VERS UN BOULEVERSEMENT DU MONDE SANS PRÉCEDENT ( Jean Goychman)

La Fin de la Guerre Froide | Superprof

Nous vivons des jours qui compteront dans le devenir de notre planète. En 1992, Francis Fukuyama écrivait « La fin de l’Histoire ». La disparition de l’URSS, mettant un terme à la guerre froide, ouvrait d’après lui une période de paix, de croissance et de stabilité. Le libéralisme avait, d’une manière irréversible, triomphé du communisme et trouvait dans la démocratie le régime idéal permettant à chacun d’assouvir son besoin de reconnaissance.

Trente ans après, que reste-t-il de ces propos ?

Restés seuls en lice, les Etats-Unis ont renforcé leur position hégémonique sur l’ensemble de la planète. Les bons sentiments qu’ils avaient manifesté l’égard de la Russie ont vite fait place à la volonté d’écarter définitivement la menace qu’elle pouvait constituer en appliquant à la lettre la stratégie décrite par Zbignew Brzezinski dans « Le grand échiquier » publié en 1997.

UNE DOMINATION PAR LE CONTRÔLE DE LA MONNAIE INTERNATIONALE

Ce qui aurait dû être un monde « pacifié » a été le théâtre d’incessants conflits régionaux, sous couvert de défendre la démocratie, mais en réalité souvent liés au maintien du monopole du dollar comme monnaie internationale.

Car le dollar américain était le pilier principal sur lequel s’appuyait la puissance américaine, particulièrement depuis 1971, date à laquelle il n’était plus convertible en or. Cela en faisait une monnaie purement fiduciaire qui pouvait être créée à partir de rien, ou plus exactement en créant une dette américaine sans limites. C’était l’âge d’or américain où les besoins en dollars du commerce international et les réserves monétaires, que devaient se procurer tous les pays du monde pour commercer, servaient à exporter ces dettes américaines qui se trouvaient ainsi supportées par les autres pays. Cette situation, très enviable pour les Etats-Unis, l’était beaucoup moins pour ceux qui, in fine, payaient les dettes. Les propos du secrétaire du Trésor O’Conally « Le dollar est notre monnaie et c’est votre problème » ont été d’un cynisme difficile à avaler.

Cependant, il convient de préciser que tout ceci se faisait au sein d’un petit cercle de gens qui, au fil du temps, s’étaient appropriés, à l’insu du peuple américain, la quasi-totalité des pouvoirs.

Pire que cela, il allait même en être une des victimes.

UN RESSENTIMENT GRANDISSANT

Car le dollar était devenu l’instrument principal, associé à la banque mondiale et au FMI, de la toute-puissance de cette oligarchie financière qui avait pris le contrôle des Etats-Unis. Lorsqu’un pays affichait une certaine volonté d’indépendance par rapport à leurs directives, il se voyait rapidement « remis dans le droit chemin » souvent au prix d’une crise économique, voire de troubles sociaux, voire plus.

Le Mexique, le Brésil, et d’autres pays de l’Amérique Latine, ont subis ce genre de traitements et l’ont gardé en mémoire.

Ce fut le cas également d’un grand nombre de pays d’Asie, du Moyen Orient et même d’Afrique.

UNE RIPOSTE LENTE MAIS ORGANISÉE.  

 Penser que tout ceci est oublié paraît hasardeux. D’abord parce que le capital de confiance des États-Unis s’est singulièrement érodé au fil du temps. Ensuite parce que le projet anglo-américain de domination mondiale est apparu de plus en plus clairement depuis la fin de la guerre froide. Cette vision d’un monde « monopolaire » dont Caroll Quigley décrit dans « L’histoire secrète de l’oligarchie Anglo-Américaine » qui devait s’implanter à terme supposait une constance dans le temps de données géopolitiques. Or, c’est cette oligarchie qui, par cupidité et par le sentiment de sa totale invulnérabilité, a elle-même fait échouer son propre plan.

Donner aux pays « émergents » les moyens de leur développement économique en assurant les débouchés commerciaux de leur production a été l’erreur fatale. Ces pays ont réalisé qu’ils allaient acquérir un pouvoir énorme pour peu qu’ils sachent s’organiser et utiliser leur complémentarité dans l’intérêt de tous.

La Chine a compris très tôt que le pouvoir exorbitant des Etats-Unis venait de la nature du dollar qui, comme l’avait dit de Gaulle « il ne tenait qu’à eux d’imprimer » et que ce privilège asservissait tous les autres pays. Il permettait, entre autres, de financer des dépenses militaires dont le budget annuel dépassait la somme de tous les autres budgets militaires du monde entier. Cette puissance militaire financée par les autres leur permettait de régner sans partage sur le monde et d’intervenir militairement partout où ils voulaient. Cette mutation progressive vers une «Amérique-empire» a été décrite par Nikola Mirkovic dans un ouvrage paru récemment et très documenté.

Entretien) Nikola Mirkovic, « La Serbie est sur la voie de l'intégration à l'Union

Nikola Mirkovic

La Chine a également compris qu’elle n’arriverait pas seule et qu’il fallait investir dans le temps long pour saper le pouvoir économique et industriel des partisans d’un monde monopolaire qu’il dirigeraient sans partage en tenant les flux commerciaux par leur monopole maritime.

S’approprier les voies de communication a toujours été au cœur de ce projet qui allait s’opposer à ce monde monopolaire.

Cette vision d’un monde « multipolaire » prend de plus en plus d’ampleur à la surface de la planète. Non parce qu’elle s’oppose frontalement à celle de l’oligarchie Anglo Américaine, mais parce qu’elle correspond mieux aux aspirations des peuples qui ne veulent pas voir leurs nations « agglomérées comme les marrons dans la purée » suivant l’expression de de Gaulle, qui considérait par ailleurs que : « Les seules réalités internationales, ce sont les nations »

Ce monde multipolaire qui est en train de naître sous nos yeux est naturellement ignoré par toute la presse « mainstream » occidentale, qui préfère voir dans la guerre en Ukraine la simple expression d’une volonté de conquête d’un territoire par un dictateur qui, comme tous les dictateurs, n’aura de cesse de conquérir un empire et qu’il faut le détruire le plus vite possible en fragmentant son pays pour le rendre impuissant.

Ce regard, volontairement biaisé mais imposé par tous les « think tank » pro-occidentaux mène l’Europe Occidentale à sa perte car cela va inéluctablement fragmenter géographiquement l’Europe, mettant un terme à la vision, ô combien plus rationnelle, d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural »

UNE GUERRE SOUS UN « FAUX NEZ »

Cette guerre en Ukraine est essentiellement une guerre de communication. C’est ce qui empêche d’y trouver une solution raisonnable. Il n’est, hélas, d’aucun intérêt pour les protagonistes d’y mettre un terme rapide. Les États-Unis ont tout à gagner dans un affrontement entre la Russie et l’Union Européenne, dans lequel ils se garderaient bien d’intervenir. La Russie, alliée objective de la Chine, et plus généralement les partisans du monde multipolaire, savent que temps travaille pour eux et continuent de faire avancer leur projet à bas bruit grâce au tumulte médiatique.

Car le véritable enjeu de cette guerre est le maintien ou non du dollar en tant que monnaie de réserve internationale. Son monopole est d’ores et déjà tombé, mais personne ne sait à partir de quand le dollar ne pourra plus se maintenir sur le marché, provoquant alors une crise sans précédent connu sur les marchés financiers internationaux, avec les conséquences difficilement envisageables des répercussions que cela aurait sur les économies américaine et occidentale.

Car le véritable bouleversement est là. On en parle peu, hormis dans certains milieux, et cela peut se comprendre, car nul ne connaît en vérité quels seraient les effets de sa mise en lumière.

Le programme BRI (Belt and Road Initiative), initialisé par la Chine, qui englobe tous les modes de transport, avance rapidement et prévoit d’intégrer progressivement l’Afrique et le continent Sud-américain, va avoir des conséquences énormes sur l’économie mondiale en modifiant les flux d’échange commerciaux. Le transport maritime, jusqu’alors l’apanage des puissances maritimes, va se trouver concurrencé par un type de transport intermodal contre lequel il aura du mal à lutter. « Qui tient le transport maritime tient la richesse et qui tient la richesse tient le monde » disait Walter Raleigh, navigateur anglais du XVIème siècle et auteur de plusieurs ouvrages sur le commerce international. Tout le programme de conquête du monde par les Anglo Américains est basé sur l’hégémonie maritime et ils ne doivent pas voir cette initiative d’un très bon œil.

Tout ce qui peut être constaté aujourd’hui est que la perspective d’un monde multipolaire porte l’espoir d’une majorité de la population humaine et que ce choix oppose dorénavant l’Occident au reste du monde. Or, la population du reste du monde augmente beaucoup plus vite que celle de l’Occident et les occidentaux le savent.

En 1970, l’Occident représentait environ 25 % de la population mondiale alors qu’aujourd’hui ce chiffre est tombé à 12 %, incluant le Japon, alors que la population mondiale a doublé, passant de 4 milliards à 8 milliards d’individus. La population occidentale, elle, n’a guère augmenté.

Ces perspectives sont très inquiétantes pour certains, qui verraient peut-être une solution dans une diminution de la population humaine. Espérons surtout que ceci ne sera pas le catalyseur d’un conflit mondial qui s’avèrerait suicidaire et que les forces de la paix l’emporteront sur celles de la guerre.

Jean Goychman

16 juin 2023

Laisser un commentaire

Votre commentaire sera publié apres contrôle.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

5 Commentaires

  1. Les Américains ont toujours été obsédés par les Russes, d’autant que le pire ennemi des Russes est le Royaume Uni depuis longtemps. Mais ils n’ont pas vu les Chinois grandir dans leur dos.

    Actuellement, Blinken est allé voir Xi-Ping pour lui dire que les USA ne s’opposeront pas à l’invasion de Taïwan et qu’ils ne veulent pas agresser la Chine… Ce qui veut dire qu’ils veulent se concentrer sur le noyau actif des BRICS, la Russie, et assurer leurs arrières. Si un conflit direct USA/OTAN survenait contre la Russie, les Chinois tireraient les marrons du feu, peinards.

    Mais je me demandais si, à l’avenir, le retour du souverainisme de tous les pays n’allait pas nous faire retrouver les guerres d’autrefois sans un arbitre puissant. La chute des USA ressemble étrangement à celle de l’empire Romain. Mais si c’est pour qu’une autre grande puissance reprenne leur flambeau… on est pas rendus sur les libertés.
    Après, je peux me tromper.

  2. Mister Goychman,
    vous qui ecrivez souvent des petits papiers bien savants sur la haute finance, pourriez vous nous concocter un petit texte sur l’influence qu’a eue la creation du l’Euro sur l’hégemonie du dollar et quelles en sont les conséquences actuelles. Les americains ne sont ils pas en train de nous faire payer tres cher cette trahison ?

    • Bonjour. Pour en revenir à votre dernière phrase, vous avez entièrement raison et je l’approuve. Comme nous avons payé cher la libération de notre Patrie après 1945, nous continuons de payer ce billet vert où sont rassemblés tous les signes de la trahison.N’avez-vous jamais vu la vidéo concernant le billet de 1 dollar ? Lorsque ce billet est plié tous les signes apparaissent § Et n’oubliez pas que le groupe de francs-maçons Bilderberg aide aussi très fortement à la manoeuvre. En fait ce sont ces gens-là qui se réunissent souvent à Davos qui veulent créer le Nouvel Ordre Monial. Sans doute que Monsieur GOYACHMANN dont j’apprécie les billets à chaquefois pourrait confirmer ce que je viens d’écrire. Bien cordialement.

  3. Bel article bien logique qui met en exergue le mauvais aspect de cette politique internationale opaque mais dirigiée par le systême anglo americain:: Le problême est qu’il n’apparait pas de solution concrête.Comme je suis un primaire , déja la langue anglaise que j’ai traduite et lue de temps en temps est définitivement bannie de mes levres : Je ne chanterai ,ni baragouinerai aucun mot d’anglais qu’importe la chanson et quand je l’entends ,je coupe ,comme je coupe chaque fois qu’un macron ouvre son bec..
    J’en conviens , c’est un peu nationaliste,aujourd’hui banni , mais je ne suis pas corse pour rien./J’aime la france des forts caractères.Une france qui dans certains departements rend invivable , les pieds, le cerveau ou le ventre de l’oppresseur : Une france qui a encore des …..Voyez ce que je veux dire.

    • Je ne vois pas les choses autrement que vous… et je dois être tout aussi primaire car j’ai les mêmes réactions ! Sinon, effectivement… super article bien édifiant !