LE SERMENT DE CAMERONE
(Éric de Verdelhan)

Voici un superbe et glorieux moment de notre Histoire, illustrant  l’Honneur, le Courage et la Fidélité à la Patrie de ces grands soldats qui ont fait la France, souvent au prix de leur vie.
Que mon ami Éric ne me tienne pas rigueur de publier son récit 5 jours après le 30 avril, 157 ème anniversaire de la bataille de Camerone. Le fait qu’on commémore aujourd’hui le 199ème anniversaire de la mort de l’Empereur à Sainte Hélène atténuera peut-être un peu cette impardonnable faute.
MLS


                                                                                                                                           
Le serment de Camerone : Hommage au caporal Maine

« Ils furent ici moins de soixante opposés à toute une armée.
Sa masse les écrasa.
La vie plutôt que le courage abandonna ces soldats français »
.
(Inscription figurant sur le monument  de  Camerone, au Mexique)



Pour la Légion Etrangère, le 30 avril est un jour sacré : la commémoration de Camerone, le 30 avril 1863. Camerone, c’est le combat épique  qui opposa une compagnie de la Légion Etrangère aux troupes mexicaines durant la calamiteuse expédition française du Mexique (1).

62 Légionnaires, assiégés dans un des bâtiments d’une hacienda de Camarón de Tejeda, résistèrent toute une journée à l’assaut de 2 000 fantassins et cavaliers mexicains.

À la fin d’une longue journée de combat, les six survivants encore en état de combattre, à court de munitions, chargèrent baïonnette au canon.

Un officier mexicain – d’origine française – somme alors les survivants de se rendre.

Le caporal Maine répond : « Nous nous rendrons si vous nous faites la promesse la plus formelle de relever et de soigner notre sous-lieutenant et tous nos camarades atteints, comme lui, de blessures ; si vous nous promettez de nous laisser notre fourniment et nos armes. Enfin, nous nous rendrons, si vous vous engagez à dire à qui voudra l’entendre que, jusqu’au bout, nous avons fait notre devoir ».

« On ne refuse rien à des hommes comme vous », lui répond l’officier mexicain.

Les rescapés sont présentés au colonel Milan, qui s’écrie : « ¡Pero estos no son hombres, son demonios! » (« Mais ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons »).

Chaque 30 avril, partout où se trouve la Légion – dans ses casernements, en manœuvre, en opération extérieure – et dans les amicales d’anciens Légionnaires, on récite (2) ou on lit, le « récit de Camerone ». Un texte clair, concis, rédigé avec des mots simples pour que les Légionnaires, issus de 180 nationalités et maîtrisant souvent mal la langue française, puissent le comprendre :

« L’armée française assiégeait Puebla. La Légion avait pour mission d’assurer, sur cent vingt kilomètres, la circulation et la sécurité des convois. Le colonel Jeanningros, qui commandait, apprend, le 29 avril 1863, qu’un gros convoi emportant trois millions en numéraire, du matériel de siège et des munitions était en route pour Puebla. Le capitaine Danjou, son adjudant-major, le décide à envoyer au-devant du convoi, une compagnie. La 3ème compagnie du Régiment Etranger fut désignée mais elle n’avait pas d’officier disponible. Le capitaine Danjou en prend lui-même le commandement et les sous-lieutenants Maudet, porte-drapeau, et Vilain, payeur, se joignent à lui volontairement, etc…»

Le 1er mai 1853 – soit presque dix ans jour pour jour avant Camerone –  le sous-lieutenant Danjou, au cours d’une expédition en Algérie, perdait  la main gauche à la suite de l’explosion de son fusil. Il la remplacera par une prothèse articulée en bois, dont il se servira comme d’une vraie main.
Il sera lieutenant le 23 décembre 1853, puis capitaine le 9 juin 1855 à titre exceptionnel au siège de Sébastopol et, enfin, capitaine adjudant-major le 18 septembre 1855. Le 16 avril 1856, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur.

En 1865, la main articulée du capitaine Danjou est rapportée à Sidi-Bel-Abbès – berceau de la Légion Etrangère – par le colonel Guilhem. Depuis, cette relique est conservée à Aubagne (3), dans la crypte du Musée de la Légion. Tous les ans, lors de la cérémonie de Camerone, la main du capitaine Danjou est portée sur la « voie sacrée », jusqu’au monument à la gloire de la Légion Etrangère (4), par un Légionnaire – officier, sous-officier ou homme du rang – choisi par ses pairs.

Le 30 avril 1961, la main du capitaine Danjou n’a pas été présentée aux Légionnaires : ce jour-là était  un jour tragique : celui de la dissolution du 1er REP (5), régiment fer-de-lance du putsch d’Alger les 21-22 et 23 avril précédents (lire l’article “le putsh manqué“) 

Ce combat de Camerone, défaite contre un ennemi mieux armé (6), à un contre trente, est entré dans l’histoire – comme Bazeilles pour les « Marsouins » ou Diên-Biên-Phu pour les paras et (encore !) la Légion – parce qu’il symbolise l’acte gratuit, le courage, la volonté, l’Honneur et la fidélité à la parole donnée.
« Honneur et Fidélité » : c’est la belle devise de la Légion !

Après le capitaine Danjou, rendons hommage  au caporal Maine, ce héros qui, avec une poignée de survivants, imposa ses conditions de reddition aux troupes mexicaines.

C’est presqu’un voisin car il né à Mussidan, en Dordogne, le 4 septembre 1830.

On suppose qu’il doit son prénom, Louis-Philippe, à l’accession au Trône, un mois plus tôt, de Louis-Philippe 1er. Ce « roi-bourgeois » – que Daumier caricaturait sous la forme d’une poire – n’a pas été sacré « Roi de France » mais intronisé “Roi des Français”.
Son règne, commencé avec les barricades de la révolution de 1830, s’achève en 1848 par d’autres barricades, qui le chassent du trône.

Louis-Philippe naît au foyer de Joseph Ména dit « Maine », d’origine andalouse, bottier de profession et de Thérèse Félix, française née en Espagne. Le père de Thérèse a été capitaine dans les armées napoléoniennes. Thérèse Félix est hôtelière.  

On ne sait pas grand-chose de l’enfance de Louis-Philippe Maine, sinon qu’il rêve d’aventure. À 20 ans, le 21 décembre 1850 précisément, il s’engage pour deux ans au 1er  Régiment de Zouaves à Alger. Mais l’Algérie qu’il va connaître est, semble-t-il trop calme pour lui. L’émir Abdelkader a fait sa reddition au duc d’Aumale en 1847. Cette phase de la conquête se termine par l’annexion de l’Algérie à la République française, via la création des départements français d’Algérie en décembre 1848.

En  1850, l’armée se charge surtout de veiller à la bonne intégration des révolutionnaires de 1848, déportés en Algérie et dont on fait, contre leur gré, des paysans et des laboureurs.

A la fin de son contrat, déçu, Louis-Philippe rentre à Mussidan où il reprend le métier de bottier de son père. Mais l’aventure le démange.  Le 25 avril 1854, il s’engage à nouveau au 4ème  Bataillon de Chasseurs à pied, qui part se battre en Crimée.

C’est là que sa brillante carrière débute vraiment. Le 18 juin 1955, il est blessé lors de la prise de la tour Malakoff. Son comportement au feu lui vaudra la Légion d’Honneur  – à  la même époque et sur le même théâtre d’opération que le capitaine Danjou –  clin d’œil de l’histoire !

En juin 1859, il est déjà adjudant et, après la victoire de Magenta, il est décoré de la Valeur Militaire italienne. Puis il suit le 4ème Bataillon de Chasseurs à pied, en Algérie, où il s’ennuie.

L’expédition du Mexique est une aventure qui le tente. Il rend ses galons et s’engage comme 2ème classe au Régiment Etranger qui part pour le lointain Mexique.

La Légion Etrangère va s’empresser de donner les galons de caporal à ce Légionnaire blessé en Crimée et Chevalier de la Légion d’Honneur.

Rescapé de Camerone, Maine est nommé sous-officier, puis, plus tard, officier.

En 1870, il est  capitaine au 3ème  Régiment d’Infanterie de Marine. Il participe, à Bazeilles, au combat héroïque appelé « Maison de la dernière cartouche ».

Il est fait prisonnier à Sedan le 2 septembre 1870, et… s’évade le 18. Il gagne Bruxelles et rejoint la France. À Rochefort, il intègre les « Francs-tireurs » et organise une phalange de volontaires qu’il conduit au feu. Il y gagne ses galons de lieutenant-colonel du 8ème  Régiment de Gardes Mobiles de Charente-Inférieure. À la révision des grades (en 1872) il redevient capitaine.

Il termine sa carrière au 3ème RIMa. Il est rayé des cadres pour infirmités temporaires le 30 novembre 1878, à 48 ans.

Ce héros du siège de Sébastopol, de Camerone et du combat de la « Maison de la dernière cartouche », grande figure de la Légion Etrangère et des Troupes de Marine, meurt à 63 ans, dans son lit à Douzillac, en Dordogne, le 27 juin 1893.

J’ai tendance à penser, mais ceci n’engage que moi, que c’est la grandeur de la France qui fabriquait des héros de cet acabit. Certes, le courage est une affaire personnelle, et, comme, je n’en ai pas à revendre, je suis assez mal placé pour en parler mais NOTRE histoire, elle, me parle :

Sous Napoléon, les généraux chargeaient à la tête de leurs troupes. Ceux – assez rares – qui survivaient, finissaient Maréchaux d’Empire.

Dans un de mes livres (7) j’ai raconté les émeutes parisiennes de juin 1848. Une époque où Louis-Philippe Maine avait 18 ans : « Durant l’insurrection on vit des généraux se battre avec une fougue de sous-lieutenant : le général Duvivier sera mortellement blessé près de la Seine, son successeur, le général de Négrier, blessé cinq fois à Waterloo, avait été tué au cours d’un assaut à la Bastille.

Le général Bedeau, ancien chef de la Légion Etrangère, avait été grièvement blessé près du faubourg Saint Antoine. Cavaignac en personne, général-ministre de la guerre, et son adjoint Lamoricière avaient repris à la hussarde le faubourg Saint Denis, le général Bréa avait été massacré à la Porte d’Italie et le général Damesne avait tiré au canon sur le Panthéon avant d’être, à son tour, mortellement blessé. Arrêtons là l’énumération. L’insurrection parisienne a été matée au prix de milliers de tués dont… 8 généraux… »  

Imaginerait-on aujourd’hui le « Chef des Armées » moulé dans sa combinaison d’aviateur faite sur mesure, suivi de la ministricule Florence Parly et du bellâtre gominé Lecointre, montant à l’assaut d’une barricade de « Gilets jaunes » ? Non, l’époque n’est plus la même, et puis, les flics de Castaner, qui n’osent plus aller dans les banlieues de non-droit, font ça très bien.

Plus sérieusement, concluons avec quelques mots sur cette triste campagne du Mexique.

En avril 1865, la Guerre de Sécession américaine prenait fin avec la victoire du Nord. Les Républicains mexicains poussèrent le gouvernement de Washington à masser ses troupes le long de la frontière avec le Mexique, avec armes, munitions et matériel. Les troupes républicaines virent aussi leurs effectifs augmentés d’anciens combattants de la Guerre de Sécession américaine.

Dans le même temps, le secrétaire d’État des États-Unis, William Henry Seward, pressait les Français d’abandonner le Mexique. La France ne pouvait plus se permettre de gaspiller ses forces dans une aventure aussi lointaine. Napoléon III retira donc ses troupes, abandonnant une par une les villes du nord, Mexico, Puebla, et Veracruz.

En février 1867, le dernier navire français quittait les rives du Mexique.

Sur les 38 493 militaires français envoyés au Mexique, 6 654 y sont morts de blessures ou de maladie.

Puis la guerre du Mexique fit trois derniers morts…

En juin 1867, l’empereur Maximilien, qui se croyait capable de maintenir l’Empire sans aide étrangère, avait refusé d’abdiquer. Il se réfugia dans Santiago de Querétaro. Bientôt cerné par les Républicains, il se rendit. L’Empereur pensait naïvement qu’il serait conduit à Veracruz et rembarqué sur le premier navire en partance pour l’Europe. Il fut condamné à mort.

Le 19 juin 1867, à Santiago, il fut exécuté avec ses généraux Miramón et Mejía.

Depuis le combat héroïque de la compagnie du capitaine Danjou, chaque fois qu’une unité mexicaine passe devant le monument de Camerone, elle présente les armes.   

Et les Légionnaires – jeunes ou vieux – continuent à chanter en souvenir de la campagne du Mexique : 

« Eugénie les larmes aux yeux / Nous venons te dire adieu,
Nous partons de bon matin / Par un ciel des plus sereins.
Nous partons pour le Mexique / Nous partons la voile au vent,
Adieu donc belle Eugénie / Nous reviendrons dans un an… ».

Eric de Verdelhan
5 mai 2020
   

1)- « Camerone » de Pierre Sergent (Fayard ; 1980) est, à mon humble avis, l’un des meilleurs livres sur le combat de Camerone.

2)- Une tradition légionnaire voulait, jadis, qu’un lieutenant méritant apprenne par chœur le « récit de Camerone » pour le réciter à ses hommes le 30 avril.

3)- Maison-mère de la Légion depuis la fin de l’Algérie française.

4)- Ce monument, construit à l’initiative de général Rollet, le premier « Père Légion »,  sera démonté et reconstruit à Aubagne, Le 26 octobre 1962. Ce sera le premier travail accompli par les Légionnaires du 1er Régiment  Etranger.

5)- REP : Régiment Etranger de Parachutistes.

6)- Les Légionnaires étaient équipés de fusils à un coup à chargement par la bouche : la carabine Minié à balle forcée. Chaque légionnaire  disposait de 60 coups, mais les Mexicains, outre l’avantage du nombre, disposaient d’armes américaines à répétition et à grande portée.

7)- « Hommage à NOTRE Algérie française » Dualpha ; 2019.


2 Commentaires

  1. On remarquera encore le sous équipement attardé des Légionnaires avec le fusil Minié. Notre armée a toujours eu un métro de retard en armement léger par rapport à d’autres armée contemporaines. On dirait que ça se corrige, mais bon, lentement. C’est toujours une armée équipée de prototypes. Le Famas n’est pas une arme extraordinaire. Parfois, les armes sont bonnes mais arrivent avec beaucoup de retard car toute conception, en France prend bien trop de temps avant dotation, sauf ce qui provient de chez Dassaut.

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