Pour les Nationalistes, le 6 février est un anniversaire : celui d’une belle occasion manquée, le 6 février 1934. Cette manifestation, dans son organisation et dans son échec, fut l’œuvre des « Croix de feu » du colonel de La Roque. François de La Roque, hissé en politique par le poids de ses deux millions d’adhérents, le parti le plus nombreux qu’ait jamais compté notre pays !
La Roque, un brave dans tous les sens du terme : il sert sous Lyautey au Maroc, s’illustre au feu pendant la Grande Guerre puis prend la tête de l’association des « Croix de Feu » qui regroupe les seuls anciens combattants décorés au combat.
C’est alors le temps des ligues d’extrême-droite dont certaines regardent d’un bon œil, c’est vrai, le fascisme italien. Mais La Roque ne saurait être fasciste puisqu’il est catholique convaincu.
L’antisémitisme ne le gène pas mais il n’est en rien virulent sur le sujet. Il est, en revanche, totalement antiparlementaire et anticommunisme.
La crise économique de 1929, puis les scandales financiers du début des années 30, gonflent les effectifs des « Croix de Feu », qui s’adjoignent les « Fils de Croix de Feu », puis les « Volontaires Nationaux », trop jeunes pour avoir combattu (et dont le plus célèbre sera l’aviateur Jean Mermoz).
Le 6 février 1934, dans l’émeute provoquée par le pseudo-suicide de l’escroc Stavisky, les colonnes du colonel de La Roque, disciplinées, prennent à revers la Chambre des Députés que la grosse masse des manifestants attaque par la Concorde. Elles bousculent les barrages et ont le palais Bourbon à portée de la main quand un ordre de La Roque, en personne, les détourne et les envoie déambuler, inoffensives, du côté des Invalides tandis que les salves des gardes mobiles continuent de coucher sur le pavé parisien des centaines de manifestants.
Le colonel de La Roque pensait, et il avait raison, que la prise d’un édifice public ne signifiait pas la prise du pouvoir. Mais il réussit, ce jour-là, à s’attirer la haine de l’extrême-droite, pour n’en avoir pas fait assez, ainsi que celle de l’extrême-gauche pour cette tentative avortée de coup d’état.
Cette conjonction apaisante, qui plaît tant aux partisans de l’ordre, lui vaut 10 000 adhésions par jour. Les « Croix de feu » dissoutes, il crée aussitôt le « Parti Social Français » et adopte une devise qui fera son chemin: « Travail, Famille, Patrie » appuyée sur un programme un peu simpliste et quelques formules qui font mouche: « Ni blanc, ni rouge mais bleu-blanc-rouge. ».
Le mouvement a un épouvantail: le Bolchevique, le « Moscoutaire », le Rouge.
Le brave colonel est à son affaire dans les grands rassemblements: défilés martiaux, grands meetings, immenses « grand messes »; il faut, avant tout, intimider les Rouges. Le chef-d’œuvre de ce Kriegspiel eut lieu au printemps 1935: les adhérents, convoqués aux portes de Paris, y trouvent des centaines de cars et de voitures dont chaque conducteur ouvre au dernier moment une enveloppe contenant des instructions précises et un itinéraire. « Par des chemins différents, sans embouteillage, guidées par des agents de liaison aux carrefours, les colonnes s’égrènent vers l’ouest. Peu avant la nuit apparaît la flèche de Chartres. C’est presque la route de Peguy … » dira un témoin.
Belle démonstration de force, totalement inutile !
Il n’empêche que 25.000 hommes ont été transportés sans heurt à 100 kilomètres de Paris.
Le colonel va les haranguer, dans une prairie, perché sur une charrette. Une fois de plus, ses militants les plus virulents se retireront avec le sentiment d’avoir été menés au bord du Rubicon pour… y pêcher à la ligne. C’est l’époque où un chansonnier ironisait en disant: « l’immobilisme est en marche et, désormais, rien ne l’arrêtera ». La droite nationale, qui n’a pas oublié le demi-tour gauche des « Croix de feu » le 6 février, ne les appellent plus que les « froides queues ». Dans la presse d’Action Française, le colonel de La Roque devient « Ronronnel de La Coque ». La Roque était en fait un Boulanger mâtiné de Pierre Poujade : il drainait les déçus, les râleurs et les mécontents.
Il ne savait pas ce qu’il voulait mais il l’a dit avec sonorité. Il n’est pas sans rappeler certains généraux actuels qui prétendent fédérer les patriotes et défendre la civilisation française tout en restant… apolitiques : comme si une telle équation était possible !
Mais qui se souvient encore que le colonel de La Roque fut aussi un authentique résistant et qu’il est mort des suites de sa longue captivité ?
Pourtant, dès le 16 juin 1940, donc avant le discours du Maréchal Pétain du 17 juin, La Rocque signait un éditorial intitulé « Résistance », dans le quotidien du PSF :
« Après avoir adressé aux Parisiens nos exhortations de courage et de fermeté, nous voulons maintenant crier à tous les Français le mot d’ordre de résistance. Le gouvernement au pouvoir a été désigné, soutenu à cause de son programme essentiel : tenir, ne jamais faiblir. Ce gouvernement ne saurait capituler sans se renier lui-même. Il ne saurait mettre bas les armes par une simple décision. Sa décision ne saurait sortir de la ligne choisie, convenue, adoptée, sans que le pays soit d’abord, consulté, prévenu. Ou bien ce serait une escroquerie morale dont aucun Français n’a le droit d’accuser un autre Français, ce dernier fût-il son pire adversaire politique. Tous les citoyens doivent donc être prêts à la résistance totale, et jusqu’au bout. La famille PSF au seul service de la nation entière doit donner l’exemple… Une seule consigne, quoi qu’il arrive : Résistance !»
Le colonel de La Rocque est arrêté par Hugo Geissler, chef de la Gestapo de l’Auvergne, le 9 mars 1943, ainsi que 152 dirigeants du PSF. Il est interné successivement, durant les six premiers mois, dans les cellules de la prison de Moulins, de Fresnes puis du Cherche-Midi.
Il est transféré le 31 août 1943 et déporté en Tchécoslovaquie au camp de concentration de Flossenbürg ; puis en Autriche au château d’Itter, où il a la surprise de retrouver Édouard Daladier, Paul Reynaud, Jean Borotra, Léon Jouhaux.
« La Rocque est en piètre état. La détention fut pour lui particulièrement rude d’autant qu’il souffrait des suites d’une blessure reçue lors de la Grande Guerre. C’est dans un état de cachexie, avec un œdème des deux jambes, qu’il arrive le 10 janvier 1944 à Itter, où il est examiné et soigné par un médecin de Dachau ». Après une opération chirurgicale, La Rocque entre en contact avec des parachutistes américains. C’est la 103ème Division américaine qui le libère, ainsi que les personnalités détenues à Itter, le 7 mai 1945.
La Rocque revient en France le 9 mai 1945 et se voit immédiatement placé… en internement administratif jusqu’au 31 décembre 1945 afin de l’éloigner des affaires politiques, notamment des négociations du Conseil National de la Résistance.
La commission de vérification des internements administratifs réclame sa libération, mais le gouvernement ne tient pas compte de cet avis. À sa sortie d’internement, il est assigné à résidence et décède quelques mois plus tard, le 28 avril 1946, des suites de ses mois de détention.
Le colonel François de La Rocque, héros de la Grande Guerre, du Rif et de la Résistance, sera décoré à titre posthume, en… 1961, de la Médaille de la Déportation et de l’Internement pour faits de Résistance et se voit attribuer la carte de déporté-résistant, qui lui avait été refusée de son vivant. Et de Gaulle rend enfin hommage, en tant que chef de l’État, « à la mémoire du colonel de La Rocque, à qui l’ennemi fit subir une cruelle déportation pour faits de Résistance et dont, je le sais, les épreuves et le sacrifice furent offerts au service de la France. » Puis le gouvernement de Michel Debré présenta « les excuses du gouvernement pour une injustice dont il mesure la profondeur.»
Pourquoi l’histoire officielle ne raconte-t-elle jamais “ces choses-là” ?
Le 6 février, ayons une pensée, mieux une prière, pour le colonel François de La Roque.
Éric de Verdelhan
02/02/2018