« La grande trouvaille de l’armée, c’est qu’elle est la seule à avoir compris que la compétence ne se lit pas sur le visage. Elle a donc inventé les grades. »
(Alphonse Allais).
Chaque jour qui passe me donne l’occasion de mesurer le délitement de la France : tout va à vau-l’eau, plus rien ne fonctionne normalement, et ceci n’est pas imputable à la conjoncture ou au hasard. Il y a chez nos dirigeants politiques une volonté de tout tirer vers le bas, de tout niveler, pour que les Français, conscients de leur médiocrité, acceptent les diktats de Bruxelles, et qu’on les mène vers une gouvernance européenne, puis mondiale, comme on conduit des veaux à l’abattoir.
Depuis longtemps, « panem et circenses », du pain et des jeux, ou, si vous préférez, Mac-Do et le foot, ne suffisent plus à abrutir les masses. L’homme occidental est devenu un enfant gâté, il faut donc le flatter dans ses plus bas instincts. La pornographie, les loisirs, les 35 heures, la violence télévisuelle, la drogue quasi légalisée, les mœurs les plus dépravées, l’entretiennent dans une sorte d’hédonisme narcissique dans lequel, hélas, une majorité se vautre et se complait. Mais certains, un brin rebelle, ne se laissent pas tondre facilement. Dans l’ensemble, ce sont des bœufs, en aucun cas des taureaux de combat, mais ils veulent avoir l’impression d’exister. Là, rien de mieux que les médailles, les hochets, les diplômes au rabais et les titres ronflants pour flatter leur égo. Dites à un imbécile qu’il est un génie, il vous trouvera forcément sympathique ! Dites à un abruti qu’il est intelligent, il vous portera aux nues. C’est vieux comme le monde mais j’ai l’impression que c’est de pire en pire. En principe, ceux qu’on caresse dans le sens du poil votent bien. Et ne croyez pas que je noircis le trait car cette volonté de nivellement, de dévalorisation des institutions, des diplômes, des grades, va se nicher partout, y compris dans notre armée. Mais, pour être tout à fait honnête, il y a, à notre époque, une nécessité de reconstituer des effectifs réduits à une peau de chagrin. Si vous avez écouté (ou subi, comme moi) le discours guerrier de Macron le 13 juillet, vous avez compris que nous sommes au bord de la guerre et que notre armée va monter en puissance et ce, grâce à un avorton vaniteux et mégalomane ; un « chef des armées » qui n’a même pas fait son service militaire.
Nous ne sommes plus en 1793, mais l’esprit est le même (en plus ramolli) : la République a besoin d’hommes et elle va, entre autres, augmenter et renforcer la « Réserve opérationnelle ».
Rappelons que la « Réserve » militaire a été créée après l’humiliante capitulation de Sedan en 1870. On parlait alors d’« officiers de compléments ». Quelques années après la Grande Guerre, en 1922, le corps des officiers de compléments deviendra celui des « officiers de Réserve ». Ce sera la naissance de l’UNOR (1), dont Raymond Poincaré (capitaine de complément en 14-18), président de la République, sera le premier président. De 1914 à 1918, l’armée française a compté dans ses rangs près de 195 000 officiers qui ont encadré plus de 8 millions d’hommes. 36 593 officiers ont été tués. Une bonne moitié était des officiers de compléments (2), dont entre autres, le lieutenant Péguy tué au tout début du conflit (3). Depuis la Grande Guerre, la « Réserve » a continué à verser son sang au service de la patrie. Le commandant Philippe Kieffer, à la tête des seuls Français qui débarquèrent en Normandie le 6 juin 1944, était un réserviste ; comme le commandant Bourgoin dont les paras ont été largués en Bretagne dans la nuit du 5 et 6 juin 1944. Le colonel Allaire, bras droit de Bigeard en Indochine, que j’ai eu l’honneur de connaître, était un aspirant de Réserve avant d’intégrer l’armée d’active. Dans d’autres guerres, je pourrais citer les sous-lieutenants de Réserve Jean-Marie Le Pen et Jacques Peyrat, engagés chez les Légionnaires-paras en partance pour l’Indochine ou le commandant Erwan Bergot. Durant la guerre d’Algérie, on ne compte plus le nombre d’officiers de Réserve qui ont servi dans les unités combattantes, les commandos de chasse ou les SAS (4). Mais les temps ont changé, surtout depuis la suppression de la conscription et la perte de la notion de patrie au profit d’un conglomérat européen sans âme qui refuse même qu’on invoque ses racines judéo-chrétiennes.
Sommes-nous prêts à mourir pour l’Union Européenne ? Assurément NON !
Si Macron veut recréer une armée – mais le veut-il ? – il lui faudra des années. La « Réserve opérationnelle » devra être une affaire de spécialistes (informaticiens, service de santé, ingénieurs etc…) mais il faudra lui adjoindre un vivier de combattants potentiels proche du « soldat citoyen » suisse. Cette vision des choses n’engage que moi, et je n’oblige personne à la partager.
J’ai un respect total pour les vrais professionnels or, en cas de conflit, la survie d’une troupe ne devrait pas, selon moi, être confiée à des « amateurs », souvent des militaires refoulés, des boy-scouts attardés ou des vieux gamins, aussi motivés soient-ils, qui occupent leurs congés à jouer à la guerre et à se faire peur, à coup de balles à blanc et de grenades à plâtre, quelques jours par an.
La « Réserve opérationnelle » actuelle est constituée pour moitié de bons éléments (souvent d’anciens militaires d’active), et pour l’autre moitié de gens qui ont besoin d’exister et qui trouvent, en son sein, une honorabilité qu’ils n’ont pas forcément obtenue dans le civil. Ceci dit, depuis que nos dirigeants ont laminée l’armée française, les réservistes sont indispensables et il est assez logique d’en augmenter très fortement les effectifs, mais à condition que ce ne soit pas pour créer une armée mexicaine. Nos besoins ne sont pas que quantitatifs, ils sont surtout, avant tout, qualitatifs.
Lors d’une cérémonie organisée récemment par une Amicale de Réservistes, j’ai retrouvé quelques amis au milieu d’un tas de gradés venus d’un peu partout : des commandants ou colonels ventripotents, n’ayant, pour la plupart d’entre eux, pas un coup de fusil à se reprocher (sinon à la chasse). Décorés comme des sapins de Noël, une coupe de Champagne à la main, ils péroraient sur les campagnes ou les Opex (5) qu’ils auraient pu mener…si ma tante en avait.
Chez nous, l’exemple vient de haut : Sébastien Lecornu, notre ministre des armées, a été nommé colonel au titre des spécialistes de la Réserve en 2017. Le président d’une association de gendarmes s’est indigné de « ce jeune secrétaire d’État nommé en catimini colonel, à 31 ans, peu après son entrée au gouvernement ». Et c’est ce même Sébastien Lecornu qui est intervenu pour que le simple brigadier Benalla soit nommé… lieutenant-colonel dans la gendarmerie. Les exemples sont légion de ces officiers nommés par le fait du prince. Mais ce n’est pas de ceux-là dont le pays aura besoin en cas de conflit « de haute intensité », pour parler comme les stratèges de plateaux-télé.
On peut me rétorquer que l’inflation aux galons (voire carrément l’usurpation de grades), n’est pas un phénomène nouveau. À la Libération, la France, qui voulait se persuader qu’elle avait gagné la guerre toute seule, grâce à la Résistance, reconstituait ses pertes en régularisant des FFI et des FTP (6). Fort Heureusement, avant d’en faire des militaires d’active, on envoyait ces cadres au rabais tester leur niveau de compétence à l’école des officiers de Cherchell, en Algérie. Mon vieil ami, l’ancien député Marcel Bouyer, lieutenant FFI, ex-agent de liaison dans la poche de Royan, me disait en rigolant : « Cherchell, c’était impayable ! Tu voyais des gens y rentrer avec des galons de colonels et qui ressortaient …sergents. ». L’inflation aux galons était monnaie courante à l’époque : Jacques Delmas (Chaban dans la Résistance), aspirant en 1939, sera …général en 1944, à 27 ans. On n’avait pas vu ça depuis Napoléon ! Mais, en ces temps troublés, tout était permis, il suffisait d’oser : on a même vu, chez les FTP, des « colonels à 6 galons », dont deux qui avaient échoué à leur peloton de… caporal en 1939. De Gaulle, décorant à Bordeaux, une rangée d’une douzaine de colonels FFI ou FTP trouvait, en bout de file, un simple capitaine auquel il déclarait en souriant : « Vous ne savez pas coudre ? » J’ai raconté les excès de cette époque dans un de mes livres (7) mais c’était la guerre et, s’il est vrai que certains chefs de Maquis ont fait tuer leurs hommes par incompétence, si d’autres étaient plus prompts à tondre les femmes accusées de « collaboration horizontale » qu’à se battre, si les FTP ont commis les pires atrocités durant la période appelée « l’épuration », d’autres se sont bien battus et beaucoup ont perdu la vie au service de la patrie. Ceux-là méritent notre respect.
Dans la « Réserve » actuelle, les héros sont forcément plus rares, et souvent leur promotion-éclair ne se justifie en rien, sinon par une volonté de les flagorner, de les caresser dans le sens du poil, souvent pour récompenser leur servilité reptilienne et leur soutien inconditionnel au pouvoir.
Mais Emmanuel Macron est incontestablement un fin stratège – en plus d’être « le Mozart de la finance » qui a augmenté notre dette abyssale de 1100 milliards d’euros en sept ans – et il est bien conseillé. Pour faire nombre, l’âge maximum pour la « Réserve opérationnelle » a été porté à…72 ans. J’en viens à me demander si le déambulateur ne va pas devenir une arme de combat.
Eric de Verdelhan.
21/07/2025
1) Union Nationale des Officiers de Réserve.
2) Il s’agit d’une approximation car, même le « Rapport Marin », qui date de 1920 et comptabilise les tués de la Grande Guerre, manque de précision sur le sujet.
3) Le lieutenant Charles Péguy, du 276ème RI, a été tué le 5 septembre 1914, lors de la première bataille de la Marne, (bataille à Villeroy).
4) Sections Administratives Spécialisées.
5) Opex = abréviation d’Opération Extérieure.
6) Forces Françaises de l’Intérieur et Francs-Tireurs-Partisans (majoritairement communistes).
7) « Mythes et Légendes du Maquis » Editions Muller, 2019.
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