15 AOUT 1944 : DÉBARQUEMENT EN PROVENCE (Éric de Verdelhan)

« La rapidité avec laquelle les divisions s’emparent, non sans de durs combats, de Toulon et de Marseille assure aux forces alliées un avantage excellent immédiat…Après ces opérations, la 1ère  Armée pousse vers le nord au cours de l’automne et de l’hiver et se trouve engagée dans des combats difficiles et continus dans les Vosges; les formations nord-africaines, particulièrement les Tirailleurs et les Goumiers, jouent à nouveau un rôle essentiel dans la montagne, au prix de lourdes pertes ».

 Anthony Clayton (1)

 

 

Le Français, qui est souvent nul en histoire, en connait cependant quelques dates : Marignan en 1515 ; le 14 juillet (dont il situe l’origine à 1789, la prise de la Bastille, alors qu’on honore la « Fête de la Fédération » un an plus tard) ; le 11 novembre 1918, fin de la grande saignée de 14-18 (2) ; le 8 mai 1945, capitulation de l’Allemagne nazie et fin de la guerre en Europe (3).

Les plus « beaufs » connaissent aussi 1664, naissance de Kronenbourg et le 10 mai 1981, date à laquelle, selon Jack Lang, notre pauvre pays passa « de l’ombre à la lumière » en élisant un homme ombrageux  qui n’avait pourtant rien d’une lumière.  

Mais presque tous les Français connaissent le 6 juin 1944, début de l’opération « Overlord », nom de code de la bataille de Normandie. La 2ème Division Blindée du général Leclerc est entrée dans l’histoire, et elle le mérite grandement !

Le débarquement en Normandie fait partie du mythe, entretenu depuis 1945, de « la France libérée par elle-même ». C’est la raison pour laquelle on parle si peu de l’autre débarquement, celui de Provence, commencé  le 15 août 1944.  

Le débarquement de Provence – nom de code « Anvil Dragoon » – est une vaste opération menée par les Alliés dans le Sud-est de la France. Appelée à l’origine « Anvil » (enclume en anglais), le nom a été changé en « Dragoon » par Winston Churchill qui était contre ce débarquement. Il déclara y avoir été « contraint » (dragooned en anglais) par les Américains.

Les objectifs de l’opération étaient de libérer Toulon et Marseille, puis de remonter ensuite la vallée du Rhône pour effectuer la jonction avec les forces de l’opération « Overlord » débarquées en Normandie à compter du 6 juin.

À partir du 15 août 1944, ce sont 260 000 combattants de la 1ère  Armée Française du général de Lattre de Tassigny qui vont arriver dans le Sud de la France.

Maréchal de Lattre de Tassigny

Durant la nuit du 14 au 15 août, des commandos français sont débarqués sur les plages :

« Rosie Force » débarque les 67 hommes du Groupe Naval d’Assaut de la marine du capitaine de frégate Seriot sur l’aile Est, à Miramar pour couper la route aux renforts allemands venant de l’Est ; « Romeo Force » débarque le Groupe des Commandos d’Afrique du lt-colonel Georges-Régis Bouvet sur l’aile Ouest, de part et d’autre du cap Nègre…

Le 16 août, à J + 1, débarque « Force Garbo » aux ordres du  général américain Alexander Patch, et composée de la VIIe Armée américaine et de la 1ère Armée française commandée par le « Roi Jean » de Lattre de Tassigny. Les trois quarts de « Force Garbo » étaient sous commandement français avec, presque exclusivement, des unités de l’Armée d’Afrique : 10 % des combattants étaient originaires de la métropole (les « Français libres »), 90 % venaient d’Afrique du Nord dont une écrasante majorité d’anciens soldats de l’armée d’armistice (devenue vichyste).
48 % étaient des «Pieds noirs». Cette armée, c’était « l’Armée Giraud », et, pour certains « l’Armée du Maréchal ».

Elle était constituée par : la   3ème  Division d’Infanterie Algérienne du général de Monsabert ; la 1ère  Division Blindée du général Touzet du Vigier et la 1ère  Division Française Libre du général Diégo Brosset (gaulliste). Dans les jours suivants, ces unités ont été renforcées par : la   9ème Division d’Infanterie Coloniale du général Magnan ; la 2ème Division d’Infanterie Marocaine du général Dody ; la 4ème  Division Marocaine de Montagne du général Sevez ; la 5ème Division Blindée du général de Vernejoul et les deux groupements de Tabors Marocains du général Guillaume.

Après le débarquement, la 1ère Armée sera divisée  en deux Corps d’Armée.

Après de rudes combats, les troupes du général de Lattre volent de victoire en victoire ; en deux semaines, la Provence est libérée. Digne et Sisteron sont atteintes le 19 août, Gap le 20 août, Grenoble est prise le 22 août (soit 83 jours avant la date prévue), Toulon le 23 août, Montélimar le 28 août, Marseille le 29 août et Lyon le 3 septembre.

Les Alliés, remontant la vallée du Rhône, rejoindront le 12 septembre, à Nod-sur-Seine, au cœur de la Bourgogne, celles du front de l’Ouest.

Alors, est-il exagéré de dire que c’est l’Armée d’Afrique qui a libéré la France ?

Certes, comme je l’ai raconté dans un de mes livres (4) elle n’était pas seule, tant s’en faut, mais la vérité historique – ou, tout simplement, l’honnêteté intellectuelle – voudrait qu’on cesse   d’entretenir le mythe, aussi stupide que mensonger, de « la France libérée par elle-même » et du général de Gaulle boutant le teuton hors de France, aidé par les FTP communistes (5).

Le III° Reich a été mis à bas par 360 divisions soviétiques, et sur notre sol, par 90 divisions américaines, 20 divisions britanniques et… l’Armée d’Afrique.

Rappelons, juste pour mémoire, que lors du débarquement en Provence, le général Giraud mobilisa 27 classes de Français d’Algérie. Du jamais vu, même pendant la Grande Guerre !

176 500 furent réellement incorporés. Ils se sont remarquablement battus et leur taux de pertes au feu fut deux fois supérieur à celui des autres unités alliées ayant participé à la libération du sol national. Et tant pis s’il faut contredire les auteurs du film « Indigènes »(6) mais l’effort demandé aux Musulmans fut moindre : sur 14 730 000 habitants  de l’Algérie, 233 000 furent mobilisés soit 1,58% de la population. La majorité était constituée d’engagés volontaires.

L’effort consenti librement par les Musulmans d’Afrique du Nord (Algérie, Tunisie ET Maroc) fut 10 fois moins important que celui demandé aux seuls « Pieds noirs ».

Pour relativiser les choses, il faut se souvenir que le 6 juin 1944, les « Français libres » qui débarquèrent ce jour-là étaient… 170 : les « bérets verts » du commando Kieffer. D’ailleurs, les Alliés n’avaient même pas jugé utile de prévenir de Gaulle de l’imminence du débarquement.

La 2ème Division Blindée du général Leclerc – celle qui est entrée dans l’histoire – n’a débarqué qu’en août 44, presque deux mois plus tard, sur le sol de France. Et, aussi glorieuse soit-elle, ce n’était jamais qu’UNE division.

On peut m’objecter que j’oublie « le poids considérable de la Résistance ». Non, je n’oublie rien et j’ai un respect – profond et total – pour les vrais résistants. Mais la Résistance, d’après l’historien Basil H. Liddell Hart, a représenté l’équivalent de deux divisions ; deux… sur les 500 venues à bout du Nazisme. Il faut se souvenir aussi que lors de la Libération, l’armée a réussi à incorporer – péniblement –  moins de 100 000 résistants alors que, sur les trois départements d’Algérie, le général Giraud avait réussi à mobiliser 300 000 hommes.
Ceci se passe de commentaire !

Pourquoi nos manuels d’histoire nous parlent-ils si peu de l’Armée d’Afrique ?

Sans doute pour faire oublier qu’après une guerre gagnée militairement, le 19 mars 1962, la France a lâchement, tragiquement, honteusement, abandonné les « Pieds Noirs » et les Musulmans venus la libérer en 1944…  

Eric de Verdelhan
15 août 2021 

 

 

 

 

 

1)- « Histoire de l’Armée française en Afrique »  d’Anthony Clayton, (Albin Michel ; 1994).

2)- Mais les combats ont continué – aux Dardanelles entre autres – jusqu’en 1920.

3)- Le japon a capitulé le 2 septembre 1945.

4)- « Hommage à NOTRE Algérie française » (Editions Dualpha ; 2019).

5)- J’ai traité ce sujet dans « Mythes et Légendes du Maquis » (Editions Muller ; 2018).

6)- (Mauvais) film de propagande réalisé par Rachid Bouchareb, en 2006.

              

2 Commentaires

  1. Depuis le premier mai 1944, j’étais par un hasard du à certains bombardements de nos chers alliés, j’étais dans le Vercors. Au débarquement du 6 juin, on a vainement attendu tout Juin les parachutages promis. En Juillet-Aout on a eu à contrario les parachutistes allemands à Vassieux et l’éparpillement total du maquis là ou il pouvait encore se carapater. Et le débarquement de Provence est advenu trop tard……Le Gouvernement d’Alger a laissé tombé le Vercors……

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