LA MONTAGNE DE FER (2ème partie : les fonctions apparentes et occultes de la guerre)
(Jean Goychman)

RAPPORT DE LA MONTAGNE DE FER

La Paix Indésirable ?

2ème partie : LES FONCTIONS APPARENTES ET OCCULTES DE LA GUERRE

 

QUE DIT EN SUBSTANCE CE RAPPORT ?

Sous le titre français 7 « La paix indésirable ? », on trouve le sous-titre « Rapport sur l’utilité des guerres ».
Dans les critères retenus pour l’ensemble de cette étude, l’aspect purement moral des choses ne semble pas avoir été pris en considération. L’objectivité est de style « militaire », aucune hypothèse ou idée qui pouvait s’apparenter à une sorte de préjugé ne devait être retenue. Avec enfin une prise en compte, dans tous les domaines, sans aucune exclusion, des théories, des événements ou des faits ayant une relation avec le domaine étudié.

DÉSARMEMENT ET ECONOMIE

Le premier chapitre concerne le désarmement et l’économie. Un inventaire est fait afin d’estimer la part de l’industrie de l’armement dans l’économie mondiale. L’estimation qui résulte des échanges de données entre les intervenants ainsi que leurs connaissances spécifiques tourne autour de 10%, ce qui fait de l’armement un des secteurs les plus importants.

Tout au long de ce chapitre , les possibilités de reconversion de ce domaine industriel sont envisagées sans que se dégage une solution adéquate.

Le rapport fait état de 5 points d’achoppement :

1) Aucune proposition n’est en rapport avec l’ampleur « exceptionnelle des ajustements nécessaires ».

2) Les propositions en matière de travaux publics « de bienfaisance » sont des vœux pieux.

3) Les mesures monétaires et fiscales ne suffiront pas à établir une économie « désarmée ».

4) Rien ne dit que les mesures de reconversion seront politiquement acceptables.

5) Les fonctions « non-militaires » de la guerre et de l’industrie de l’armement n’ont pas été étudiées. Aucun des substituts de ces fonctions n’a même été envisagé.

On perçoit très nettement que la suppression pure et simple de l’industrie de l’armement n’est pas envisageable. Il faut trouver d’autres voies.

COMMENT DÉSARMER ?

Le chapitre suivant est consacré à l’étude de la mise en œuvre d’un désarmement « planétaire ».

Tous les scenarii proposés sont fondés sur des accords bilatéraux ou multilatéraux. Outre la lenteur du procédé, celui-ci va exiger des moyens de contrôle avec des procédures compliquées ayant peu de chances d’aboutir. Elles concerneraient progressivement la destruction des armements lourds puis de leurs moyens de production.

Néanmoins, ce processus de désarmement n’est pas à écarter d’emblée et peut réussir, à la condition qu’un plan rigoureux de reconversion progressive soit élaboré et adapté pas à pas aux différentes phases. Il convient cependant d’estimer les conséquences que pourrait avoir une transition vers la paix en analysant les fonctions remplies par la guerre.

LES FONCTIONS APPARENTES DE LA GUERRE

Le rapport envisage la prise en compte des phénomènes sociaux liés à l’état de guerre ou à l’état de paix. La première constatation des auteurs porte sur un malentendu qui a généralisé une erreur fondamentale. Elle consiste à affirmer « de façon inexacte, que la guerre, en tant qu’institution, est subordonnée au régime social qu’elle est censée défendre »

C’est de là qu’est née cette idée que la guerre ne pouvait qu’être le prolongement de la diplomatie. Si cela était, nombre de problèmes se résoudraient facilement, avec des procédures adaptées pour passer de l’état de guerre à celui de paix. Notons qu’aucune définition ne définit intrinsèquement l’état de paix. La plus courante est celle qui décrit la paix comme un intervalle entre deux guerres.
La guerre semble donc être, qu’on l’accepte ou non, le système social de base.

Selon que les « modes secondaires sociaux » seront en accord entre eux ou non, on passera d’un état à l’autre.
Ce point semble fondamental.
Jusqu’à présent, cet état naturel de guerre s’est imposé à toute l’humanité.

L’ensemble des systèmes économiques, politiques et législatifs sont au service de la guerre et non l’inverse.
La guerre en tant qu’instrument au service d’une politique semble être un mythe. Cela implique une méconnaissance totale des fonctions de la guerre.

Généralement, on considère que ces fonctions apparentes sont les suivantes :

  1. Défendre la nation contre l’attaque d’une autre nation, ou bien la dissuader d’attaquer.
  2. Défendre ou imposer un « intérêt national » (politique, économique ou idéologique).
  3. Maintenir ou augmenter un potentiel militaire pour sa propre sécurité.

Or, il en existe d’autres, souvent ignorées parce que non visibles, et qui font l’objet du chapitre suivant…

LES FONCTIONS OCCULTES DE LA GUERRE

Les auteurs du rapport ont passé en revue les fonctions non-militaires de la guerre. Elles sont de différentes natures :

=> La fonction économique

Les engins de destruction « massive » peuvent être considérés comme une sorte de gaspillage financier. En réalité, depuis les temps où Samuel critiquait David, nombreuses sont les voix qui se sont élevées contre les gaspillages militaires. Elles ont surtout servi à dissimuler le fait que certains gaspillages ont une grande utilité sociale.

L’industrie de l’armement est pratiquement la seule qui soit entièrement soumise au contrôle total de l’autorité centrale. Elle agit comme une sorte de régulateur pour l’économie du pays. Le fait que la guerre soit un gaspillage lui permet de remplir ses propres fonctions. Cet effet « régulateur » a notamment permis la sortie de la crise de 1929 par la guerre de 39-45 en agissant comme une sorte de balancier économique. En outre, cela permet une augmentation du PIB. Cela se vérifie dans une certaine mesure dans les mouvements boursiers traditionnellement en hausse en cas de menace de guerre.

=> La fonction politique

Elle est très importante dans le domaine de la stabilité sociale.

La politique étrangère d’une nation par rapport aux autres relève du « rapport de forces ». Pour être crédible dans sa politique étrangère, une nation doit pouvoir se doter des moyens nécessaires. Le rapport précise également « qu’il est prouvé dans l’histoire que l’existence de n’importe quelle forme d’armement rend certaine son utilisation ».

Sur le plan intérieur, l’autorité fondamentale que les gouvernants exercent sur leurs administrés provient de sa puissance militaire.
Les peuples sont d’autant moins enclins à changer de gouvernement que la menace de guerre se précise. Certains pays ne font guère de distinction entre l’armée (chargée de la défense extérieure) et la police (défense intérieure).
Le pouvoir d’un gouvernement à engager des actions militaires, qui existe jusque dans les États les plus libéraux, définit la réalité du lien entre celui-ci et le peuple.

=> La fonction sociologique

La cohésion d’un peuple dépend pour beaucoup de la présence et de l’action des éléments anti-sociaux qu’il renferme.
En état de guerre, la sécurité de l’ensemble peut être menacée et se pose alors la question de l’arbitrage entre moins de liberté pour plus de sécurité. Les gens, et nous l’avons vu récemment en France et surtout aux Etats Unis, sont prêts à admettre des « états d’urgence » dans un premier temps qui peuvent même ensuite se pérenniser par la loi.

La peur devient alors la meilleure alliée de l’autorité et de la stabilité des gouvernants.

Par ailleurs, l’enrôlement militaire a toujours été un moyen efficace pour utiliser les éléments « antisociaux » d’une façon acceptable et utiliser les « inemployables » en leur fournissant un cadre leur permettant de subsister. La conscription permet également d’obtenir une sorte de « carte de la population » qui permet de repérer les éventuels futurs semeurs de troubles, et la menace de guerre est un des arguments mis en avant pour la justifier.

=> La fonction écologique

C’est une des fonctions qu’il est souvent difficile d’aborder d’une façon rationnelle sans passer pour un cynique sanguinaire. Pourtant, elle correspond à une dure réalité. En période de famine prolongée, que l’homme post-néolithique ne peut maîtriser, la guerre est le moyen le plus courant pour éliminer les individus « en surnombre ». L’espèce humaine, en ce sens ne diffère guère des autres espèces animales…

De ce point de vue, la guerre s’apparente cependant à une sorte « d’eugénisme à l’envers ». Dans les espèces animales, ce sont les éléments les plus faibles qui disparaissent en premier. La guerre, elle, expose les spécimens les plus résistants de l’humanité et les plus aptes également à se reproduire. Les saignées dans les rangs se feront sentir, au niveau de la population, durant plusieurs générations.

Mais les guerres modernes ont ajouté une « efficacité » nouvelle (du strict point de vue du contrôle démographique) en faisant de nombreuses victimes parmi les populations civiles, en raison des moyens de destruction employés (bombardement, agents défoliants, etc).

Cependant, les progrès technologiques ont permis d’augmenter la production des aliments, faisant reculer les périodes de « disette ». Ce qui diminue d’autant l’importance de cette fonction écologique liée à la guerre.
Toutefois, précisent les auteurs du rapport : « les taux actuels de de la croissance de la population auxquels il faut ajouter la menace de contamination pourrait faire naître de nouvelles disettes » Ces crises pourraient se révéler d’une « ampleur sans précédent » et les méthodes de guerres « conventionnelles » pourraient se révéler « inadéquates pour réduire la population consommatrice jusqu’à un niveau  en rapport avec les nécessités de la survie de l’espèce ».

Enfin, les armes actuelles de destruction massive, et notamment l’arme nucléaire, permettent de diminuer « les effets régressifs de la guerre sur la sélection naturelle » en n’éliminant plus seulement les « guerriers », mais également tous les autres individus. Le rapport pose néanmoins la question du « bénéfice génétique » (en raison des éventuelles conséquences des mutations génétiques « malheureuses ») sans pouvoir y répondre.

Pour terminer l’étude de la fonction “écologie”, il faut constater que les progrès de la médecine diminuent le risque de mort prématurée tout en augmentant l’espérance de vie. « Il semble clair qu’une nouvelle fonction quasi-eugénique de la guerre est en train de se développer, dont il faudra tenir compte dans tout plan de transition vers la paix ».

=> La fonction culturelle et scientifique

C’est une fonction d’importance considérable. Pratiquement toutes les formes de cultures font référence ou même reposent sur la guerre. Et ce, depuis les « danses de guerre » des peuples primitifs. La littérature, la musique, la peinture, l’architecture et la sculpture sont souvent l’expression de cette position centrale de la guerre dans notre société. La guerre, qu’elle soit sous la forme d’un conflit national ou international, voire même de religion, fournit un thème traditionnel de l’expression et de la création artistique, y compris pour le cinéma.

La relation qui existe entre la guerre, la recherche et la découverte scientifique est très explicite. Même si la société actuelle accorde beaucoup d’importance à la science « pure », il est difficilement contestable que toutes les découvertes d’importance majeure dans les sciences naturelles ont trouvé leur inspiration dans les nécessités de leur époque, et qu’elles ont toujours été stimulées par la guerre.

Pratiquement toutes les grandes applications scientifiques civiles se sont développées à partir de projets militaires. Le radar, l’informatique, l’aérospatial, pour ne citer qu’eux, sont des exemples modernes. Il en est de même dans le domaine médical et paramédical, où beaucoup de progrès ont été effectués en chirurgie notamment mais également dans le domaine de la prévention. Il est pratiquement impossible d’évaluer ce que serait la médecine actuelle sans ces apports dus à la guerre, ni de se projeter dans l’avenir en cas de retour à la paix.

=> Fonctions secondaires diverses

Le rapport a décidé de ne pas aborder certaines fonctions non-militaires de la guerre, au motif qu’elles n’influenceraient pas d’une manière importante la transition vers la paix. Elles ont cependant un rôle manifeste.

En premier, il y a le « facteur de libération sociale » lié à la guerre. C’est un aspect purement psychologique, au même titre que les célébrations, les commémorations et manifestations destinées à « rompre la monotonie » du temps par des jours de « rupture ».

La guerre est également un facteur de stabilisation entre générations. Nos anciens se sont battus pour nous, ce qui donne aux plus âgés une sorte de pouvoir sur les plus jeunes.

La guerre est également un « clarificateur d’idéologies ». C’est une constante de l’esprit humain que de n’envisager qu’une logique binaire. Une proposition est soit vraie, soit fausse. De même, il ne peut y avoir que deux partis s’opposant dans un même combat. (Essayez d’imaginer un match de foot avec trois équipes sur le terrain).

Enfin, la guerre est le fondement nécessaire à la compréhension internationale. Cette fonction est probablement en train de tomber en désuétude, en raison du développement des modes de communications, mais il n’empêche que ce sont surtout les guerres, encore aujourd’hui, qui ont permis aux différentes cultures de s’enrichir mutuellement par les réalisations des autres.

Jean Goychman

21 juillet 2020

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(7) La paix indésirable, éditions Calmann-Lévy Préface de JK Galbraith traduit par Jean Bloch-Michel

1 Commentaire

  1. Les épidémies sont, tout comme les guerres, un facteur de régulation de surpopulation et facteur de peur. Et encore plus quand les facteurs d’épidémie sont issus du génie génétique de guerre bactériologique.
    Cela dit, les guerres détruisent aussi les hôpitaux… surtout si elles sont nucléaires.

    “La guerre est également un « clarificateur d’idéologies ». C’est une constante de l’esprit humain que de n’envisager qu’une logique binaire” : C’est pas tout à fait vrai en cas de guerre civile interne d’un pays en guerre contre un ennemi externe.

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