait vraiment d’un fédéralisme européen qui ferait de l’Union européenne un État supranational. La tentative d’éliminer la « règle de l’unanimité » avait tourné court en 1965, lorsque de Gaulle avait imposé la politique de la « chaise vide » qui dura six mois.

Aujourd’hui, c’est essentiellement de cela qu’il s’agit. La logique démocratique aurait voulu qu’une telle question soit posée directement au peuple français, mais il paraît établi aujourd’hui qu’il n’y aura pas de référendum sur ce sujet et, dans les faits, seul le Président de la République peut en décider. C’est un point majeur et on ne voit pas comment un (ou une) Premier ministre qui a toujours mis en avant le maintien de la souveraineté nationale pourrait accepter d’y renoncer.

Une crise de régime inévitable ?

Là encore, un référendum qui donnerait la parole au peuple français permettrait de l’éviter.

Comme il semble n’en vouloir à aucun prix, Emmanuel Macron continuera à diriger le pays sans majorité avec un gouvernement progressivement paralysé ; mais pour combien de temps et avec quelle légitimité ?

Il apparaît que les choix à venir seront cruciaux. Une cohabitation ne pourrait se faire qu’à l’avantage du Président, comme ce fut le cas en 1986, et ce n’est probablement pas ce qu’espèrent la majorité des Français.

Jean Goychman

9 mai 2024

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1 Commentaire

  1. “…l’engagement total d’Emmanuel Macron dans le fédéralisme européen…” au point que Ursula von der Leyen a accueilli le président chinois dans sa préfecture régionale de l’Élysée. À cette occasion, son serviteur a su rester humble.