LES PARASITES DE LA RÉPUBLIQUE (L’Imprécateur)

L’ENA serait elle devenue une ferme-école pour produire des moutons de haut de gamme? 

 

 

 

MON TRISTE CONSTAT

Depuis des décennies, je qualifie les énarques de “crétins diplômés”, et depuis des années je qualifie Emmanuel Macron, la bande de bras cassés de son gouvernement et la caste de hauts fonctionnaires d’incultes. Cela m’a valu d’être traité de prétentieux, méchant, injuste envers notre élite qui éblouit le Monde entier.

J’ai commencé très jeune, à 23 ans. Depuis mes bacs C (latin maths) et philo avec mention TB, j’avais travaillé cinq licences, deux en droit et trois en biologie (végétale, animale et marine) et j’étais diplômé de l’Institut des Hautes études d’Amérique latine. Sciences Po et l’ENA m’invitent à entrer dans leurs écoles sans passer les concours. Je commence par Sc Po et après une semaine de cours insipides et déjà très marqués de marxisme, je vais voir le directeur et lui annonce que je quitte son école où je n’apprendrai rien. Je lis le programme des cours de l’ENA et j’en conclue que là aussi je n’apprendrai rien. Je devais aller au service militaire, à l’époque pour 18 mois. J’y vais et suis envoyé comme deuxième classe à la base aérienne de Chartres. Au bout d’une semaine et quelques discussions avec des officiers, on me demande de leur faire des conférences sur des sujets variés, comme “comment le Portugal est sorti du colonialisme sans guerres” ou ‘L’influence de la France en Asie du Sud-Est”. Au bout d’un mois, je suis muté à l’École d’État major de l’Armée de l’air où je recommence des conférences. Deux mois plus tard je suis à nouveau muté, cette fois au ministère de la Défense où le ministre de l’époque me nomme directeur de cabinet adjoint chargé de la presse, du renseignement et de l’encadrement des énarques du ministère, dont cinq sont mis directement sous mes ordres, “pour leur apprendre à travailler” me dit le ministre, en précisant “et surtout apprenez-leur à faire des discours percutants parce que ceux qu’ils me soumettent sont nuls“. Quand ayant terminé mon service militaire j’ai quitté le ministère, le ministre a organisé une réception avec les généraux pour me présenter comme “celui qui a étonnamment bien rempli la mission que je lui avais confiée : former les énarques”.

C’est pourquoi je m’estime qualifié pour évaluer ceux de notre époque et j’ai apprécié qu’enfin un énarque, Eric Verhaeghe créateur du Courrier des Stratèges, porte un jugement similaire au mien : les énarques ne sont bons à rien.

LE COURRIER DES STRATÈGES DU 2 JUILLET

Eric Verhaeghe

J’ai participé à Paris à l’événement marquant le vingtième anniversaire de promotion d’ENA. Ce pince-fesses avait lieu dans un hôtel particulier du seizième arrondissement…

Fêter les 20 ans de ma promotion ENA était, c’est vrai, une corvée, dont je me suis dispensé il y a dix ans, et à laquelle je me suis collé cette année par curiosité.

Je suis sorti de l’ENA en 2002, à une époque où l’on pouvait encore croire au destin de l’Europe et de l’euro, au progrès de la démocratie, et à quelques petites naïvetés de ce genre. Vingt ans plus tard, l’Europe est en guerre, les finances publiques sont en ruine, la zone euro est en quasi récession, et l’abstention record illustre les tensions propres à notre démocratie : c’était le moment de prendre la température de la caste. 

Sans enthousiasme, donc, je me suis cherché un costume à peu près correct pour rejoindre mes anciens petits camarades et voir à quoi ils ressemblent désormais. Et le résultat m’a, je dois le dire, un peu consterné. 

Pour donner un tableau général de ce que j’ai vu, je dirais avec une petite paresse facile que l’événement se situait entre la scène de ripaille de E la nave va de Fellini et une soirée de vœux à la Chancellerie de Hitler en janvier 1943, c’est-à-dire quelques semaines avant la défaite de Stalingrad. Tout le monde affiche une mine réjouie, évoque les bons souvenirs, dresse un tableau épique et picaresque des grandes victoires engrangées, de la prospérité du pays retrouvée grâce au NSDAP, et surtout, les mouches à merde qui posent les questions qui fâchent sur les signaux de plus en plus nombreux d’une défaite imminente sont considérées au mieux comme de grossiers personnages, au pire comme des ennemis à fusiller dans la cour séance tenante. 

Bref, une soirée énarchique n’existe que comme célébration des grandes victoires remportées par la caste mondialisée sur l’obscurantisme, et toute forme d’esprit critique expose au bannissement. 

Combien de temps la béatitude peut-elle durer ? Je n’ai rencontré, ce soir-là, que peu de camarades prêts à reconnaître que la fête aurait peut-être une fin… plus rapide qu’ils ne l’imaginent. 

TRIOMPHE DE LA PLATITUDE ET DE LA CÉCITÉ

Je ne me souviens plus de tout quant aux détails de ma scolarité à l’ENA (il me faudrait plus de temps pour rassembler mes souvenirs, sans doute), mais j’ai conservé intacte la diatribe de l’une de mes camarades sortant de Sciences-Po et finalement sortie au Conseil d’Etat, dont la carrière a connu un bond spectaculaire grâce à François Hollande dont elle fut conseillère à l’Elysée. L’impétrante ne connaissait pas bien la différence entre Flaubert et Balzac et même, disons le, confondait allègrement les deux. 

Ce flou culturel m’a toujours paru illustrer assez bien le niveau moyen des énarques, qui sont (parfois) de bons chefs d’atelier bureaucratiques, mais qui ont une culture limitée aux petites fiches ingurgitées au kilomètre à Sciences-Po. J’ai d’ailleurs toujours eu l’intime conviction qu’il fallait payer la petite fiche ingurgitée par le science-pipoteur de base au même tarif qu’une gâterie déroulée par une Brésilienne au bois de Boulogne : ils deviendraient tous très riches dès le plus jeune âge, se détourneraient en masse de la carrière bureaucratique, et libéreraient ainsi le pays d’une infestation toxique. 

De cette réduction massive de l’individu à un simple utilitarisme bureaucratique, on en trouve les preuves partout. Nous devions être moins de dix à ne pas porter, parmi les hommes, un complet bleu ou gris totalement passe-partout. Et, si je fais le compte de ma soirée, un seul de mes camarades a osé me parler de son opposition à la politique étrangère suivie par Emmanuel Macron.

Massivement, l’énarchie aujourd’hui applique de façon zélée la politique gouvernementale, dans ses pires excès, sans se poser de questions métaphysiques. Certes, il y a bien des jeux de carrière, certains sont plus républicains ou plus socialistes que le Président, comme Vichy comptait des adeptes de Darlan, de Laval, ou de Bousquet. Mais, de même qu’aucun ne remettait en cause le Maréchal, aucun énarque aujourd’hui, parmi ceux qui sont en fonction dans l’active, n’exprime publiquement, sereinement, honnêtement, le moindre malaise vis-à-vis du naufrage en cours, considérant même que l’affaire est entre de bonnes mains, et que nous tenons le bon bout. 

LES TROIS SPHÈRES DE L’ENA AUJOURD’HUI

De façon étonnante, quand même, il me semble que la morphologie générale de l’ENA a changé significativement en vingt ans. C’est peut-être une impression trompeuse, mais, sous l’effet des changements globaux, la biologie mute. 

L’immense majorité des énarques (90% d’entre eux, pourrions-nous dire, à grosses mailles) exerce, vingt ans après sa sortie d’école, des fonctions subalternes de plus en plus marginalisées par la mondialisation. Il faut ici comprendre à quoi correspond la montée en puissance des Mc Kinsey et consorts : la définition stratégique de l’action publique est confisquée par la caste, et ceux qui en étaient chargés autrefois sont de plus en plus réduits au rôle de simples exécutants de feuilles de route définies ailleurs. 

La règle de ces 90% est d’obéir aux ordres sans se poser de question. J’ai désespérément tenté d’obtenir d’un camarade juge administratif la moindre réflexion critique sur la soumission générale et silencieuse du corps auquel il appartient aux pires excès du macronisme. Je n’ai obtenu que du déni mordicus, un sourire sardonique et une demande timide d’indulgence pour le jour où tout cela se terminera mal. Mais sa réponse obstinée est : “j’obéis, et je ne peux qu’obéir”. 

Plus teigneux sont les anciens cadors du système qui n’ont pas bien négocié le virage de la mondialisation : les conseillers d’Etat devenus des dinosaures d’un vieux droit français balayé par l’Europe et les Etats-Unis, les inspecteurs des finances mal à l’aise en anglais, qui doivent se contenter de postes bidons de “chef de la mission d’audit interne de truc ou de machin”, qui sont autant de chômeurs déguisés à 15.000 € nets par mois, confortables donc, mais d’autant plus arrogants et haineux qu’ils sont aigris par leur progressive mise sur la touche. On en compte trois ou quatre par promotion, et ceux-là sont dangereux car leur ressentiment les bouffit de haine contre les “riens” de la France ordinaire, taxés de tous les maux. 

Enfin, j’ai dénombré une poignée de vainqueurs, de membres réels de la caste mondialisée, qui fréquentent les forums de Davos, les réunions de Bilderberg, les instances onusiennes où l’argent coule à flot pour acheter les dernières résistances au système. 

Mais, sur une cohorte de cent personnes, s’ils sont cinq, c’est déjà énorme, et peut-être même ne compte-t-on parmi eux qu’un ou deux oligarques réel(s). 

LES PROGRÈS FULGURANTS DE L’ATLANTISME

Je manquais peut-être de lucidité il y a vingt ans, mais il me semble quand même que, en 2002, j’eusse anticipé beaucoup plus de résistance assumée et ouverte à l’ordre américain que je n’en ai vu ou entendu jeudi soir. Face à la manipulation américaine en Ukraine ou mondialiste sur le coronavirus, je crois bien que, au moins dans mes souvenirs, une part plus importante d’élèves aurait protesté ou aurait même contesté. 

Désormais, l’attitude la plus audacieuse est de se taire, d’éviter le sujet, de ne pas voir qu’à force de prétendre que la France n’est plus rien, ils ont eu gain de cause : l’énarchie est devenue la force la plus active pour dissoudre la nation dans un bain de multilatéralisme et de mondialisme où nous ne pesons plus rien. 

Avec beaucoup de naïveté, l’un ou l’autre est venu m’expliquer qu’aucun pays n’était libre, et que l’ordre américain était le bon, à condition d’être débarrassé de Trump, bien entendu. Ceux-là osent dire ce que les autres font mine de ne pas savoir, par confort, par facilité, par paresse : qu’ils ne sont plus rien, qu’ils ont cassé le jouet qui a fait leur carrière, leur prospérité, leur rang social. Au fond, la France disparaît, et ils se sentent honorés de pouvoir éteindre la lumière en partant. 

L’Imprécateur

15 juillet 2022

 

 

 

 

2 Commentaires

  1. J’ai longtemps moi meme confondu Balzac et Flaubert, jusqu’au jour, récent, ou par le plus heureux des hasards, je suis tombé sur un livre de Flaubert, en l’occurrence “3 contes”, qui est avant “Bouvard et Pecuchet”, l’un de ses derniers livres
    Et là j’ai pris une leçon magistrale de style, notamment dans le conte “un coeur simple”. Quelle merveille de précision et d’harmonie dans les descriptions , aussi bien celles de l’ame que celles de la nature et de la destinée. Et à travers le récit de la vie d’une humble servante, quelle émotion poignante .
    Il n’est jamais trop tard pour s’émerveiller, semble t’il.

  2. Cela confirme qu’il devrait être strictement interdit à un énarque d’occuper les fonctions de Président de la république, ainsi que de ministre. Ces gens là sont formatés pour rester fonctionnaires !

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