JE CRAINS UNE NOUVELLE ÉPURATION. Partie 2 (Éric de Verdelhan)

PARTIE 2

 

L'épuration et les femmes en Dordogne (1944-1951)

 

Il existe un autre volet infâme de l’épuration qu’on a tendance à minimiser : celui des femmes tondues. Pour les « épurateurs », le fait de coucher avec l’occupant était sanctionné, à minima, par la tonte des cheveux. Ces femmes tondues étaient accusées de « collaboration horizontale », un acte qui n’est pas incriminé dans le Code Pénal et qui n’a donc rien d’illégal.  Certaines ont été lynchées, violées, torturées ou massacrées. Le compte de ces victimes est difficile à établir. On parle de 20 ou 30 000, peut-être plus ? Au nom de l’épuration, on a martyrisé et tondu des femmes amoureuses (celles qui refusèrent de quitter leur concubin ou leur mari allemand), puis celles qui, après tout, n’ont fait que leur métier (entraineuses, prostituées). Michel Audiard, le dialoguiste des « tontons flingueurs », d’« un taxi pour Tobrouk » et de bien autres chefs-d’œuvre d’humour corrosif, est moins connu comme romancier. Il a pourtant écrit un roman dont le pessimisme désabusé rappelle le « Voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline. Il y parle avec nostalgie de Myrette, la petite putain dont il était amoureux pendant la guerre :

« Et la barbarie hitlérienne ? M’opposera-t-on. On me jette toujours d’autres martyrs à la tête quand je raconte Myrette, comme si…Suzanne surgit dans la chope et annonce dès la porte: « Les fifis(FFI) sont en train d’avoiner Myrette » …édentée, disloquée, le corps bleu, éclaté par endroits, le regard vitrifié dans une expression de cheval fou, Myrette s’offrait aux mouches, abandonnée sur les sacs de sable d’une barricade, au carrefour de la Gaieté …Il n’y avait déjà plus personne autour, comme sur les places de village quand le cirque est parti …On a eu les détails petit à petit, par des témoins encore frémissants dont un certain  « colonel » Palikar… chef du joyeux commando. Un ancien de la guerre d’Espagne. Sans s’annoncer, selon la mode du temps, ils avaient enfoncé la porte et surpris Myrette… D’après les gens, on l’entendait hurler de la rue tandis qu’ils lui cassaient les dents. « A coup de bites » devait préciser par la suite le plaisant Palikar. À coups de crosse plus vraisemblablement. Elle était sûrement déjà très abîmée quand l’équipe lui est passée hiérarchiquement sur le ventre, colonel Palikar en premier, …Théâtre de joutes viriles, la chambre inspira sans doute d’autres jeux : Myrette fut certainement très martyrisée puisqu’elle avait les bras et les jambes brisés lorsqu’ils la tirèrent par les cheveux sur la petite place et l’attachèrent au tronc d’un acacia. C’est là qu’ils la tuèrent. Oh, sans méchanceté, à la rigolade, comme on dégringole les boîtes de conserve à la foire, à ceci près : au lieu des boules de son, ils balançaient des pavés… Quand ils l’ont détachée elle était morte depuis longtemps. Après l’avoir jetée sur un tas de sable, ils ont pissé dessus …puis s’en sont allés, comme on dit, arroser ça … » (9).    

Après-guerre, des femmes tondues, battues, violées ont tenté des actions en justice mais leur action a été disqualifiée, elles n’étaient pas considérées comme des victimes. 

À la Libération, le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) rédigea une série d’ordonnances permettant d’épurer légalement la société française. Ces textes concernaient toute la population (ordonnances du 26 juin 1944, du 26 août 1944…), ou des catégories spécifiques (ordonnances du 18 janvier 1945, du 5 mai 1945…). Ces textes posent un problème, en droit, sur la rétroactivité de leur action. La non-rétroactivité est un principe fondamental de l’égalité d’une loi. Pour éviter que des collaborateurs puissent occuper des postes à responsabilités, il fallait en limiter l’accès. La « nécessité d’une purification de la patrie » a autorisé tous les abus : la loi n’a pas défini toutes les formes de collaboration, or « des personnes ont soutenu les idées totalitaires » (?) et on entendait les punir. L’ordonnance du 26 août 1944 visait à compléter la liste des « crimes » relevant de la collaboration et instaurait l’ « indignité nationale ». L’adhésion à des partis collaborationnistes, la propagande ou la diffusion d’idées simplement vichystes, pouvaient justifier une condamnation pour « indignité nationale ». Lorsque l’accusé est frappé d’indignité nationale il est condamné à une peine de « dégradation nationale ». La peine est infligée pour une durée donnée, ou…à perpétuité.

La condamnation s’inscrit sur le terrain politique car la loi prévoit d’« interdire à certains individus diverses fonctions électives économiques et professionnelles qui donnent une influence politique à leurs titulaires », écartant ceux qui ont mal choisi leur camp sous l’occupation. Les notions de « citoyen indigne » ou de « pratiques antinationales » démontrent bien la volonté du gouvernement d’infliger une véritable mort civique au condamné.

L’épuration « légale » a concerné plus de 300 000 dossiers, dont 127 000 ont entraîné des jugements et 97 000 condamnations, les peines allant de 5 ans de « dégradation nationale » à la peine de mort. L’ordonnance du 4 octobre 1944 autorisait les préfets à faire interner des personnes jugées dangereuses jusqu’à la cessation des hostilités.  En décembre 1944, le ministère de l’Intérieur donne une liste de 171 sites d’internement. Ce sont des camps, mais aussi, un lycée, des casernes, des châteaux, etc. Dans la région parisienne, les collaborateurs sont rassemblés au Vélodrome d’Hiver, au camp de Drancy, ainsi qu’à la prison de Fresnes. Le quotidien « Combat » mentionne que les gardiens de Fresnes assaillaient le détenu Tino Rossi pour lui demander des autographes. Ce fut le cas pour d’autres célébrités, telles Pierre Benoit, Arletty, Sacha Guitry…Le chiffre des internés est difficile à connaître. Les archives nationales conservent des données du ministère de l’Intérieur indiquant la présence de 49 000 internés environ en décembre 1944. Ce chiffre est un minimum, les données du ministère n’intégrant pas tous les départements, et l’Alsace et la Lorraine n’étaient pas encore libérées. Après la guerre, soucieux de réduire la fracture entre les Français, le gouvernement a fait voter trois amnisties pour les épurés, en 1947, en 1951 et en 1953.

Mais toutes les régions ont subi une épuration « extrajudiciaire » (ou épuration sauvage). Comme l’écrit Franck Liaigre :

« Les FTP ont tué plus de Français que d’Allemands… » (10).

Le chiffre officiel de l’épuration, communiqué par Adrien Texier, alors ministre de l’Intérieur, est de 105 000 victimes. Ce chiffre émanait des rapports des préfets. Il n’a jamais trouvé de démentis sérieusement étayés. Maurice Bardèche(11) – mais il est le beau-frère de Brasillach –  retient 112 000 victimes de l’épuration. Robert Aron a mis dix ans (1966-1975) pour écrire les trois tomes de son « Histoire de l’épuration ». À partir des statistiques gouvernementales, il arrive à 40 000 victimes. Mais, pour un motif – fort louable ! –  de réconciliation nationale, on peut supposer que ces chiffres sont fortement minorés. En 1951, une loi d’amnistie a rendu impossible les sanctions contre les crimes de l’épuration. Elle couvrait « tous faits accomplis postérieurement au 10 juin 1940 et antérieurement au 1er janvier 1946 dans l’intention de servir la cause de la libération du territoire ou de contribuer à la libération définitive de la France » (article 30). Avant même le vote de cette loi, les familles de victimes d’exécutions se sont vues, pour beaucoup, refuser une enquête digne de ce nom ce qui a abouti à une amnistie de fait entérinée ensuite par une amnistie de droit.

Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça ? Sans doute parce que l’historien (amateur) que je suis n’oublie pas la Terreur, le « populicide » vendéen, le massacre de nos Harkis et quelques autres drames atroces que l’histoire écrite par « le camp du bien » voudrait rayer de nos mémoires.

 

Eric de Verdelhan.

23/05/2024

 

9) « La nuit, le jour et toutes les autres nuits » de Michel Audiard ; Denoël ; 1978.

10) « Les FTP, nouvelle histoire d’une Résistance » de Franck Liaigre ; Perrin ; 2016.

11) « L’épuration » de Maurice Bardèche; Castille ; 2001.

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5 Commentaires

  1. Mais tout cela, c’est l’essence portée au jour de la république ! Qui cela peut-il étonner encore ?! 1793 n’en fini plus !
    Cela fait des années que je le dis : la république est une broyeuse de citoyens, les exemples sont multiples dans l’histoire et ce n’est pas fini. La République est sauvage, propice aux pires exactions de salopards, d’escrocs et de psychopathes. Dès la prochaine occasion, ça recommencera. Regardez des gens comme Mélenchon-Pol Pot. Ce type est capable de tout avec sa bande de black-blocs, de LFI et de EELV qui sont un ramassi de psychopathes et de déjantés envieux, jaloux, pervers et hypocrites qui attendent avec impatience, la même impatience que les islamistes, de pouvoir se lâcher sur la population et se venger de leur médiocrité personnelle.
    Alors méfiez-vous et préparez-vous à défendre vos vies et celles de votre famille. Ces gens sont prêts à commettre le pire. Vous êtes prévenus.

    • D’aucuns vous traiteraient d’illuminé mais quand on a vu les hordes gauchistes en action, on ne peut que vous rejoindre. Je ne changerai pas une virgule à ce que vous écrivez.
      J’avais l’habitude (mauvais humour) de dire “quand le pire est possible, le pire est toujours certain”. Maintenant on est dedans et ceux qui ne voient pas devraient consulter au plus vite.
      Un conseil : mettez-vous tous au jardinage et achetez une fourche à 4 dents bien affutées.

  2. IL ne faut pas oublier toute les personnes frappées d’indignité nationale,telle que Geneviève Lubin,Monseigneur Mayol de Lupé et aussi Corinne Luchaire qui fut actrice et mourut de la tuberculose.

  3. Ces deux textes donnent la nausée. Ceux qui ont connu cette période sont aujourd’hui bien vieux. Leur mémoire est-elle apaisée ?
    Je ne peux m’empêcher de penser à un certain Mitterrand qui a eu bien du mal à cacher toute sa vie durant ses turpitudes et ses amitiés douteuses. Certains donneurs de leçons seraient mieux inspirés à se terrer en silence.

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