Comme toujours, j’observe une lecture occidentalisée, partisane, arrogante, idéologique, passionnelle, émotionnelle, sans nuance et unilatérale du changement de régime en Syrie.
Médias, presse et experts ont souvent la même grille de lecture. Les interprétations sont multiples, elles se chevauchent et se contredisent, parfois, sachant qu’il est difficile de comprendre tous les ressorts, les défis et les enjeux de l’effondrement du régime de Bachar Al Assad.
Or, il y a en Syrie les racines complexes d’une guerre civile sans fin, qui s’était internationalisée.
Il faut analyser la chute du régime de Bachar Al Assad dans son contexte espace/temps et être capable de l’historiser pour mieux en comprendre les causes et les conséquences possibles.
La Méditerranée orientale est une zone multi-crises et l’épicentre de risques géopolitiques.
Tout a commencé en mars 2011 par des manifestations pacifiques contre Bachar Al Assad à Deraa dans le sillage des printemps arabes. Ces protestations se sont ensuite étendues au reste de la Syrie et elles ont été durement réprimées par le régime.
Cette violente répression de 2011 a non seulement été condamnée à l’étranger mais elle a aussi débouché sur la création en juillet de la même année de l’Armée syrienne libre (ASL), rassemblant des opposants et d’anciens cadres de l’armée régulière.
C’est dans la brèche ouverte par cette guerre civile que se sont engouffrés l’Etat islamique, puis les fidèles d’Al Qaida et autres djihadistes.
Voilà pourquoi je m’étonne des réactions de la diplomatie française, qui s’est sans doute trop vite emballée, avec enthousiasme, sur la chute du régime syrien.
L’engagement direct de la Russie dans ce conflit, en septembre 2013 visait avant tout à sauver un pouvoir syrien allié, alors en difficulté sur tous les fronts. Les moyens engagés par la Russie étaient limités. Cela a suffi à l’époque pour renverser les rapports de force sur le terrain, sans pouvoir aboutir à une solution politique durable.
En septembre 2013, j’avais pu observer une vingtaine de bâtiments de combat russes en « piquets radar » et en protection des côtes syriennes le jour ou François Hollande prononçait son discours aux ambassadeurs français à Paris en insistant sur le fait que la France allait frapper le régime syrien.
Je me souviens, à l’époque, avoir reçu plusieurs dizaines d’appels de journalistes parisiens qui me demandait si « l’armada française » allait appareiller du port militaire de Toulon pour frapper le régime syrien. La rédaction de BFMTV était même venue planter ses caméras autour du port de Toulon pour guetter un appareillage de la flotte qui n’a jamais eu lieu, la France n’ayant maintenu qu’une permanence navale opérationnelle en Méditerranée orientale pour y recueillir son renseignement de façon autonome parce que nos amis américains et britanniques avaient renoncé à une intervention militaire commune.
Après plus de dix ans de conflictualité interne, et de sanctions américaines, la Syrie a plongé dans une catastrophe économique et la pénurie. Les syriens manquaient de tout. Les prix s’étaient envolés, et la famine menaçait. Le pays était sur le seuil d’une catastrophe humanitaire de masse, tandis que la corruption gagnait du terrain. En 2020, le régime syrien était rentré dans la crise sanitaire avec les caisses vides.
L’inflexibilité de la position russe en Syrie s’expliquait en 2013 par une multiplicité de facteurs : la protection nécessaire de l’un de ses derniers Etats clients au Moyen-Orient, la vexation liée à la politique occidentale en Libye, la volonté de se poser en protecteur des chrétiens d’Orient, la crainte de voir l’islamisme s’étendre vers le Caucase, l’esprit de revanche après les humiliations subies depuis 1989, et la nécessité de sauvegarder ses deux points d’appuis logistiques en Syrie (base navale et base aérienne) pour sa liberté d’accès aux eaux chaudes.
Depuis plus de dix ans, il y a en Syrie une mosaïque de groupes hostiles au régime syrien, allant des modérés aux islamistes, en passant par les djihadistes du Front Al-Nosra.
La Syrie a déjà été le centre de gravité de Daech et de la radicalisation djihadiste qui y cherchaient la rupture par une surenchère de la terreur.
Je rappelle que plus de 60 pays s’étaient alliés en 2015 pour former une coalition opérationnelle contre Daech après les attentats de Paris.
En Syrie, comme chez nous en France, tout allait mal, rien ne changeait, la méfiance de tous contre tous augmentait, la paix civile n’était pas garantie, le grand frère russe était trop occupé et concentré sur l’Ukraine, l’Iran polarisait sur Israël et la résistance intérieure au régime de Bachar s’accentuait. Le climat de défiance populaire devenait toujours plus tendu. Des syriens affirmaient même que leur pays était devenu « pire que l’enfer sur terre ».
Il n’y avait pas de société civile constituée en Syrie.
Et, aujourd’hui, ce sont avant tout des extrémistes, des salafistes et des djihadistes qui incarnent cette révolte. Des modérés ? Je n’y crois pas vraiment.
La Syrie est une tragédie que l’on a voulu oublier. C’était un volcan géopolitique qui n’était pas éteint.
Les conséquences du renversement du régime de Bachar auront des implications qui vont aller bien au-delà du peuple syrien.
Ce qui se passe en ce moment dans le pays est un vrai Tchernobyl géopolitique. Vladimir Poutine et le régime iranien sont bien conscients que leur arrière cours en Méditerranée orientale est déstabilisée et menacée.
La France ne peut plus faire grand-chose. Notre président en disgrâce et empêtré dans les discordes politiques intérieures, n’a pas de gouvernement. Les caisses de l’Etat en faillite sont vides. Notre pays ne pèse plus dans les affaires internationales. Emmanuel Macron n’a plus de crédibilité internationale et n’a aucun moyen d’action en Syrie.
Les Etats-Unis sont paralysés entre la fin du mandat de Joe Biden et l’attente de l’investiture de Donald Trump le 20 janvier.
Le régime iranien est préoccupé par son conflit avec Israël depuis le pogrom du 7 octobre 2023.
La Russie se concentre sur l’Ukraine pour faire plier Zelensky.
Le Conseil de sécurité de l’ONU est devenu impuissant et inexistant.
Les rebelles et les révolutionnaires radicalisés ont parfaitement compris que le moment était venu d’agir pour faire tomber le régime de Bachar qui n’avait plus aucun ange gardien autour de lui pour poursuivre sa guerre d’usure contre ses opposants.
Si j’étais Emmanuel Macron, j’éviterai de me réjouir trop vite de cette situation, ce qu’il a évidemment fait aujourd’hui.
La réalité, est que ce drame est encore bien plus complexe que ça dans ce monde inflammable et incertain, et les conséquences sont incalculables à ce stade.
Nous avons connu un schéma relativement identique en Libye. Et nous avons tous vu ce qui c’est passé ensuite.
Olivier Patio
08/12/2024
Nota : Le régime syrien a préservé depuis 2013 un programme chimique clandestin. Vaste sujet, qui ne peut pas être traité dans ce billet incomplet.
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Donc la Syrie et les syriens sont libérés ? Et cela semble la meilleure nouvelle qui bruisse sous les voutes du pouvoir français.
Si j’ai bien tout compris, les hordes de mochephégors syriennes qui mendient à nos carrefours et leurs barbus et leur marmaille vont reprendre le chemin du pays et débarrasser le nôtre.
Non ?
Ah ben je n’ai pas tout compris alors …..
La Syrie libérée, je ne lui donne pas six mois avant qu’elle plonge dans l’enfer musulman des extrémistes sauveurs si gentils et si compréhensifs, si ……. musulmans.