INTERVIEW DE MARION MARÉCHAL

Chers amis lecteurs,

Marion Maréchal, ex-députée du Vaucluse (2012-2017), aujourd’hui directrice de l’ISSEP, a donné il y a quelques jours un entretien à un nouveau magazine conservateur américain en ligne IM-1776.

Nous reproduisons ci-dessous pour vous l’intégralité du document publié sur le site “Le Courrier des Stratèges”.  

L’article est certes plus long que d’habitude. Mais cet interview de Marion Maréchal est tellement complet, tellement pertinent, qu’on ne pouvait le manquer. Lisez le attentivement, avec la certitude que cette jeune femme parle d’or et d’avenir pour la France. Nul doute qu’après une première expérience politique réussie et une nouvelle expérience exceptionnelle en cours dans la formation de nos futurs cadres (ISSEP), de nouvelles responsabilités l’attendent au plus haut de la conduite de l’Etat. Et peut-être bientôt.

MLS – 24/10/2021

 

 

Cet entretien a été publié initialement sur l’excellent site “Le Courrier des Stratèges”

Nous avons choisi de rendre cette interview accessible à nos lecteurs du fait de l’abondance des sujets abordés : crise sanitaire, sécession des élites, immigration, éclatement de la société française, contestation de l’hégémonie culturelle du progressisme, union des droites, Union Européenne, souveraineté technologique, diplomatie française etc.

Au moment où les droites abordent l’élection présidentielle avec la perspective d’avoir trois candidats, il est intéressant d’explorer, par contraste, le logiciel politique de celle qui plaide depuis 2012 pour la réunion des droites et travaille, dans son école de sciences politiques et management, à faire émerger de nouvelles générations de décideurs pour la sphère publique et l’économie.

L’entretien publié en anglais peut être lu ici. L’intervieweur, Krzysztof Tyszka-Drozdowski, est écrivain et analyste dans l’une des agences gouvernementales polonaises chargées de la politique industrielle.

 

 

« Chaque Européen se verra attribuer une identité numérique qui contiendra toutes nos informations sociales, fiscales, bancaires et sanitaires pour mieux nous contrôler»

Tyszka-Drozdowski : Mme Maréchal, à quel point pensez-vous que la France et le monde en général aient changé depuis le début de la pandémie ? Pensez-vous que la nouvelle « institution » du confinement, les effets psychologiques que cette pratique gouvernementale a sur les gens, et les lois de la “nouvelle normalité” comme les masques et les mesures de distanciation sociale sont là pour rester ?

Marion Maréchal : La France reste l’un des pays les plus restrictifs d’Europe. Nous avons eu une série de mesures ridicules, de mensonges et de démonstrations d’incompétence, poussés à un degré vraiment incroyable. Depuis presque deux ans, nous vivons sous un régime d’état d’urgence qui suspend le fonctionnement normal de nos institutions. Le président et le gouvernement peuvent violer les libertés fondamentales par un simple décret. Les cours et tribunaux, bien sûr, acceptent toutes les décisions du gouvernement, sans jamais les remettre en question.

Aujourd’hui, nous vivons avec le prétendu pass sanitaire, qui est une coercition vaccinale déguisée, car les non-vaccinés sont censés se tester chaque fois qu’ils vont dans un café ou un restaurant, ou même dans un hôpital public. Si vous n’êtes pas testé, vous ne pouvez même pas utiliser l’hôpital pour lequel vous payez des impôts. Depuis le 15 octobre, les tests ne sont plus gratuits.

À mon avis, nous sommes entrés dans la logique du système chinois de crédit social, et je le dis en pesant mes mots. Nous avons maintenant deux catégories de personnes, les vaccinés qui ont droit à une vie normale, et les non vaccinés dont la vie est rendue impossible. Je n’en reviens pas, alors que nous sommes un des pays les plus vaccinés au monde et que la situation épidémique actuelle ne justifie pas le maintien de ces mesures. Même le Conseil constitutionnel a dit qu’il n’approuvait ces mesures qu’à condition qu’elles soient limitées dans le temps.

Je pense donc que nous sommes entrés dans une période où règne la logique d’un État qui prétend poursuivre le “bien” public en dépit de la volonté des gens et sans tenir compte de leurs souhaits. Il est évident que ces outils que l’État s’est appropriés pendant l’épidémie pourront être utilisés à l’avenir à d’autres fins politiques, par exemple pour restreindre les déplacements au nom de la “sauvegarde de la planète”. Je pense que chaque Européen se verra attribuer une identité numérique qui contiendra à terme toutes nos informations sociales, fiscales, bancaires et sanitaires. Lorsque ces outils tomberont entre de mauvaises mains, ils entraîneront un niveau de surveillance sociale qui me préoccupe beaucoup. On peut imaginer que quelqu’un qui ne paierait pas un billet demain, ou qui ne serait pas vacciné, perdrait son droit de vivre une vie normale.

« Macron est le premier président à insulter ouvertement le peuple français »

Tyszka-Drozdowski : Le sociologue Emmanuel Todd soutient dans son récent livre La Lutte des classes en France au XXIe siècle que parmi l’élite française il semble y avoir un désir de vengeance contre les gens ordinaires. Surtout à la lumière de la répression sévère du mouvement Gilet Jaunes par Macron en 2019 et maintenant de ses politiques Covid, quelle est la probabilité de ce phénomène selon vous ?

Marion Maréchal: Très forte. Les élites françaises ne sont pas une aristocratie, c’est-à-dire la « crème de la crème», mais simplement des personnes favorisées économiquement et socialement. Les élites françaises ont traditionnellement été fascinées par les modèles étrangers, qu’ils soient anglais, allemands ou américains. Elles ont aussi historiquement aimé sacrifier les intérêts français au nom d’idées étrangères. C’est une mauvaise habitude de nos élites, qui se manifeste avec une force particulière sous la présidence Macron, mais qui existait auparavant.

Vous vous souvenez du référendum constitutionnel européen de 2005, où le peuple français a répondu “non” ? Peu de temps après, Nicolas Sarkozy a décidé d’adopter quand même le traité de Lisbonne, faisant fi de la volonté populaire et ratifiant des changements que le peuple français n’avait pas acceptés. Ce qui est clair, c’est que la loi électorale en France est totalement anti-démocratique. Nous avons un système de vote uninominal à deux tours. Dans la plupart des pays de l’UE, on vote à la proportionnelle. Mais notre système est différent, et il fausse le côté populaire de la démocratie. Les électeurs du Rassemblement National par exemple sont proportionnellement sous-représentés, ce qui crée une forte frustration populaire.

Macron n’est pas un président rassembleur, sa victoire ne repose pas sur un consensus. Il est le premier président à insulter ouvertement le peuple français : il a traité les Gilets jaunes de “lépreux populistes”, il qualifie les personnes non vaccinées d’immorales et d’égoïstes. Il a donné des ordres très brutaux contre les Gilets jaunes. Si la police traitait les manifestants de cette manière en Russie, par exemple, tout le monde crierait que nous avons affaire à une dictature. Mais c’est Macron qui l’a fait, alors personne n’a élevé la voix pour le critiquer. Une autre question est l’immigration, où la majorité des Français disent qu’ils en ont assez, ce que les élites refusent d’accepter. C’est un exemple majeur du fossé qui existe entre les élites et le peuple français.

« Aujourd’hui, les divisions sociales sont devenues si puissantes que les prénoms sont devenus de puissants indicateurs sociologiques »

Tyszka-Drozdowski : Vous avez dit précédemment que le plus grand problème de la politique française est l’incapacité à construire un “fait majoritaire”, à créer un consensus. Pouvez-vous développer cet aspect des problèmes que traverse la France, et que pensez-vous que l’on puisse faire pour résoudre cette situation ?

Marion Maréchal : La France souffre d’une multitude de divisions. Une division importante est celle du territoire, entre métropoles et périphéries. Cette division n’est pas spécifiquement française, on la retrouve dans d’autres pays, mais ici elle est très prononcée. Les grandes villes, mondialisées, habitées par ceux que David Goodhart appelle les « anywheres » (ceux qui ont les moyens de s’installer et de travailler n’importe où sur la planète), et de l’autre côté, les petites villes et les villages habités par ceux que Goodhart appelle les « somewheres » (ceux qui sont attachés à un lieu et n’ont pas les moyens de le quitter). Les métropoles bénéficient d’investissements publics massifs et d’infrastructures modernes, mais les petits centres urbains sont condamnés à l’oubli. Il y a là un véritable déséquilibre.

Le deuxième clivage est ethnique. Emmanuel Macron lui-même a récemment déclaré que plus de 10 millions de Français ont de la famille de l’autre côté de la Méditerranée. Je pense que c’est une estimation prudente. La population de la France est de 67 millions d’habitants. Aujourd’hui, un tiers des enfants nés en France ont au moins un parent qui n’est pas français. Cette statistique n’inclut donc pas tous ceux qui sont des migrants de deuxième ou troisième génération. Un grand changement démographique est en train de se produire, auquel s’ajoute le clivage religieux. L’immigration en France est essentiellement africaine et maghrébine, et principalement musulmane. Historiquement, il n’y a jamais eu ce niveau d’immigration islamique en France. Aujourd’hui, nous avons plus de musulmans pratiquants en France que de catholiques pratiquants. Et il faut le dire franchement, beaucoup de croyances et de coutumes musulmanes sont incompatibles avec le mode de vie français.

Une autre division est celle de la culture, qui est également liée à la question de l’immigration. Je vais vous donner un exemple : autrefois, il y avait un modèle culturel commun. Tous, qu’ils soient issus des classes populaires, de la bourgeoisie aisée ou de l’aristocratie, portaient les mêmes prénoms : François, Jean, Christine, etc. Aujourd’hui, les divisions sociales sont devenues si puissantes que les prénoms sont devenus de puissants indicateurs sociologiques. Ils sont donnés en fonction des couches sociales. C’est symptomatique car les prénoms sont la manifestation la plus visible de l’appartenance à une matrice culturelle commune.

« L’électorat se construit en additionnant les minorités, mais personne ne se soucie de créer une vision unificatrice, une idée de destin commun ».

Marion Maréchal: En raison de ces divisions, la plupart des hommes politiques ne se battent pas pour une majorité, ne cherchent pas à obtenir un consensus, car celui-ci est tout simplement devenu inaccessible. L’électorat se construit en additionnant les minorités, mais personne ne se soucie de créer une vision unificatrice, une idée de destin commun. De mon point de vue, c’est le plus grand défi politique en France : former un consensus, une vision consensuelle. Je n’ai pas de solutions toutes faites.

C’est la raison pour laquelle notre démocratie fonctionne si mal, c’est la raison pour laquelle nous avons tant de gens qui manifestent, parce que la démocratie ne fonctionne pas correctement sans le “fait majoritaire.” Lorsque cet élément fait défaut, nous nous retrouvons avec une guerre des minorités et c’est ce à quoi nous assistons. Cette guerre est également alimentée par l’individualisme qui s’est installé dans les sociétés occidentales. En France, qui est un pays très déchristianisé, l’individualisme a développé une force exceptionnelle. Très intéressantes de ce point de vue sont les données sur les gens qui ne votent pas. Le nombre de personnes qui ne votent pas a considérablement augmenté depuis la victoire d’Emmanuel Macron. Le record a été battu lors des dernières élections régionales. Jerôme Fourquet explique dans l’un de ses articles que cela est lié au fait que les gens voient le vote comme un acte civique et communautaire, mais ont eux-mêmes une approche consumériste des élections. Ils ne pensent pas en termes de communauté, surtout les jeunes, chez qui le matérialisme et l’individualisme sont les plus marqués. Nous sommes confrontés à un grand défi : comment maintenir la cohésion sociale, et ce ne sera pas une tâche facile.

Tyszka-Drozdowski : Éric Zemmour est-il, selon vous, capable de créer cette majorité, ce “fait majoritaire” ?

Marion Maréchal : Eric Zemmour parle au nom de la majorité silencieuse, une majorité qui s’est tue depuis trop longtemps. Cette majorité silencieuse – qui, je pense, est encore vraiment un groupe majoritaire – vit dans un état d’anxiété civilisationnelle. Elle a le sentiment qu’on lui enlève sa culture, sa terre, son histoire. Cette majorité n’exprime pas toujours ce sentiment, après tout, c’est une émotion, et il est difficile de lui trouver une forme politique. Mais je crois que Zemmour exprime une préoccupation que la plupart des Français ressentent aujourd’hui. La conviction qu’il y a trop d’immigration prévaut dans toute la société.

« Ce n’est pas la majorité qui crée l’histoire, ce sont les minorités vigoureuses que cette majorité finit par suivre »

Tyszka-Drozdowski : En 1961, 35% des Français allaient à la messe tous les dimanches. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 6%. Le rôle des catholiques en France et en Europe doit-il être désormais celui d’une ” minorité créative “, comme l’écrivait le pape Benoît XVI ?

Marion Maréchal : Oui, quand j’en parle à l’étranger, on refuse de me croire. La France a été décrite par Jean-Paul II comme “la fille aînée de l’Eglise”. L’histoire de la France s’est longtemps confondue avec l’histoire du christianisme. Mais cela a complètement changé. Encore une fois, aujourd’hui, nous avons plus de musulmans pratiquants que de catholiques pratiquants. Depuis la Révolution, le processus de déchristianisation n’a cessé de progresser. En France, le courant anticlérical, ou tout simplement anticatholique, a été très fort, luttant contre toute manifestation du catholicisme dans l’espace public. Chaque année revient le débat sur les crèches de Noël. Il y a toujours quelqu’un pour trouver scandaleux que tel ou tel maire se soit permis d’installer une crèche dans sa mairie, alors que c’est une vieille tradition française. Les sondages d’opinion montrent que les Français n’ont rien contre, mais la gauche radicale lutte avec fanatisme contre ces crèches. A côté de cette haine du catholicisme, il y a l’islamophilie de la gauche. Un musulman, à leurs yeux, est une victime de l’oppression.

C’est au nom de cette idée, par exemple, que le nouveau maire et les élus écologistes de Lyon ont refusé de participer à la procession annuelle de la cérémonie des échevins avec l’archevêque et le clergé local, le 8 septembre dernier, alors que c’est une vieille tradition, mais ils étaient en revanche présents à l’inauguration d’une mosquée le lendemain. C’est le grand paradoxe français. Les catholiques sont aujourd’hui minoritaires en France. Pourtant, l’histoire est écrite par des minorités créatives.

Ce n’est pas la majorité qui crée l’histoire, ce sont les minorités vigoureuses que cette majorité finit par suivre. Aujourd’hui, cette minorité catholique est devenue militante, elle prend conscience qu’elle est minoritaire et qu’elle doit se battre. Pendant longtemps, les catholiques n’ont pas compris qu’ils étaient une minorité. C’est l’immigration qui leur a révélé cet état de fait, notamment par de nombreux actes christianophobes. Il ne se passe pas une semaine sans qu’une église ne soit incendiée, qu’un acte de vandalisme ne soit commis dans des églises, que des statues ou des sanctuaires sacrés ne soient détruits et que des graffitis haineux ne soient tracés. Il y a incomparablement plus d’actes anti-chrétiens que d’actes anti-musulmans en France aujourd’hui. L’atmosphère d’islamophilie et de christianophobie provoque une certaine angoisse de civilisation, conduit de nombreuses personnes à rechercher leur propre identité, et cette identité en France est d’origine catholique. Je suis donc convaincue que cette minorité aura suffisamment de détermination pour influencer la politique dans les années à venir.

« L’Union européenne ne respecte plus les délimitations de compétences entre les Etats et le niveau européen tels que fixés dans les traités »

Tyszka-Drozdowski : Un renouveau de la France est-il possible au sein de l’Union européenne ?

Marion Maréchal : Ce sera très difficile. Il faut comprendre une chose : l’UE a subi une énorme transformation. Elle a été construite par les chrétiens-démocrates, principalement axés sur le marché commun. Elle a commencé avec six pays, et cela aussi il ne faut pas l’oublier, parce qu’un marché commun pour six pays est beaucoup plus facile à coordonner qu’un marché pour 27 pays. Mais ensuite, le projet a été repris par la gauche progressiste. L’UE est devenue un projet de militants de gauche. Récemment, elle a publié un document qui parle de la possibilité d’”hommes enceints” – nous sombrons donc dans la folie. Aujourd’hui, l’Union ne respecte plus les délimitations de compétences entre les Etats et le niveau européen tels que fixés dans les traités. A Bruxelles, on s’empare de sujets qui devraient rester en dehors des attributions de l’Union. Chaque jour, nous voyons comment le principe de subsidiarité, qui était l’un des principes fondateurs de l’UE, est mis à mal. Chaque jour, nous voyons comment la spécificité des nations individuelles est malmenée, dans une marche forcée vers un projet fédéral.

La question se pose également de savoir ce que l’UE est censée être. Doit-elle être une puissance indépendante, indépendante de l’Amérique comme de la Chine et de la Russie, ce qui est la vision traditionnelle française, ou doit-elle devenir une partie du système atlantique, plaçant sa défense entre les mains de l’OTAN ? C’est une discussion stratégique réelle et sérieuse qui doit avoir lieu. Si vous prenez par exemple ce que les Américains ont fait concernant les sous-marins français qui, finalement, ne seront pas vendus à l’Australie, cela montre que, dans un affrontement avec la Chine, l’intérêt américain prévaudra toujours sur l’amitié avec les pays alliés. Et, bien sûr, ils ont raison d’une certaine manière. Les Etats-Unis ont toujours agi de manière à ce que leur propre intérêt l’emporte sur celui de leurs alliés.

« La France doit sortir de l’illusion du couple franco-allemand »

Marion Maréchal: A mon avis, pour que la France puisse défendre une vision d’une Europe indépendante, elle ne peut pas se lier trop étroitement à l’Allemagne. L’Allemagne, qui après tout exporte tant de voitures vers l’Amérique ne peut pas être en faveur de la vision française de l’Europe. Ou du moins, elle est déchirée. L’Allemagne vit dans la crainte que si elle soutient le renforcement du marché européen face à la concurrence des marchés américains, les États-Unis lui imposent des sanctions ou entravent ses exportations. Bien entendu l’épisode de l’obstruction américaine sur le Nord Stream II devrait faire changer d’habitude notre voisin. Mais l’Allemagne ne peut pas se décider à parier clairement sur une Europe indépendante. La France doit donc sortir de l’illusion du “couple franco-allemand”. La croyance en cette illusion ne mène qu’à un seul résultat : une Europe allemande. Or une hégémonie allemande est en contradiction avec l’esprit de l’Europe. En conséquence, la France doit élaborer de nouvelles alliances en fonction des circonstances, avec les pays de l’Est lorsqu’il s’agit de civilisation, de questions sociales ou d’immigration, avec ses alliés du Sud lorsqu’il s’agit de questions économiques. Nous sommes les grands perdants de la zone euro. Les pays d’Europe de l’Est n’ont heureusement pas partagé ce sort. Pour nous, cela reste une question importante. Nous devons être capables de défendre le marché commun contre les pays qui font de la concurrence déloyale, qui ne respectent pas nos normes sociales ou environnementales, et qui ont donc un avantage sur nos marchés, contribuant à l’appauvrissement de l’UE, et aux délocalisations. La France doit devenir l’un des acteurs qui réorienteront l’UE. Si nous ne le faisons pas, d’autres Brexit suivront inévitablement.

« Le moment populiste a duré de 2012 à 2017 »

Tyszka-Drozdowski : Jacques Julliard a récemment soutenu que l’Occident vit actuellement la troisième période de l’après-guerre, après la fin de la guerre froide et l’apogée du capitalisme libéral, et que nous sommes maintenant entrés dans “l’ère populiste.” Êtes-vous d’accord avec lui ?

Marion Maréchal : Tout dépend de ce que l’on entend par “populisme”. En France, il a deux significations. L’une, la plus courante dans le débat public, est une signification critique. Pour les journalistes et les politiques de gauche, un populiste est un démagogue, un incompétent et, au final, un extrémiste de droite. Le terme est déployé comme une arme pour priver l’adversaire de crédibilité, une sorte d’attaque morale. Si c’est cela le populisme, je ne m’y reconnais pas et je ne veux pas utiliser ce terme. Mais il existe aussi une autre définition, tirée de la science politique, où nous avons des critères plus stricts. Nous découvrons ici un phénomène qui existe à la fois à droite et à gauche dans de nombreux pays différents. L’un des critères est la défense de la démocratie directe contre la démocratie représentative. Le populisme consiste dans cette définition à défendre le peuple contre les élites. Une autre caractéristique du populisme est un leader charismatique. Lorsque l’on additionne ces critères, on constate que des partis de droite et de gauche ont émergé ces dernières années qui s’inscrivent dans cette logique.

Mais sommes-nous encore dans un moment de populisme ? Je n’en suis pas sûre. Je pense qu’il a duré de 2012 à 2017. Il est possible que l’UE, ayant été effrayée par ce moment populiste, également personnifié par Trump ou Bolsonaro, ait scellé le système. L’Italie, par exemple, est passée à gauche et il est possible qu’elle y reste, le “moment Salvini” ayant tourné court. En Italie, on dit : “même quand la gauche perd, elle gagne”. Orban gagnera-t-il les prochaines élections en Hongrie ? Je l’espère, même s’il a une large coalition d’ennemis contre lui. Le PiS gagnera-t-il à nouveau en Pologne ? L’Allemagne, apparemment, est à nouveau entre les mains des progressistes. La France a vécu ce moment populiste à l’envers et a élu Macron, l’incarnation de l’establishment multiculturaliste, immigrationniste et pro-Europe fédérale.

Le sort du populisme, entendu comme le sort des partis populistes au pouvoir, est difficile à prévoir et on peut douter de leur maintien au pouvoir à l’avenir. Le mécanisme populiste, quant à lui, restera fort. Mais sera-t-il capable de trouver une articulation et de prendre le pouvoir partout ? C’est moins clair aujourd’hui qu’il y a quelques années.

«Dans la conscience générale, la division entre la gauche et la droite reste la division la plus claire »

Tyszka-Drozdowski : Dans son livre Le Moment Populiste, Alain de Benoist affirme que le clivage horizontal “traditionnel” entre la gauche et la droite devient de plus en plus obsolète, et que cette division est remplacée par un axe vertical, c’est-à-dire l’oligarchie déracinée contre le peuple. Cette analyse vous paraît-elle exacte ?

Marion Maréchal : Il y a beaucoup de divisions en politique et toutes sont justifiées à leur manière. La division entre les mondialistes et les partisans de la souveraineté nationale est largement exacte, et la division entre les élites et le peuple contient également beaucoup de vérité. Mais il y a deux niveaux en politique, le plan des idées et le plan de la politique pratique. Il y a beaucoup d’idées qui sont intellectuellement satisfaisantes, mais qui sont difficiles à traduire au niveau politique. En France, par exemple, personne ne se dit mondialiste, ni ne se dit conservateur, pour diverses raisons historiques dont on pourrait discuter longuement.

Dans la conscience générale, la division entre la gauche et la droite reste la division la plus claire. Pour la plupart des gens, la droite, c’est la nation, la tradition, les valeurs, le patrimoine, l’ordre, de Gaulle. Mais il est vrai que la division entre la gauche et la droite est également insatisfaisante. Lorsque le Front national se déclarait ni de gauche ni de droite, il ne s’agissait ni du PS [Parti socialiste, courant de gauche] ni de l’UMP [aujourd’hui Les Républicains], c’est-à-dire de la gauche et de la droite telles qu’elles sont incarnées par ces partis. En réalité, que ce soit le PS ou l’UMP qui aient été au pouvoir, les différences entre leurs gouvernements étaient mineures, voire imperceptibles. Je pense également qu’il convient de se demander si la division entre progressistes et populistes n’est pas simplement une nouvelle forme de la division entre la gauche et la droite. On pourrait dire que les deux ont subi une évolution certaine. Je pense que ces deux catégories sont toujours utiles lorsqu’il s’agit d’autodéfinition politique, mais je suis d’accord, elles ont leurs limites.

« Lorsque la droite arrive au pouvoir, elle a peur d’être qualifiée de “fasciste”, alors elle fait ce que la gauche veut ».

Tyszka-Drozdowski : Dans une interview accordée à IM-1776, Thierry Baudet a déclaré que Trump (et Boris Johnson) le rendaient “très sceptique quant à notre capacité à réaliser quoi que ce soit par des moyens démocratiques.” Le regretté Angelo Codevilla a également affirmé, par exemple, que Trump “aboyait beaucoup et ne mordait que peu.” Quelles leçons les populistes peuvent-ils tirer de la présidence de Trump et de ses échecs ?

Marion Maréchal : Eh bien, le système américain est très différent du système français. Néanmoins, il y a deux choses à garder en tête. D’abord, le pouvoir de l’État profond, qui est particulièrement fort aux États-Unis, mais qui est un problème partout. Lorsque vous gagnez une élection, vous devez avoir une machine derrière vous pour mettre en œuvre les politiques pour lesquelles les électeurs ont voté. Sous la présidence de Sarkozy en France, ce fut un véritable drame pour la droite, qui n’y est pas parvenue. Mais quand la gauche gagne, elle nomme qui elle veut. C’est ce qu’a fait Emmanuel Macron, il a changé beaucoup de personnes aux postes de direction dans les ministères et chez les opérateurs de l’Etat. La droite a peur de faire ça. Lorsqu’elle arrive au pouvoir, elle a peur d’être qualifiée de “fasciste”, alors elle fait ce que la gauche veut.

Ainsi, à chaque fois que la droite est revenue au pouvoir en France, l’administration est restée entre les mains de la gauche. Cela a entraîné un blocage politique. Le gouvernement n’avait pas les informations nécessaires, il n’avait pas les moyens de bien mener sa politique. L’élément secondaire est constitué par les centres intellectuels, les médias et les universités, où la gauche règne. La droite devra faire un grand effort pour créer des alternatives ici, à travers des initiatives parties de la base. Aujourd’hui en France, quelques voix de droite apparaissent dans les grands médias, mais elles sont encore insignifiantes, timides. Je crois surtout que nous ne devons pas permettre à nos initiatives de dépendre de l’État, de compter sur ses ressources. Nous ne devons pas être à la merci d’une défaite électorale de la droite. C’est un gros problème, et la raison pour laquelle j’ai fondé l’ISSEP. Le changement doit se faire du haut vers le bas, mais il n’aboutira jamais si nous ne créons pas des îlots de résistance en bas qui persistent même lorsque le gouvernement change. Il est nécessaire de construire des îlots de résistance dans la société ; c’est à partir d’eux que nous gagnerons. Je cite souvent Gramsci, mais il n’est pas le seul à avoir dit ceci : la victoire politique ne vient qu’après une victoire culturelle. Il n’y a pas de victoires politiques sans victoires culturelles.

« La démographie ne fait pas tout, et la Corée et Singapour montrent que la technologie permet de se hisser parmi les acteurs importants »

Tyszka-Drozdowski : En Europe, nous lisons surtout des auteurs américains, peu d’auteurs européens, et nous ne sommes pas du tout intéressés par l’expérience asiatique. Êtes-vous d’accord pour dire que l’horizon intellectuel de la droite et des populistes est plutôt limité, et que nous pourrions apprendre beaucoup du Singapour de Lee Kuan Yew, ou de l’expérience de la Corée du Sud ou du Japon ?

Marion Maréchal : Oui. En France, on a beaucoup de mal à apprendre les langues, surtout l’anglais ! Mais je dirais qu’il y a un certain intérêt pour les idées conservatrices, et pas seulement américaines, mais aussi russes, canadiennes ou québécoises. Nous connaissons très peu le conservatisme allemand ou suisse. Nous commençons à nous intéresser au conservatisme de l’Europe centrale et orientale, grâce à des gouvernements, dans ces pays, dont la voix se fait de plus en plus entendre. Il est dans l’intérêt de la droite française de regarder ce qui s’y passe. Mais vous avez raison de dire que nous comprenons très peu les pays asiatiques. Je pense que c’est aussi parce que la mentalité des pays asiatiques et leurs problèmes sont différents des nôtres. Le Japon rejette complètement l’immigration, et leurs problèmes sont différents, ils ont un environnement géopolitique différent et des horizons politiques et mentaux différents.

Ce qui est intéressant, c’est la façon dont ces pays, principalement la Corée du Sud, sont passés du tiers au premier monde en peu de temps, devenant des pays avec lesquels il faut compter, et acquérant une position aussi importante sur le plan technologique. Ce qui doit nous donner à réfléchir, c’est la façon dont ces pays ont surmonté des conditions géopolitiques défavorables grâce à la technologie. La démographie ne fait pas tout, et ces pays montrent que la technologie permet de se hisser parmi les acteurs importants. C’est pourquoi, vous avez raison, ces pays devraient nous intéresser.

« Il y a un manque de volonté parmi les élites européennes, et même un manque d’intérêt pour les questions technologiques »

Tyszka-Drozdowski : Ne pensez-vous pas qu’il est vrai que pour maintenir notre souveraineté – que ce soit en tant qu’Europe en général ou en tant qu’États-nations individuels – nous devons retrouver notre souveraineté technologique ? Et si oui, l’UE est-elle le principal obstacle à la reconquête de cette souveraineté technologique, ou est-elle simplement un outil mal utilisé ?

Marion Maréchal : Eh bien, tout d’abord, nous devons faire une distinction entre indépendance et souveraineté. La souveraineté, c’est la souveraineté nationale, et pour cela, il faut une nation. La nation est le fondement de la légitimité démocratique. Je ne crois pas qu’il y ait une nation européenne unique. Il y a plusieurs nations européennes. C’est pourquoi je ne crois pas en un État fédéral, car il ne peut être souverain s’il n’y a pas de nation. De ce point de vue, il est irréaliste de vouloir créer des États-Unis d’Europe. En même temps, je crois qu’à partir de nations souveraines, nous pouvons nous entendre et exprimer la volonté d’une Europe indépendante. Nous vivons sur un seul continent, nous appartenons à une seule civilisation, et nous avons des intérêts géopolitiques et économiques communs.

Le problème européen est comme un jeu de tir à la corde. Si notre équipe veut gagner, nous devons tous tirer dans la même direction. Si l’un tire à gauche, l’autre à droite et le troisième au centre, rien n’en sortira. D’abord, il doit y avoir une volonté d’indépendance. Est-ce que tout le monde l’a ? Ce n’est pas certain. La question de la souveraineté ou de l’indépendance numérique est avant tout une question d’infrastructures technologiques. La question concerne donc principalement les États-Unis, mais aussi, dans une moindre mesure, la Chine. Il s’agit de questions comme les données, la vie privée, la liberté d’expression, l’espionnage industriel, l’extraterritorialité de la loi américaine. L’UE devrait être un acteur majeur dans tous ces domaines. Malheureusement, il y a un manque de volonté parmi les élites européennes, et même un manque d’intérêt pour ces questions.

« Je crois que les Français vont encore nous surprendre et qu’ils ont assez de vitalité pour ne pas être enterrés par l’histoire »

 

Tyszka-Drozdowski : A bien des égards, la sortie soudaine des Etats-Unis de Joe Biden d’Afghanistan a été catastrophique. Que pensez-vous que cela symbolise pour l’Amérique et l’Occident en général ? Pensez-vous que c’est une preuve supplémentaire du déclin de l’Occident ?

Marion Maréchal : Les Etats-Unis n’auraient jamais dû entrer en Afghanistan. Et la France devrait maintenir sa singularité diplomatique, le principe de ne pas intervenir sauf si une situation spécifique touche nos intérêts vitaux. Malheureusement, la France a renoncé à cette singularité il y a des années pour se conformer à la vision néoconservatrice américaine. Les conséquences sont visibles aujourd’hui. Les Talibans n’auraient pas pu gagner si la population sur le terrain avait subi une conversion aux valeurs américaines. On ne persuade pas les cœurs et les esprits par la force. Il y avait beaucoup d’autres facteurs en jeu, comme la corruption, etc., mais il est clair que nous devons en tirer une leçon et faire preuve de prudence. Le prix de ces interventions n’est pas seulement payé par les États-Unis, mais aussi par l’Europe, à travers la migration de masse et aussi le terrorisme. La même chose s’est produite avec la Syrie et la Libye, qui est aujourd’hui un État en faillite. J’espère que cela sera une leçon pour nous tous.

Tyszka-Drozdowski : Je voudrais terminer en vous posant la même question qu’Alain Peyrefitte a posée à de Gaulle… La France existera-t-elle toujours ?

Marion Maréchal : Je l’espère. Je ne veux même pas me poser la question. Je ne peux pas accepter qu’il en soit autrement. La France est la terre de mes ancêtres. Je viens de Bretagne et je ne peux pas imaginer que la terre de mes ancêtres, où ils sont enterrés depuis mille ans, puisse être abandonnée. Je refuse de me poser cette question. Je puise mon espoir dans l’histoire de la France, et de la Pologne, et de la Hongrie. En France, nous n’avons jamais ressenti la peur existentielle de disparaître comme l’ont expérimentée les Hongrois ou les Polonais. La Pologne a vécu les partitions, toujours entre la menace de l’hégémonie allemande ou russe. La Hongrie a dû faire face aux invasions ottomanes et résister à la colonisation par l’Autriche. Dans notre histoire, nous n’avons jamais connu cette peur, la peur de cesser d’exister. Aujourd’hui, nous commençons à la ressentir, c’est quelque chose de nouveau pour nous. Elle a différentes manifestations, c’est quelque chose de nouveau dans notre histoire. Nous avons connu de grands effondrements dans l’histoire, comme en 1940, comme la défaite de Sedan, les guerres de religion ou la Révolution. Mais nous avons aussi connu de grandes résurrections. Comme Jeanne d’Arc, l’énigme, comment la comprendre ? Elle avait 19 ans et elle a mené la libération de la France de la domination anglaise. C’est un miracle de l’histoire. Si ce miracle historique s’est produit une fois, et qu’il a été accompli par une personne de 19 ans, il y a encore des raisons d’espérer, de croire que cette nation millénaire a des ressources cachées que nous ne soupçonnons pas. Je crois que les Français vont encore nous surprendre et qu’ils ont assez de vitalité pour ne pas être enterrés par l’histoire.

Cet entretien a été publié initialement sur l’excellent site “Le Courrier des Stratèges”

Minurne Résistance
24 octobre 2021

 

 

4 Commentaires

  1. Trois candidats pour la droite, écrivez-vous ? Merci de ne pas oublier Nicolas Dupont-Aignan que les médias négligent. Travailleur, sérieux, il présente un projet consistant, inspiré par son expérience, chiffré, s’appuyant sur ses observations et surtout sa réflexion. Son livre “Où va le pognon” montre comment les mesures qu’il préconise peuvent être financées. Sa devise “Sauver la France” redonne espoir aux électeurs et est susceptible de convaincre les abstentionnistes de retrouver le chemin des urnes. Toujours est-il qu’on est loin du pathétique “concours de miss” préparé pour élire le candidat “Les Républicains”.

  2. quelle intelligence, quelle force , puissance….on ne peut qu’être conquis par sa force , son analyse clairvoyante. Mais Madame Maréchal, qu’allez vous faire après les Présidentielles de 2022 si macron repasse ? Qu’allez-vous vous dire aux Français patriotes , qui n’attendent que votre décision «  d’y aller «,   si par malheur l’autre repasse ?
    vous ne vouliez pas faire d’ombre , pas concurrence à MLP , c’est tout à votre Honneur , mais ça c’était avant comme on prend l’habitude de dire maintenant . Aujourd’hui il faudra gagner à défaut d’avoir raison , quel intérêt d’avoir eu raison quand on est tué par celui qui a gagné ?

  3. C’est un autre niveau que les énarques qui nous soaulent de banalité, les mêmes banalités et promesses depuis des décennies. Là, c’est une analyse intelligente. J’ai toujours pensé qu’elle ferait une excellente présidente, si les Français se réveillaient un peu.
    Avec Eric Zemmour, Philippe De Villliers, Marion Maréchal, on a là une belle brochette qui suscite des espoirs… et nous avons besoin de cet oxygène.

  4. Quand je lis cette interview j’ai l’impression de l’entendre parler : c’est clair, précis, net concis, sans détour. Peu de politiques ont ces qualités et cette détermination.
    Je ne sais pas si Eric Zemmour sera notre prochain président de la république mais il me semble bien que le suivant s’appellera Marion Maréchal.

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