« …Lorsqu’aujourd’hui un homme vous parle de la Résistance, fait étalage de ses certificats et fait preuve, à ce sujet, d’une intransigeance toute fraiche, il y a 99 chances sur 100 qu’il s’agisse d’un coquin. Car les braves, les honnêtes, les désintéressés, sont morts ou sont rentrés chez eux, en toute simplicité, comme ils s’étaient battus… »
(André Figueras)
Depuis l’anniversaire des deux débarquements – le 6 juin 1944 en Normandie et le 15 août en Provence – il ne se passe pas une journée sans que je reçoive une notification de presse racontant la libération de telle ou telle ville par la Résistance. Aujourd’hui on fête la libération de ma petite sous-préfecture de Charente-Maritime (qui s’appelait Charente Inférieure à l’époque).
Avant de développer mon sujet du jour, et pour éviter toute polémique stérile, je tiens à dire que j’ai un respect total pour les VRAIS résistants ; ceux qui n’ont pas attendu le départ des Boches pour voler au secours de la victoire. Mais je ne peux m’empêcher de penser à la réflexion amusante d’un vieil ami, décédé il y a plus de vingt ans. Allemand d’origine, adjudant-chef légionnaire-para, ancien d’Indochine et d’Algérie, il avait commencé sa carrière dans les Jeunesses Hitlériennes à 16 ans. Lors d’une cérémonie, il m’avait dit en rigolant :
« Avec tous les héros qu’il y avait en France, on se demande comment nous, les Frisés, on a pu y rentrer si facilement ». Remarque judicieuse !
Selon Henri Amouroux (1), le peuple français était très majoritairement pétainiste jusqu’au débarquement en Normandie le 6 juin 1944. C’est l’avis de tous les historiens de cette période. La France de 1940 à 1944 a été pétainiste et passive à 90 ou 95%. Il y a bien eu une faible proportion de la population, pour fournir les « résistants de la première heure ». La rupture du pacte germano-soviétique (22 juin 1941) a fait basculer les communistes – pas tous ! – dans la Résistance, puis l’instauration du STO en mars 1942, a poussé plus massivement des jeunes de tous bords vers les maquis. Mais la vraie Résistance restera cependant très marginale. Après la guerre, dans un pays de 42 millions d’habitants, il y avait 235 000 titulaires de la carte de « combattants volontaires de la Résistance » (y compris celles décernées à titre posthume) et à peine… 51 500 personnes ont été décorées pour fait(s) de Résistance. L’attribution de cartes de combattant de la Résistance après la guerre – 235 000 – s’est poursuivie jusqu’en…1996. C’est ainsi que le résistant Morland – plus connu sous le nom de François Mitterrand – a fait valider ses titres de Résistance en… 1982, alors qu’il était président de la République depuis un an. Il faut se souvenir aussi que lors de la Libération, l’Armée a réussi à incorporer – péniblement – moins de 100 000 résistants alors que, sur les trois départements d’Algérie, le général Giraud, lui, avait réussi à mobiliser 300 000 hommes pour l’Armée d’Afrique.
La population française (chiffre arrondi) était de 42 millions d’habitants en 1940-44. Le total de résistants sur la population totale est donc inférieur à 0,50%. On est loin, très loin, du cliché qui voudrait nous faire croire que tous les Français ou presque étaient résistants. L’histoire revisitée de la Résistance est un grand mythe unificateur, un « consensus citoyen » pour parler comme les cuistres, mais les chiffres – incontestables ! – prouvent que le phénomène fut plutôt marginal, ce qui ne fait qu’augmenter le mérite de ceux qui eurent le courage de se battre contre l’occupant !
J’ajoute que, bien souvent, les villes libérées l’étaient par des gens qui enfonçaient des portes ouvertes – les allemands étant déjà partis (ou préférant se rendre aux Américains plutôt qu’aux maquis communistes) – ou, parfois hélas, par des maquisards qui n’hésitaient pas à massacrer, après leur reddition, quelques braves territoriaux commandés par un vieux feldwebel (NDLR :Feldwebel ou Feldweibel est un grade militaire qui existe dans les armées de langue allemande depuis au moins le XVIIIe siècle). Après coup, il suffisait de coller l’étiquette – infâmante – de « barbarie nazie » sur tous les combattants de la Wehrmacht pour légitimer des crimes de guerre et dédouaner les coupables. Vae victis !
Et puis, trop souvent, tels les ouvriers de la vingtième heure, certains résistants tardifs se sont montrés les pires épurateurs (parfois pour faire oublier un passé de « collabo » ou une fortune bâtie au marché noir.). C’est une époque où l’Armée française, qui veut se persuader qu’elle a gagné la guerre, reconstitue ses effectifs en incorporant des FFI et des FTP (2). L’inflation aux galons était monnaie courante à l’époque : Jacques Delmas (Chaban dans la Résistance), aspirant en 1939, sera… général en 1944, à 27 ans. Malgré des états de service relativement honorables, on n’avait plus vu ça depuis Napoléon Bonaparte !
Mais, en ces temps troublés, tout est permis, il suffit d’oser : on a même vu, chez les FTP, des « colonels à 6 galons », dont un qui avait échoué à son peloton de… caporal en 1939.
De Gaulle, décorant à Bordeaux, une rangée d’une douzaine de colonels FFI ou FTP trouve, en bout de file, un simple capitaine auquel il déclare en souriant : « Vous ne savez pas coudre ? »
Tout ceci pourrait prêter à sourire, mais la France de la Libération, c’est aussi celle des crimes de l’épuration commis bien souvent par des FTP communistes (bien qu’ils ne soient pas les seuls).
J’ai déjà consacré plusieurs articles et un chapitre d’un de mes livres à l’épuration (3), mais je voudrais revenir sur un de ses volets le plus honteux, le plus abject, le plus dégueulasse de cette époque et parler de certains maquisards, certains salopards, plus prompts à manier la tondeuse que la « sulfateuse ». Je veux dénoncer ces échafauds de la honte devant lesquels une foule braillarde et revancharde venait assister à une mise au pilori de présumés « collabos » ; un spectacle humiliant, dégradant et indigne d’un peuple dit civilisé. Je veux parler des femmes tondues.
Pour les justiciers de la Libération, coucher avec l’occupant était sanctionné, à minima, par la tonte des cheveux. Ces femmes étaient accusées de « collaboration horizontale », un acte qui n’est pas incriminé dans le code pénal et qui n’a donc absolument rien d’illégal. Certaines femmes ont été violées, torturées ou carrément massacrées. Le compte de ces victimes est difficile à établir. On parle de 10 ou 20 000, peut-être plus ? Au nom de l’épuration, on a martyrisé et tondu des femmes amoureuses, puis celles qui, après tout, n’ont fait que leur métier (entraîneuses ou prostituées…).
Je me souviens encore des commentaires gênés de certains médias quand, en 1978, Michel Audiard, le dialoguiste des « Tontons flingueurs », du « Singe en hiver », et d’autres chefs-d’œuvre, a sorti un roman magnifique dont le pessimisme désabusé rappelle le « voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline (4). Dans ce livre, il parle avec nostalgie de Myrette, la petite putain dont il était amoureux pendant la guerre : « Et la barbarie hitlérienne ? M’opposera-t-on. Et la Gestapo ? Et les camps ? On me jette toujours d’autres martyrs à la tête quand je raconte Myrette… Suzanne surgit dans la chope et annonce dès la porte:
« Les fifis(FFI) sont en train d’avoiner Myrette »… Édentée, disloquée, le corps bleu, éclaté par endroits, le regard vitrifié dans une expression de cheval fou, Myrette s’offrait aux mouches, abandonnée sur les sacs de sable d’une barricade, au carrefour de la Gaité… Il n’y avait déjà plus personne autour, comme sur les places de village quand le cirque est parti… On a eu les détails petit à petit, par des témoins encore frémissants dont un certain « colonel » Palikar… chef du joyeux commando. Un ancien de la guerre d’Espagne. Sans s’annoncer, selon la mode du temps, ils avaient enfoncé la porte et surpris Myrette… D’après les gens, on l’entendait hurler de la rue tandis qu’ils lui cassaient les dents. « A coup de bites » devait préciser par la suite le plaisant Palikar. À coups de crosse plus vraisemblablement. Elle était sûrement déjà très abîmée quand l’équipe lui est passée hiérarchiquement sur le ventre, « colonel » Palikar en premier…Théâtre de joutes viriles, la chambre inspira sans doute d’autres jeux : Myrette fut certainement très martyrisée puisqu’elle avait les bras et les jambes brisés lorsqu’ils la tirèrent par les cheveux sur la petite place et l’attachèrent au tronc d’un acacia. C’est là qu’ils la tuèrent. Oh, sans méchanceté, à la rigolade, comme on dégringole les boîtes de conserve à la foire, à ceci près : au lieu des boules de son, ils balançaient des pavés… Quand ils l’ont détachée elle était morte depuis longtemps. Après l’avoir jetée sur un tas de sable, ils ont pissé dessus… puis s’en sont allés, comme on dit, arroser ça… ».
Je suppose que les fils ou les petits-fils de tels salopards s’indignent que, dans certains pays musulmans, de nos jours, on lapide les femmes adultères ? Je présume aussi que beaucoup d’entre eux approuvent le mouvement « me too » (« Balance ton porc ! » chez nous) et partent en bataille contre les violences faites aux femmes ? Nous, nous sommes un peuple civilisé après tout !
Après-guerre, des femmes tondues, battues, violées ont tenté des actions en justice mais leur action a été disqualifiée, elles n’étaient pas considérées comme des victimes. Puis, en 1951, une loi d’amnistie a rendu définitivement impossible les sanctions contre les criminels de l’épuration. Elle couvrait « tous faits accomplis postérieurement au 10 juin 1940 et antérieurement au 1er janvier 1946 dans l’intention de servir la cause de la libération du territoire ou de contribuer à la libération de la France » (article 30).
Avant même le vote de cette loi, les familles de victimes se sont vues refuser une enquête digne de ce nom, ce qui a abouti à une amnistie de fait entérinée ensuite par une amnistie de droit.
Dans « Mythes et Légendes du Maquis » j’ai consacré un chapitre aux crimes de l’épuration. Cet article n’en traite qu’un aspect mais l’un des plus sordides. Pourquoi, alors, avoir choisi un tel sujet alors que plusieurs de nos villes et villages fêtent dans la joie leur libération ?
En souvenir d’un vieux camarade, ancien sous-off « para-colo » (5) décédé récemment. Sans que l’on sache pourquoi, il piquait une colère quand quelqu’un l’appelait par son prénom, « Roger ». Un jour, je lui ai demandé la raison de ses colères et il m’a raconté : « Pendant toute mon enfance, dans mon patelin des Ardennes, on m’a appelé « Roger la Honte », « fils de Boche » ou « fils de pute » parce que ma mère avait couché avec un Allemand. Je n’ai pas connu mon père ; je crois qu’il a été tué à la fin de la guerre. Ma mère a été tondue, elle ne s’en est jamais remise… »
Je ne peux m’empêcher de penser que si notre pays décadent a des velléités de repentance et d’auto-flagellation à l’égard de ses anciens colonisés, il serait bon qu’il batte aussi sa coulpe pour le génocide vendéen, le massacre de nos Harkis ou les crimes de la Libération. Mais je souhaite que cet article soit aussi l’occasion de réitérer mon profond respect pour les vrais résistants, et pour tous ceux qui se sont battus et sont morts pour la France, dans toutes nos guerres.
Eric de Verdelhan
05/09/2024
1) Henri Amouroux : « la grande histoire des Français sous l’Occupation ».
2) FFI = Forces Françaises de l’Intérieur. FTP = Francs-Tireurs Partisans, d’obédience communiste.
3) « Mythes et Légendes du Maquis » Éditons Muller ; 2019.
4) « La Nuit, le jour et toutes les autres nuits » de Michel Audiard ; Denoël ; 1978.
5) Parachutiste de l’ex-Coloniale, de nos jours, para de l’Infanterie de Marine.
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