La lecture récente du livre «Servir» du général de Villiers m’a inspiré cet article : un livre écrit par un grand soldat, reconnu par ses pairs, admiré par ses subalternes, et poussé à la démission par l’attitude arrogante et blessante d’un petit dictateur narcissique ; mais un livre qui m’a pourtant déçu tant il est rédigé dans la langue de bois « politiquement correcte » inhérente à notre époque molle.
Oserais-je dire que j’ai trouvé ce livre – qui est une belle ode à la Patrie et à l’Armée – sans chaleur, sans âme, sans panache et surtout sans véritable sens critique ou polémique ?
En écrivant cela, je pense à cette tirade de Michel de Saint-Pierre qui préconisait de « ne pas lever le doigt mouillé de la prudence pour savoir d’où vient le vent, de traverser les fleuves de la vie sans jamais se préoccuper du sens du courant. De traiter les gens en place, les gens au pouvoir, les gens titrés, décorés, cravatés, le percepteur et le chef d’état, exactement de la même manière qu’on traite les autres humains… De ne jamais renoncer à l’orgueil savoureux d’être sincère ; au plaisir délicat et profond d’être juste ; à la volupté de plomber les cuistres et de saluer les héros. Et surtout, de choisir jusqu’au bout l’air que l’on respire, les mots que l’on dit et les mains que l’on serre. »
« Je n’érige pas » disait-il « la polémique en vertu… Je veux simplement qu’un homme indigné garde le courage d’exprimer son indignation, et que, devant l’injustice, le malheur, la misère et le mensonge, un être humain soit toujours prêt à souffrir jusqu’à la révolte. »
On ne demande pas au général Pierre de Villiers d’avoir les qualités épistolaires de son frère Philippe mais on pourrait attendre de lui un peu plus de franchise et de courage, d’autant plus qu’on sait pertinemment qu’il n’en manque pas : ses « coups de gueule » sont connus !
Pourquoi faut-il que les grands chefs militaires, capables de toutes les audaces en opération, adoptent une échine souple dès qu’ils fréquentent les cabinets ministériels ?
Le livre «Servir» est décevant à divers titres
Citons quelques exemples :
- À plusieurs reprises, le général y évoque les « valeurs républicaines », le « vivre ensemble », les acquis des Lumières, le pays des « droits de l’homme » mais rien ou presque sur la France éternelle, celle de nos grands monarques. On pourrait croire que la France est née en… 1789.
- Sur les « acquis » de la révolution, j’aurais aimé que le Vendéen Pierre de Villiers nous dise un mot du « populicide » vendéen commencé en 1793 et rende un hommage, même discret, aux 300.000 victimes de la furie révolutionnaire : ces gens défendaient leur foi, leur fief et leur Roi.
- Le général fait l’éloge de Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron. Ne lui reprochons pas d’être bien élevé et courtois mais, en homme intelligent et cultivé, il est bien placé pour savoir que les trois premiers auront été les fossoyeurs de l’Armée française et que le quatrième l’a humilié et poussé à la démission. Les servitudes militaires n’imposent pas le masochisme ! Ni, d’ailleurs, la flagornerie !
- Un peu insistant sur notre « État laïc », il cite en exemple les rencontres œcuméniques entre des aumôniers militaires musulmans, juifs et chrétiens. Il est bien dans la mouvance actuelle, celle du « vivre ensemble », quand il cite en premier les imans et en dernier les prêtres catholiques.
Il aurait pu rappeler que la France est (ou a été ?) la « fille aînée de l’Église » et qu’elle a, qu’on le veuille ou non, une culture chrétienne. De surcroît, il ne dit pas un mot du problème posé par l’importance des musulmans dans l’Armée, et de la radicalisation de certains d’entre eux.
C’est pourtant un problème grave, inquiétant et qui préoccupe de nombreux gradés, subalternes ou supérieurs, mais surtout… « pas d’amalgame ».
Il évoque en détail la paupérisation de l’Armée depuis, en gros, sa professionnalisation et la suppression du Service Militaire. Mais n’en a-t-il pas été l’un des principaux acteurs en qualité de Major-Général puis de CEMA [1] ? Devant un bilan aussi calamiteux, que ne s’est-il indigné plus tôt ? Que n’a-t-il démissionné bien avant ce fatidique 19 juillet 2017 ?
Enfin, pas un mot dans « Servir » pour prendre un semblant de défense du général Piquemal, traité comme un paria, un pestiféré, depuis la fameuse affaire de Calais en 2016.
En 2017, j’écrivais dans un blog parachutiste :
« Le général Piquemal s’est rendu, en civil et sans se prévaloir de son titre d’ancien président de l’Union Nationale des Parachutistes, à une manifestation à Calais. Après une garde à vue scandaleuse, au final, il a été relaxé.
« Son successeur à la tête de l’UNP s’empressait… de le désavouer, aussitôt suivi par quelques présidents d’associations dites – on se demande bien pourquoi – « patriotiques ».
« L’histoire retiendra que, dans cette affaire, « la base » a réagi plus sainement : au Congrès National de l’UNP à Annecy, en mai dernier, ledit successeur a subi un camouflet et a été débarqué de la présidence de l’UNP…
« Pour avoir voulu, de façon pacifique, défendre l’intégrité du territoire national, le général a été critiqué, montré du doigt, déjugé, désavoué par ses pairs.
« Les associations militaires, patriotiques, régimentaires sont presque toutes présidées par des généraux. Pourquoi ces derniers ne prennent-ils pas des positions courageuses, plus franches, plus… viriles pour défendre un des leurs ? Où est l’époque où nos chefs avaient encore du courage ?
« Certains, jadis, ont choisi les voies de l’honneur pour respecter leur engagement à l’égard des Français d’Algérie. La race des grands chefs militaires est-elle morte ?
« L’avancement douillet, la Rouge et la Bleue obtenues souvent sans combattre, la servilité moutonnière et l’échine souple sont-elles devenues la marque de fabrique de nos officiers supérieurs et/ou généraux ? Vous me direz sans doute que les temps ont changé, que notre monde évolue, que l’armée aussi doit changer, etc., etc. Oui, mais la France éternelle – avec ses 2000 ans d’histoire – est en train de mourir et qui, sinon des chefs militaires, sera en mesure de la sauver (ou, au moins, de tenter de la défendre) ? »
La justice civile a relaxé le général Piquemal : ça semblait une évidence dans un pays qui se veut parangon de la liberté d’expression (et qui donne des leçons de démocratie au monde entier).
En revanche, les procureurs serviles et zélés de l’institution militaire l’ont chassé de l’Armée, viré comme un malpropre, avec, comble de l’humiliation, l’interdiction de porter son uniforme de Légionnaire-parachutiste lors des cérémonies. C’est honteux !!! C’est dégueulasse !!!
Oui, j’aurais aimé qu’une telle injustice, qu’une telle félonie, indigne au plus haut point le général Pierre de Villiers. Il avait tout pouvoir pour rendre son honneur perdu à son « ancien ».
Il n’a rien dit lors des évènements ; il n’a rien écrit ensuite. Patron de « la Grande Muette », il est resté muet comme une carpe (pour ne pas dire une carpette) et c’est bien dommage !
Les zélateurs du général de Villiers le décrivent comme un homme de conviction, « droit dans ses bottes » et peu influençable. Loin de moi l’idée de le prendre pour une girouette, j’ai trop de respect pour l’homme et pour sa famille.
Non. J’attendais simplement un CEMA… fort.
Éric de Verdelhan
20/03/2018
[1] Chef d’État-Major des Armées.